lundi 18 mai 2020

Récits d’école (2) : notes et classement

Dans notre promenade littéraire je vous propose aujourd’hui un moment dans « L’année du certif » de Michel Jeury. Ce n’est pas une « grande œuvre », c’est qu’un livre reposant qui prend comme personnage le certificat d’études de jadis à travers la vie d’institutrices et d’instituteurs des années 1930, et aussi d’élèves.

Michel Jeury, né en 1934, a consacré la majeure partie de son œuvre à la science-fiction, son premier roman est assez tardif, 1988, Le vrai goût de la vie met en scène une région française et ses habitants. Dans ce roman comme dans les suivants Michel Jeury raconte son expérience d’instituteur ainsi que ses aventures d’écoliers. C’est ainsi que son éditeur lui dit un jour : « Il n’est pas un seul de vos romans où le certificat ne tienne une place grande ou petite. N’est-ce pas ? »

Ce livre, je l’ai reçu comme un témoignage d’une personne dans une époque et j’avais l’idée d’en extraire de nombreux passages, mais cela aurait conduit à redire le livre, alors je me suis focalisé sur deux passages. L’un dont je parlerai dans un prochain billet, relate une discussion entre enseignants à propos des qualités comparées de manuels scolaires, l’autre qui servira de support au billet de ce jour évoque la question des notes et des classements.



Extraits

-        Tu y penses encore ? Nous avions dit qu’il était un peu jeune et pas tout à fait assez régulier pour passer à coup sûr.
-        C’est ce dont nous étions convenus.
-        Tu jurais que mélanger filles et garçons nous mettait à la merci de toutes les critiques et que nous ne pourrions pas nous permettre de voir notre fils aîné échouer au certificat.
-        Créer une école mixte en Cévennes était un risque.
-        Moi, je m’en fichais. Je voulais garder Antoine un an de plus !

Paul tourne la tête vers le débarras, un cagibi sombre où l’on entasse les vieux livres et le matériel scolaire d’usage peu fréquent. Un courant d’air a fait bouger la porte, qui s’ouvre derrière le bureau. Le rez-de-chaussée de la mairie-école est un dédale de couloirs et d’escaliers dont la moitié au moins ne sert plus à rien.
Paul sourit, baisse la voix d’instinct.

-        Depuis deux ans, je rogne d’un point ou deux toutes les notes de notre fils.
-        Tous les maîtres qui ont un de leurs enfants en classe le font pour être sûrs de ne pas avantager leurs rejetons.
-        Oui, mais Antoine pouvait passer le certificat cette année, sans mention. J’ai voulu le garder pour la mention très bien et le prix cantonal l’an prochain.
-        Claire éclate de rire.
-        Je n’ai jamais accordé la moindre importance à ces histoires de classement et de prix, mais notre gentille collègue, Mademoiselle Rachel, m’a avoué que son plus grand regret était de partir à la retraite sans avoir jamais eu le prix cantonal. Je me suis dit : quel malheur ! Alors, c’est ça qui la tourmente ?
Paul dit oui d’un signe de tête. Mademoiselle Rachel Bouget est la maîtresse de Saint‑Pierre, le village voisin, il apprécie son sérieux. Claire le regarde en se mordant la lèvre.

-        Je te donne l’absolution. De toute façon, je crois que c’est très bien pour notre grand. Il apprendra beaucoup l’année qui vient, avec toi, et cela lui servira au cours complémentaire, à l’école normale et même dans son futur métier.
[….]

Pour cette séance, et deux maîtres ont choisi une dictée de Dessaint‑Douillet. Il est question dans cette histoire d’un billet de loterie, et le sujet excite beaucoup les enfants depuis que le gouvernement vient de lancer la fameuse Loterie nationale.
Le premier problème raconte l’histoire de trois robinets qui coulent ensemble dans un même bassin ; le second l’achat à crédit d’une bicyclette Hirondelle à la Manufacture française d’armes et de cycles de Saint-Etienne.

Résultats des élèves, par ordre de mérite :
Antoine Fontanes : 18 sur 30.
Thirza Favantin : 17 sur 30.
Marguerite Robert : 13 sur 30.
Marie Jauffret : 10 sur 30.
René Fontanes : 5,5 sur 30.

Réflexion de Ninikoff : Pascaline n’a pas arrêté de quitter ses sandales et de jouer avec. C’était difficile de ne pas baisser les yeux sous la table pour regarder ses pieds… de plus, pour m’aider, elle ne m’a soufflé que des bêtises. Savoir si elle la fait exprès ou non !
Commentaires de la séance. […] Eh bien, puisque mon fils René ne compte pas, je crois que j’ai terminé. À vous la parole, Mademoiselle Rachel.
Ninikoff se sent blêmir et baisse le nez sur ses bras croisés. Il sait très bien que Papa a voulu dire : «… ne compte pas pour le certificat. » Cinq et demie sur trente… Enfin, grâce à lui, Marie Jauffret n’a pas eu la honte d’être dernière !

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Plus que la question de la « note » c’est l’idée de classement qui a tout d’abord retenu mon attention, sans doute parce que j’ai vécu cette pratique lorsque j’étais élève à l’école élémentaire (1958 à 1963) puis encore au collège où existait encore la distribution des prix en fin d’année scolaire.

Je fus vraisemblablement un des derniers élèves français à vivre cette cérémonie de remise des prix en juin 1968 ; à vrai dire je n’en sais rien car je n’ai aucune idée de l’époque où on a cessé cette pratique. Est-ce parce que j’en garde un souvenir plutôt agréable que je n’ai jamais cherché à suivre l’histoire de cette pratique. Je n’étais pourtant pas ce qu’on appelle un bon élève, mes résultats au collège n’étaient que moyens bien que les professeurs jugeassent que je pouvais « mieux faire » quand ce n’était pas « vaut mieux que ça » ; en règle générale je m’ennuyais en classe et j’aimais à organiser des chahuts. Malgré tout je recevais un prix, celui « de bonne camaraderie ». À l’école primaire je fus plus posé, plus attentif en présence de deux instituteurs passionnants qui exaltaient l’enthousiasme de leurs élèves, même les moins « scolaires ». Là, en CM2 avec Monsieur René G., je vécus une histoire qui bien des années plus tard me fit comprendre le ridicule des classements et leur inutilité voire leur danger.

Un ami de la famille me demandait un jour quel était mon classement. Sixième répondis-je avec vivacité et empressement. De la même façon ce monsieur, antiquaire réputé de Lyon, m’offrit un billet de 50 francs (environ 70€), et à l’époque c’était une somme importante : le SMIG (SMIC aujourd’hui) s’élevait à 326 Frs bruts pour 173 heures mensuelles de travail… Ce cadeau somptueux ne manqua pas de choquer ma mère car si j’étais bien 6ème au classement mensuel je l’étais sur 7 élèves, donc avant‑dernier. La classe de Monsieur Gros était un CM1‑CM2 où le CM2 ne comprenait que 7 élèves.

Au-delà de l’anecdote que je viens de conter, à quoi pouvaient bien servir les classements ? Je laisserai à chacun le choix de la réponse. On en voit mieux la pertinence dans le cas des concours où chaque candidat reçu aura à choisir un poste, une affectation, mais encore est-ce de la bonne gestion des ressources humaines qu’au prétexte qu’il est classé dernier dans le palmarès un candidat se retrouve dans un lieu si éloigné de chez lui qu’il en déprimera ?

Mais, dans l’administration et plus particulièrement dans le système scolaire, en France on vit sous la dictature des classements. Pour que ceux-ci fonctionnent il faut une unité de mesure : la note. La sacro-sainte note dont nous ne sommes pas arrivés à nous débarrasser malgré de hardies tentatives dès après que mai 1968 ait éteint ses feux. Au mieux on en a atténué l’expression en remplaçant de-ci de-là les chiffres par des lettres : A, B… I pour insuffisant, mais bien vite on accola de + des – et ce furent A +, A- ; avec l’apparition du concept de compétences les livrets scolaires se voient affublé de « acquis », « non acquis », « en cours d’acquisition » mais au quotidien avant l’arrivée sur le livret le suivi de l’acquisition de la compétence se fait au fil d’exercices notés. La note à la vie dure, d’autant plus que les examens sont toujours au bout de la scolarité et qu’ils conservent, malgré les bouleversements pas tous opportuns ni sensés voulus par l’actuel Ministre, une validation par un système de notes agrémenté de mentions.

Notes et classement ne sont pas la vraie question à poser pour l’analyse et l’évolution d’un système éducatif, plus particulièrement un système scolaire. La vraie question c’est celle de l’évaluation dont je ne traiterai pas en détail ici, ce serait trop long. Je me contenterai de rappeler certains éléments de définition.

L’évaluation c’est, nous dit le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, l’action « d’apprécier la valeur (d’une chose) » et c’est aussi « une technique, une méthode d’estimation. » Dans Économie Politique (1832) Jean-Baptiste Say indiquait que « Dans toute évaluation, la chose qu’on évalue est une quantité donnée, à laquelle rien ne peut être changé. […] » Le CNRTL cite cette merveilleuse phrase de Jacques Rivière dans sa correspondance avec Alain Fournier (1908) « On a besoin de s’appuyer sans cesse sur des évaluations et des jugements, et sur toutes les passions qui en résultent. » Et en cette période de crise sanitaire que vit le monde la citation de Camus interpelle (La Peste, 1947) : « Il faudra […] que vous veniez demain à l’hôpital pour le vaccin préventif. Mais pour en finir et avant d’entrer dans cette histoire, dites-vous que vous avez une chance sur trois d’en sortir. − Ces évaluations n’ont pas de sens, Docteur, vous le savez comme moi. »

L’évaluation est indispensable pour situer l’avancement d’une action dans un processus, qu’on le veuille ou non elles sont indispensables, mais pour être efficaces elles doivent être porteuses de sens. En somme, pourquoi j’évalue : quel est le processus en cause, quelle est l’action que je juge ? Ensuite viendront la méthode et les outils au rang desquels on pourrait ranger la note. La plupart du temps en matière d’apprentissages scolaires on ne se pose pas ces questions, on attaque d’emblée avec des outils qu’on nomme pudiquement « critères d’évaluation » que l’élève est sommé de réussir ou de valider dans le cadre d’un système homogène où toute distinction est bannie. L’action évaluative n’est construite qu’à partir de l’objectif sur le postulat de ce qui montre le degré d’atteinte de l’objectif. Prenons l’exemple de l’EMC, est-ce la réussite à un QCM relatif à l’acceptation de la différence permet de dire que l’élève a un comportement positif et proactif vis‑à‑vis de la différence ? Bien sûr que non, on peut le voir tous les jours où des gens savent parfaitement qu’il ne faut pas s’arrêter et encore moins stationner sur des emplacements réservés aux personnes à mobilité réduite mais qui le font au prétexte qu’ils ne resteront pas longtemps… Ne sommes‑nous pas ici, avant même la mise en place de l’évaluation, confrontés à la définition de l’objectif, et pour ce qui concerne l’enseignement à l’objectif pédagogique ?

Avant de terminer par quelques éléments bibliographiques je vous invite à regarder cette vidéo qui provient du Conseil supérieur de l’éducation du Québec : « Évaluer pour que ça compte vraiment ? ».



Éléments bibliographiques :

Est-il valable d’évaluer à l’école ? Eveline Charmeux

Charles Hadji, L’évaluation, règles du jeu. Des intentions aux outils., ESF, 1989.

Linda Allal, Vers une pratique de l’évaluation formative. De Boeck université, 1991.

Christian Depover et Bernadette Noël, L’évaluation des compétences et des processus cognitifs, De Boeck université, 1999.

Gérard Figari, Évaluer : quel référentiel ?, De Boeck université, 1994.

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