Dimanche 14 janvier 2024, le
président de la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, le
député MODEM Jean-Louis Bourlanges, était l'invité du “8h30 franceinfo”. Interrogé sur les déclarations de la ministre
de l’Éducation nationale au sujet de la scolarisation de ses enfants dans un
établissement scolaire privé, Jean-Louis Bourlanges déclarait que les enfants
de la ministre « Sont élevés dans le service public car je rappelle que
les établissements sous contrat font partie du service public. »
Monsieur le député a commis deux
erreurs dans sa réponse. Première erreur : les écoles, qu’elles soient
publiques ou privées, n’ont pas la charge d’élever les enfants mais seulement
celle de leur apporter un enseignement académique joint à un enseignement « civique »,
deuxième erreur : les établissements privés ne font pas partie du service
public.
Je ne traiterai que de la seconde
erreur, la première alimentant un débat de philosophie de l’éducation ouvert au
XVIIIe siècle qui n’est toujours pas vraiment clos.
Monsieur le député se trompe lorsqu’il
affirme que les établissements scolaires privés sous contrat font partie du
service public. En France, l’enseignement privé participe au service
public de l’éducation nationale aux côtés de l’enseignement public.
L’enseignement privé participe mais il n’est pas le service public. Sabine
Monchambert[1] donne, dès l’introduction
de son livre, une très bonne image de la situation de cohabitation entre
l’enseignement public et l’enseignement privé : « L’État français, à
côté de l’enseignement public dont il a la responsabilité (Préambule de la Constitution
de 1946) reconnaît l’existence d’un secteur privé. Après deux siècles de
débats, la liberté d’enseignement est aujourd’hui une liberté publique
fondamentale dont la valeur constitutionnelle a été réaffirmée à deux reprises
par le Conseil constitutionnel dans ses décisions du 28 novembre 1977 et du 18
janvier 1985. »
Pour comprendre cette situation
il faut remonter à la Révolution qui reconnaissant le droit à l’instruction
pour tous créait des obligations pour l’État en matière d’organisation de
service public d’enseignement. Ainsi, cité par Sabine Monchambert, Talleyrand
rappelait en 1791 devant l’Assemblée Constituante : « Il sera libre à
tous particuliers, en se soumettant aux lois générales de l’enseignement
public, de former des établissements d’instruction ; ils seront seulement
tenus d’en instruire la municipalité et de publier le règlement. » Entre
l’intention de l’enseignement public évoquée par Talleyrand et la création du service
public d’enseignement voulu par Jules Ferry il s’est écrit une histoire longue
et complexe dont je relate[2],
par exemple, les péripéties dans mon ouvrage relatif aux écoles dans une petite
ville de l’Isère : Tullins-Fures-Fures. Ainsi, on peut voir que
l’éducation des enfants était, depuis longtemps, une préoccupation pour les
édiles de la ville puisque les délibérations de la communauté font apparaître
en 1601 que « le sieur Ennemond Damoure est élu pour remplir les fonctions
de précepteur de la jeunesse avec jouissance des revenus et pensions légués en
faveur de ceux qui instruisent la jeunesse, ainsi que des exemptions attachées
auxdites fonctions. Le sieur Étienne Cheval fait offre de partie de sa maison
pour le logement dudit précepteur ». Les archives montrent que la
communauté prenait en charge l’école y compris sur le plan de son installation
matérielle : « location (en 1655) par la communauté d’une maison aux
dames Ursulines de Tullins-Fures destinée à l’école pour avoir un local plus
spacieux et plus commode ». La période « révolutionnaire »
confirme cet engagement pour une école « publique » puisque le
Conseil Général de la commune accepta de charger en mai 1793 Charles Caziot de
la mission de l’instruction publique : « Considérant que le citoyen
Caziot a donné en cette ville (Montbrison) des preuves de ses talents pour
l’éducation de la jeunesse, que depuis il a toujours fait les fonctions de
précepteur à Montbrison à la satisfaction des habitants de cette ville, a arrêté
qu’il [le Conseil Général de la commune] verra venir avec plaisir se fixer ici,
et en sa faveur provisoirement une gratification annuelle de 150 livres à
compter du jour qu’il commencera son instruction publique ».
En France l’École va aller, entre initiative privée et volonté publique,
de loi en loi, jusqu’à la création de l’École que nous connaissons aujourd’hui.
Déjà en décembre 1792 loi Lanthenas qui prévoyait une école primaire dans tous les
lieux entre 400 et 1500 habitants et que les instituteurs, déclarés
fonctionnaires publics, reçoivent une rémunération minimum de 1200 livres et soient
logés par la commune. Cette loi n’a été appliquée en raison du manque de moyens
financiers des communes qui se sont souvent tournées vers l’enseignement privé
en lui déléguant cette charge comme peut l’illustrer cette délibération de 1818
où le conseil municipal de Tullins-Fures qui rapportait une requête des Dames
Ursulines dans laquelle elles demandaient à s’installer à Tullins-Fures : « Le
conseil ayant délibéré de l’utilité de l’établissement d’une communauté de
Dames Ursulines et sur les avantages qu’il procurera à la commune. Considérant
qu’il y avait avant la Révolution une semblable communauté à Tullins-Fures,
qu’elle faisait du bien, soit par un enseignement gratuit pour les jeunes
filles dont les parents étaient dépourvus de moyens, soit en admettant dans la
maison de jeunes pensionnaires qui y recevaient les meilleurs principes et de
l’instruction, soit par les charités qu’elles distribuaient à la classe
indigente. Considérant que le rétablissement d’une pareille communauté
donnerait à la commune dont la population a près de 4000 âmes et aux autres
communes assez considérables dont elle est avoisinée, l’espoir de voir
renouveler les bienfaits sus analysés… ». Puis ce fut, comme loi majeure,
la Loi Guizot de 1833 qui obligeait les communes à être propriétaires d’une « maison
d’école » au bénéfice de l’enseignement primaire. On peut voir là le début
de l’organisation d’un service public national d’éducation. La loi Guizot en
organisant l’école publique ne remettait pas en cause l’enseignement privé tout
en le soumettant à des conditions strictes : déclaration d’ouverture de
l’école, respect des conditions de salubrité, preuve de la capacité des
personnels à enseigner. Toutefois, cette loi portait en germe la querelle entre
« public » et « privé ». Puis ce fut la Loi Falloux en 1850
qui complétait la loi Guizot en rendant obligatoire une école de garçons dans
toute commune de 500 habitants ainsi que la création d'une école de filles dans
toute commune de 800 habitants ; la loi simplifie les conditions requises
pour l’ouverture et le fonctionnement des écoles privées et ouvre le dispositif
aux établissements d’enseignement secondaire. Ainsi, après les lois Guizot et
Falloux le système scolaire, en France, comprenait deux sous-systèmes : l’enseignement
public avec les écoles communales gérées par les communes et le collège géré
par le département, et l’enseignement privé de congréganiste ou laïque.
La petite ville de Tullins-Fures,
évoquée plus haut, mit en œuvre la loi comme l’indique la délibération du
conseil municipal du 15 mars 1835 relative à « l’organisation de l’école
primaire communale ». Ainsi on y trouve : « Il [le maire] a
invité le conseil municipal à délibérer : sur la création d’une école
primaire, élémentaire et communale, sur le choix du sujet à présenter pour être
nommé instituteur communal… » Le 6 septembre 1832 la commune avait accédé
à la demande du premier vicaire, Barbier, d’ouvrir un collège pour enseigner la
grammaire française, grecque et latine, dans la maison de Monsieur Triolle.
D’autre part plus de 150 enfants pauvres ne recevaient aucune instruction
(conseil municipal du 12 décembre 1849). Aussi, le conseil municipal « considérant
que les charges que la commune devra s’imposer pour ladite école seront
compensées par l’instruction qui pourra être donnée à tous les enfants de
familles indigentes » (conseil municipal du 11 novembre 1848). C’est donc
avec empressement que la commune accepta plusieurs legs en 1848 et en
1849 pour que soit créée une école des Frères des Écoles Chrétiennes. Le 19
février 1852, Monsieur Garnier en fonction depuis 1850, prenait officiellement
la direction de l’école des Frères des Écoles Chrétiennes à Tullins-Fures ; il
était aidé par quatre frères rétribués par la commune. Ainsi, à Tullins-Fures
l'existence de l'école communale laïque n'empêcha en rien la municipalité
d'autoriser, voire de favoriser, la création d'une école congréganiste tenue
par les Frères des Écoles Chrétiennes en 1850 comme le montre la délibération
du conseil municipal du 12 décembre 1849 à l'occasion de l'acceptation d'un
legs en faveur de l'établissement d'une telle école : « Considérant
que depuis plusieurs années la commune s'occupe du projet d'élever une école
des frères de la doctrine chrétienne, que cet établissement dont l'utilité a
déjà été reconnue par le Conseil actuel et par les administrations antérieures,
n'a été retardé jusqu'à ce jour que par le défaut de ressources suffisantes
pour cet objet ». À l'aube des lois Jules Ferry, la cité offrait au bourg
de Tullins-Fures une école des Frères des Écoles Chrétiennes, une école laïque
communale, une école libre laïque de garçons, une école de filles et une salle
d'asile, et, au hameau de Fures, une école libre de garçons, une école libre de
filles et une salle d'asile qui permettaient à 98,5% des enfants de 6 à 13 ans
de fréquenter l'école.
Cette première cohabitation en
l’enseignement public et l’enseignement privé voit son harmonie fortement
remise en question par la loi Combes du 7 juillet 1904 qui interdit
l’enseignement aux congrégations ; relevons que cette loi ne faisait pas
l’unanimité notamment au sein du camp des Républicains[3].
Comme l’indique Sabine Monchambert[4]
« La république radicale du début de ce siècle (XXe siècle) porte
directement atteinte à l’enseignement privé avec les lois de 1901 et de 1904
interdisant les congrégations. » Il faut attendre la fin de la Première Guerre
mondiale pour voir le principe de la liberté d’enseignement s’ouvrir à nouveau
à un ensemble de partenaires notamment lorsqu’il s’applique au bénéfice
d’autres secteurs que l’enseignement classique. L’organisation de
l’enseignement technique, en 1919, créait un régime original ou la concertation
entre le secteur public et le secteur privé peut être considérée comme une
préfiguration du système contractuel qui sera mis en place par la loi Debré de
1959. Le régime juridique de l’enseignement privé prend alors, petit à petit,
la forme qu’on lui connaît aujourd’hui grâce à une succession de textes
législatifs et réglementaires comme, sous la IVe République, la Loi Marie
qui, en 1951, admettait les élèves de l’enseignement privé au bénéfice des
bourses d’enseignement général, la Loi Baranger qui autorisait les écoles
privées à percevoir l’allocation scolaire voulue pour aider les communes à gérer
leurs écoles, la Loi Baranger
prévoit une allocation trimestrielle pour chaque enfant fréquentant l’école
primaire publique ou privée. Pour le public, l’allocation sera versée à la
Caisse départementale scolaire (relevant du Conseil Général) qui assure la
répartition des fonds et pour le privé, aux associations de parents d’élèves.
Le principe de la liberté
d’enseignement voulu par les Révolutionnaires de 1789 a donné lieu au fil du
temps, en allant au-delà de la reconnaissance du pluralisme scolaire, à un
système de cohabitation entre un secteur d’enseignement gérer par le « privé »,
le plus souvent religieux mais pas exclusivement, et un secteur géré par « le
public ». Le seul accroc que l’on peut relever c’est celui, en 1904, de
l’interdiction d’enseignement opposé aux congrégations religieuses, mais il
faut noter que d’autres établissements « non religieux » pouvaient
continuer à fonctionner. La loi Debré du 31 décembre 1959 a renforcé le
principe de la liberté d’enseignement « en faisant appel, par souci de
justice sociale, à l’idée de liberté concrète, il a défini les modalités de
collaboration de tous les enseignants, dans le respect de leur mission propre,
à un même service d’enseignement dans le cadre d’un système souple et gradué :
indépendance, contrat et intégration. Un troisième secteur d’enseignement naît
ainsi : l’enseignement privé sous contrat, associé à la mission de
service public[5]. » Sont alors
mis au point deux types de contrats : les contrats simples et les contrats
d’association, qui permettent aux établissements privés de bénéficier d’une
aide financière de l’État et des collectivités locales (communes, conseil
départemental, région) tout en gardant une large part d’autonomie et leur
caractère propre. Sont ainsi pris en charge la rémunération des enseignants
du privé et une partie des frais de fonctionnement. Ce système d’association a
été confirmé par le Conseil constitutionnel en 1985 éteignant ainsi la volonté
du président François Mitterrand (proposition numéro 90 de son programme
électoral) de créer « Un seul grand service public unifié et laïque de
l’Éducation nationale ».
On voit à travers cette synthèse
historique illustrée par l’exemple de l’évolution de
l’école dans la petite ville Tullins-Fures en Isère comment l’enseignement privé a pu se
positionner comme supplétif d’un système public défaillant
parce que difficile à mettre en place pour des raisons financières
notamment après la Loi Guizot ou
insuffisant pour répondre à la demande au regard de la poussée démographique comme
l’indique Jean-Paul Durand[6]
« Devant la croissance
démographique après la Seconde Guerre mondiale, l’État a pu calculer qu’en
obtenant le concours d’écoles libres, cela lui coûterait moins cher que de
faire porter cette charge par un surcroît d’effort de la part de l’enseignement
public. » C’est dans ce contexte que la Loi Marie et La loi Baranger
virent le jour, et c’est à cette situation de difficultés pour l’enseignement
public que voulait répondre la loi Debré de 1959. Cette loi issue de la
commission Lapie « refuse un système d’enseignement concurrent [au service
public de l’éducation nationale], la reconnaissance d’un corps intermédiaire
bénéficiant en tant que tel de prérogatives pour assurer mission de service
public[7]. » Dès lors
l’enseignement privé perd son statut de supplétif du service public pour
devenir, par contrat, un auxiliaire reconnu du service public dans un esprit de
partenariat et de coopération qui, tout en gardant son caractère propre, est
soumis à un certain nombre de règles et de contrôles de la part de l’État.
Depuis la loi Debré, l’État ne
coopère pas avec l’enseignement privé pris comme un ensemble d’établissements
unifiés, mais il travaille avec chacun des établissements privés pris
individuellement qui se lie avec l’État dans un contrat. C’est effectivement à chacun
des établissements, individuellement, de solliciter de bénéficier du régime
contractuel. Il est alors proposé aux établissements le choix entre le contrat
d’association et le contrat simple. Par le contrat d’association
l’établissement marque sa volonté de s’associer aux missions de service public
qui incombe à l’État, le contrat simple est une forme plus souple de
coopération entre l’établissement et l’État. Notons au passage que les
établissements privés d’enseignement supérieur et les établissements
accueillant des enfants en situation de handicap sont exclus de ce type de
contrats ; cependant ces derniers dépendant du ministère de la Santé peuvent
bénéficier du contrat simple.
Il faut cinq ans de
fonctionnement à un établissement d’enseignement avant de pouvoir solliciter de
passer un contrat avec l’État. Le site du Ministère de l’Éducation nationale
indique : « Ce contrat oblige l’établissement à accueillir les
enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance. En contrepartie,
l’État rémunère les enseignants, et les collectivités publiques doivent
financer le fonctionnement de l’établissement dans les mêmes proportions
qu’elles financent les établissements d'enseignement public. Toutefois, quand
il s’agit d’un contrat simple, les communes n'ont pas l'obligation de
participer au financement. Bien évidemment l'État se doit de contrôler les
établissements avec lesquels il contracte comme d’ailleurs il contrôle ses
propres établissements, en outre l’État ne signe un contrat qu’après que le
Recteur ait reconnu l’existence d’un besoin scolaire[8]. Une
fois le contrat conclu, après une longue procédure, tous les établissements
privés sont soumis à des inspections, ce qui ne les empêche pas de conserver leur
caractère propre. Ce contrôle se fait sous la double autorité du préfet et du
recteur ; il s’agit de contrôles administratifs qui s’assurent que le
directeur et les enseignants disposent des diplômes requis et que sont
respectées les dispositions juridiques relatives à l’obligation scolaire,
l’ordre public, la prévention sanitaire et sociale et à la protection de
l’enfance et de la jeunesse ; la Loi du 24 août 2021 confortant le respect
des principes de la République a créé une procédure de fermeture administrative
par le préfet et élargi le champ du contrôle exercé sur ces établissements
(contrôle de l'origine du financement à tout moment et de l'honorabilité de
l'ensemble des personnels). Le recteur, quant à lui, à la compétence du
contrôle pédagogique par lequel il s’assure que l’enseignement se conforme aux
droits garantis par les traités et par la Constitution ; il s’agit alors
de vérifier que le droit à l’éducation qui permet à chaque enfant de développer
sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de
s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté[9],
est effectivement mis en œuvre. Les établissements signataires du contrat
s’engagent à ce que les élèves qui lui sont confiées acquièrent les instruments
fondamentaux du savoir, des connaissances de base[10],
et pour ce qui concerne l’enseignement professionnel et technique que les
élèves reçoivent la formation adéquate. D’autre part l’établissement s’engage à
ce que les élèves reçoivent une éducation leur permettant « de développer
son sens moral et son esprit critique, de partager les valeurs de la République[11] ».
L’inspection des enseignants des établissements sous contrat par les
inspecteurs de l’éducation nationale dans les mêmes conditions qu’elle
s’effectue pour les enseignants « publics » est une manière de
garantir que l’enseignement donné dans un établissement sous contrat est
conforme aux attentes édictées par le code de l’éducation. Là apparaît une
ambiguïté liée au statut des enseignants, sans doute à l’origine de l’erreur de
monsieur le député Bourlanges. La
loi n° 2005-5 du 5 janvier 2005, dite "loi Censi" a octroyé aux
maîtres des établissements d'enseignement privés sous contrat un statut
d’agents de droit public qui leur est spécifique. Ils sont régis par un contrat
de droit public et sont donc des agents de l’État. Ils sont nommés par le
recteur. Leur carrière est régie par des textes réglementaires tels que définit
dans le Code de l’Éducation mais leur salaire est inférieur, en moyenne de 12%,
à celui des enseignants « publics ». Autre particularité, dans
l’enseignement public, l’enseignant titulaire est rémunéré à temps complet même
en cas de sous-service alors que dans l’enseignement privé s’il est forcé
d’effectuer un service incomplet faute d’un nombre d’heures suffisant, il est
rémunéré au prorata du nombre d’heures effectives. Mais, en tant qu’enseignant
dans un établissement privé sous contrat d’association, ces maîtres relèvent également
de l’autorité du chef d’établissement. D’autre part le chef d’établissement
peut « choisir » les enseignants qu’il recrute alors que dans le
« public » la nomination d’un enseignant propos s’impose au chef
d’établissement. La
réglementation indique précisément que le
chef d'établissement privé exerce sa responsabilité de constitution de l'équipe
enseignante.
Ces rappels juridiques et
administratifs montrent que l’enseignement privé ne jouit que d’une liberté
restreinte très encadrée par les termes du contrat. Pour autant, comme il est
dit plus haut, ces établissements gardent leur caractère propre garanti par
l’article L442-1 du code de l’éducation. La notion de caractère propre
est assez complexe à définir ; un caractère propre qui peut être
confessionnel, c’est-à-dire relevant de la tutelle « canonique » d’un
culte. C’est pour satisfaire aux conditions de fonctionnement de ce caractère
propre que le chef d’établissement peut « choisir ses enseignants ». Jean-Paul
Durand[12]
dessine la notion de caractère propre ainsi : « Un caractère propre
qui peut être confessionnel, c’est-à-dire relevant de la tutelle « canonique »
d’un culte. Mais d’autres caractères propres existent ; par exemple ils
relèvent d’une inspiration religieuse, philosophique, pédagogique. »
Ainsi, un rapport de l’Assemblée nationale de 2003 sur les signes religieux à
l’école précise : « le caractère propre [de l’établissement] peut
s’exprimer dans les activités extérieures au secteur sous contrat [l’enseignement
et le respect des programmes] ou bien, à l’intérieur même de ce secteur, par
une approche pédagogique différente qui peut tenir compte du caractère
confessionnel de l’établissement (article 4 de la loi Debré devenu
l’article I 442-5 du Code de l’Éducation nationale) ». C’est ainsi que la
loi interdisant le port de signes religieux à l’école ne s’applique pas à
l’enseignement privé où tout élève portant un signe ostentatoire de sa religion
quelle que soit celle-ci doit être admis dans l’établissement. Dans le cadre
d’un projet d’établissement spécifique l’enseignement privé peut organiser des
cours d’instruction religieuse pourvu que ceux-ci ne soient pas obligatoires
pour les élèves et qu’ils se déroulent en dehors des horaires impartis à
l’exécution des programmes scolaires : l’établissement peut ajouter une
heure spécifique à l’emploi du temps de l’élève, mais il ne peut pas ôter une heure
de mathématiques par exemple pour la remplacer par une heure d’instruction
religieuse. Le caractère propre reconnu à l’établissement entraîne à ce que cet
établissement ne rend compte que partiellement de ses projets et de ses
activités en dehors de celles décrites plus haut, c’est ainsi que lorsqu’un
établissement organise une sortie scolaire si l’établissement informe
l’autorité académique ce n’est que pour une vérification de la conformité du
projet de sortie scolaire avec le
projet éducatif national, comme en témoigne la décision de Justice à
propos de l’accident du Drac mettant en cause une école privée dont rendait
compte le journal £e Monde dans son édition du 17 septembre 1997 : « L'inspectrice
d'académie et l'inspectrice de l'éducation nationale, contre qui le procureur
avait requis une peine de dix mois avec sursis, ont été relaxées, au motif que
le contrôle exercé par l'éducation nationale en matière de classe de découverte
“se limitait à la vérification de la conformité du projet aux objectifs
éducatifs et pédagogiques”. La directrice de l'école a, elle-même, été mise
hors de cause. »
Outre les particularités liées
au statut des enseignants et celles liées au fonctionnement pédagogique de
l’établissement, un établissement privé peut demander, ce qui est la règle
générale, des frais d’inscription aux parents qui sont variables d’une école à
l’autre et à l’intérieur d’une même école d’un niveau de scolarité à l’autre.
Le fait de devoir payer la scolarité de son enfant entraîne une discrimination
alors que dans le public tous les enfants sont admis. Relevons que
l’enseignement privé ne fait pas de discrimination entre les enfants quelle que
soit leur religion, quelle que soit la position sociale comme lui impose le
contrat mais chacun comprendra que suivant le coût de la scolarité certains
enfants ne peuvent pas avoir accès à l’école privée. L’argent récolté à partir
des frais d’inscription sert bien entendu fonctionnement de l’établissement,
une « manne » financière dont ne disposent pas des écoles publiques.
Ces dernières ne peuvent pas non plus bénéficier de dons de la part de parents
ou d’organismes alors que les écoles privées peuvent en bénéficier.
L’ensemble de ses particularités
de l’enseignement privé le classe ostensiblement hors de la sphère publique ;
seul le contrat dont il faut rappeler qu’il est un contrat d’association, le
rapproche du service public d’éducation en tant qu’il en est un auxiliaire.
Mais en aucun cas on ne peut affirmer que l’enseignement privé fait partie du
service public. Bruno Poucet[13]
rappelle l’analyse d’Antoine Prost selon laquelle « qu’avec
la loi Debré, l’enseignement privé a changé de fonction. Il cesse ainsi d’être
un enseignement de simple défense d’une idéologie particulière pour devenir un
enseignement complémentaire de l’enseignement public ayant une fonction de
recours, en cas d’échec ».
Ainsi, si l’enseignement privé
remplit bien une mission de service public, notamment parce qu’il se conforme
aux mêmes règles mises de mise en œuvre des programmes scolaires et que ces
enseignants sont des agents de service public, il n’en est pas pour autant une
partie du service public pas plus qu’il n’appartient au service public puisque
le contrat qui le lie à l’État peut être rompu à tout moment. L’enseignement
privé est un auxiliaire du service public.
[1] Sabine Monchambert, l'enseignement privé
France, PUF coll Que-Sais-Je, 1993
[2]
Jean-Jacques Latouille de, Les écoles à TULLINS-FURES-FURES et les Lois
Jules-Ferry (1601- 1890), L’Harmattan, 2022
[3]
Claude Lelièvre, La loi Combes du 7 juillet 1904 interdit l’enseignement aux
congrégations, La
loi Combes du 7 juillet 1904 interdit l’enseignement aux congrégations – Le
blog de Claude Lelievre (educpros.fr)
[4]
Sabine Monchambert, l'enseignement
privé France, PUF coll Que-Sais-Je, 1993
[6]
Jean-Paul Durand, « Droit français du caractère propre confessionnel.
Contribution du droit français et du droit canonique à sa réception par son
école privée », L'Année canonique, 2011/1 (Tome LIII), p. 273-281. DOI : 10.3917/cano.053.0273. URL :
https://www.cairn.info/revue-l-annee-canonique-2011-1-page-273.htm
[7]
Sabine Monchambert, l'enseignement privé France, PUF coll Que-Sais-Je, 1993
[8]
Schématiquement, l’Etat ne signera pas de contrat dans un territoire (ville,
département, région) où le service public répond totalement à la demande des
usagers.
[9]
art. L.111-1 du code de l’éducation
[10]
art. L.122-1-1 du code de l’éducation
[11]
art. L.131-1-1 du code de l’éducation
[12]
Jean-Paul Durand, « Droit français du caractère propre confessionnel.
Contribution du droit français et du droit canonique à sa réception par son
école privée », L'Année canonique, 2011/1 (Tome LIII), p. 273-281. DOI : 10.3917/cano.053.0273. URL :
https://www.cairn.info/revue-l-annee-canonique-2011-1-page-273.htm
[13]
Bruno Poucet, L'enseignement privé en France au XXe siècle, Carrefours de
l'éducation, 2002/1 (n° 13), p. 152-171. DOI : 10.3917/cdle.013.0152. URL :
https://www.cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2002-1-page-152.htm