mardi 6 février 2024

Monsieur le Député : Non ! L’enseignement privé ce n’est pas le service public



Cet article traite un sujet dont il apparaît qu'il ne serait plus d'actualité, remplacé dans les médias par les manifestations d'agriculteurs. Or, la question de la place l'enseignement privé en France semble impérissable. Elle peut donc être traitée indépendamment voire à distance des faits qui marquent cette question. N'étant pas journaliste je peux ne pas respecter l'urgence de la description d'un fait, pour, au contraire, le confronter à l'analyse et à la réflexion.

  

Dimanche 14 janvier 2024, le président de la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, le député MODEM Jean-Louis Bourlanges, était l'invité du “8h30 franceinfo”.  Interrogé sur les déclarations de la ministre de l’Éducation nationale au sujet de la scolarisation de ses enfants dans un établissement scolaire privé, Jean-Louis Bourlanges déclarait que les enfants de la ministre « Sont élevés dans le service public car je rappelle que les établissements sous contrat font partie du service public. »

Monsieur le député a commis deux erreurs dans sa réponse. Première erreur : les écoles, qu’elles soient publiques ou privées, n’ont pas la charge d’élever les enfants mais seulement celle de leur apporter un enseignement académique joint à un enseignement « civique », deuxième erreur : les établissements privés ne font pas partie du service public.

Je ne traiterai que de la seconde erreur, la première alimentant un débat de philosophie de l’éducation ouvert au XVIIIe siècle qui n’est toujours pas vraiment clos.

 

Monsieur le député se trompe lorsqu’il affirme que les établissements scolaires privés sous contrat font partie du service public. En France, l’enseignement privé participe au service public de l’éducation nationale aux côtés de l’enseignement public. L’enseignement privé participe mais il n’est pas le service public. Sabine Monchambert[1] donne, dès l’introduction de son livre, une très bonne image de la situation de cohabitation entre l’enseignement public et l’enseignement privé : « L’État français, à côté de l’enseignement public dont il a la responsabilité (Préambule de la Constitution de 1946) reconnaît l’existence d’un secteur privé. Après deux siècles de débats, la liberté d’enseignement est aujourd’hui une liberté publique fondamentale dont la valeur constitutionnelle a été réaffirmée à deux reprises par le Conseil constitutionnel dans ses décisions du 28 novembre 1977 et du 18 janvier 1985. »

Pour comprendre cette situation il faut remonter à la Révolution qui reconnaissant le droit à l’instruction pour tous créait des obligations pour l’État en matière d’organisation de service public d’enseignement. Ainsi, cité par Sabine Monchambert, Talleyrand rappelait en 1791 devant l’Assemblée Constituante : « Il sera libre à tous particuliers, en se soumettant aux lois générales de l’enseignement public, de former des établissements d’instruction ; ils seront seulement tenus d’en instruire la municipalité et de publier le règlement. » Entre l’intention de l’enseignement public évoquée par Talleyrand et la création du service public d’enseignement voulu par Jules Ferry il s’est écrit une histoire longue et complexe dont je relate[2], par exemple, les péripéties dans mon ouvrage relatif aux écoles dans une petite ville de l’Isère : Tullins-Fures-Fures. Ainsi, on peut voir que l’éducation des enfants était, depuis longtemps, une préoccupation pour les édiles de la ville puisque les délibérations de la communauté font apparaître en 1601 que « le sieur Ennemond Damoure est élu pour remplir les fonctions de précepteur de la jeunesse avec jouissance des revenus et pensions légués en faveur de ceux qui instruisent la jeunesse, ainsi que des exemptions attachées auxdites fonctions. Le sieur Étienne Cheval fait offre de partie de sa maison pour le logement dudit précepteur ». Les archives montrent que la communauté prenait en charge l’école y compris sur le plan de son installation matérielle : « location (en 1655) par la communauté d’une maison aux dames Ursulines de Tullins-Fures destinée à l’école pour avoir un local plus spacieux et plus commode ». La période « révolutionnaire » confirme cet engagement pour une école « publique » puisque le Conseil Général de la commune accepta de charger en mai 1793 Charles Caziot de la mission de l’instruction publique : « Considérant que le citoyen Caziot a donné en cette ville (Montbrison) des preuves de ses talents pour l’éducation de la jeunesse, que depuis il a toujours fait les fonctions de précepteur à Montbrison à la satisfaction des habitants de cette ville, a arrêté qu’il [le Conseil Général de la commune] verra venir avec plaisir se fixer ici, et en sa faveur provisoirement une gratification annuelle de 150 livres à compter du jour qu’il commencera son instruction publique ».

En France l’École va aller, entre initiative privée et volonté publique, de loi en loi, jusqu’à la création de l’École que nous connaissons aujourd’hui. Déjà en décembre 1792 loi Lanthenas qui prévoyait une école primaire dans tous les lieux entre 400 et 1500 habitants et que les instituteurs, déclarés fonctionnaires publics, reçoivent une rémunération minimum de 1200 livres et soient logés par la commune. Cette loi n’a été appliquée en raison du manque de moyens financiers des communes qui se sont souvent tournées vers l’enseignement privé en lui déléguant cette charge comme peut l’illustrer cette délibération de 1818 où le conseil municipal de Tullins-Fures qui rapportait une requête des Dames Ursulines dans laquelle elles demandaient à s’installer à Tullins-Fures : « Le conseil ayant délibéré de l’utilité de l’établissement d’une communauté de Dames Ursulines et sur les avantages qu’il procurera à la commune. Considérant qu’il y avait avant la Révolution une semblable communauté à Tullins-Fures, qu’elle faisait du bien, soit par un enseignement gratuit pour les jeunes filles dont les parents étaient dépourvus de moyens, soit en admettant dans la maison de jeunes pensionnaires qui y recevaient les meilleurs principes et de l’instruction, soit par les charités qu’elles distribuaient à la classe indigente. Considérant que le rétablissement d’une pareille communauté donnerait à la commune dont la population a près de 4000 âmes et aux autres communes assez considérables dont elle est avoisinée, l’espoir de voir renouveler les bienfaits sus analysés… ». Puis ce fut, comme loi majeure, la Loi Guizot de 1833 qui obligeait les communes à être propriétaires d’une « maison d’école » au bénéfice de l’enseignement primaire. On peut voir là le début de l’organisation d’un service public national d’éducation. La loi Guizot en organisant l’école publique ne remettait pas en cause l’enseignement privé tout en le soumettant à des conditions strictes : déclaration d’ouverture de l’école, respect des conditions de salubrité, preuve de la capacité des personnels à enseigner. Toutefois, cette loi portait en germe la querelle entre « public » et « privé ». Puis ce fut la Loi Falloux en 1850 qui complétait la loi Guizot en rendant obligatoire une école de garçons dans toute commune de 500 habitants ainsi que la création d'une école de filles dans toute commune de 800 habitants ; la loi simplifie les conditions requises pour l’ouverture et le fonctionnement des écoles privées et ouvre le dispositif aux établissements d’enseignement secondaire. Ainsi, après les lois Guizot et Falloux le système scolaire, en France, comprenait deux sous-systèmes : l’enseignement public avec les écoles communales gérées par les communes et le collège géré par le département, et l’enseignement privé de congréganiste ou laïque.

La petite ville de Tullins-Fures, évoquée plus haut, mit en œuvre la loi comme l’indique la délibération du conseil municipal du 15 mars 1835 relative à « l’organisation de l’école primaire communale ». Ainsi on y trouve : « Il [le maire] a invité le conseil municipal à délibérer : sur la création d’une école primaire, élémentaire et communale, sur le choix du sujet à présenter pour être nommé instituteur communal… » Le 6 septembre 1832 la commune avait accédé à la demande du premier vicaire, Barbier, d’ouvrir un collège pour enseigner la grammaire française, grecque et latine, dans la maison de Monsieur Triolle. D’autre part plus de 150 enfants pauvres ne recevaient aucune instruction (conseil municipal du 12 décembre 1849). Aussi, le conseil municipal « considérant que les charges que la commune devra s’imposer pour ladite école seront compensées par l’instruction qui pourra être donnée à tous les enfants de familles indigentes » (conseil municipal du 11 novembre 1848). C’est donc avec empressement que la commune accepta plusieurs legs en 1848 et en 1849 pour que soit créée une école des Frères des Écoles Chrétiennes. Le 19 février 1852, Monsieur Garnier en fonction depuis 1850, prenait officiellement la direction de l’école des Frères des Écoles Chrétiennes à Tullins-Fures ; il était aidé par quatre frères rétribués par la commune. Ainsi, à Tullins-Fures l'existence de l'école communale laïque n'empêcha en rien la municipalité d'autoriser, voire de favoriser, la création d'une école congréganiste tenue par les Frères des Écoles Chrétiennes en 1850 comme le montre la délibération du conseil municipal du 12 décembre 1849 à l'occasion de l'acceptation d'un legs en faveur de l'établissement d'une telle école : « Considérant que depuis plusieurs années la commune s'occupe du projet d'élever une école des frères de la doctrine chrétienne, que cet établissement dont l'utilité a déjà été reconnue par le Conseil actuel et par les administrations antérieures, n'a été retardé jusqu'à ce jour que par le défaut de ressources suffisantes pour cet objet ». À l'aube des lois Jules Ferry, la cité offrait au bourg de Tullins-Fures une école des Frères des Écoles Chrétiennes, une école laïque communale, une école libre laïque de garçons, une école de filles et une salle d'asile, et, au hameau de Fures, une école libre de garçons, une école libre de filles et une salle d'asile qui permettaient à 98,5% des enfants de 6 à 13 ans de fréquenter l'école.

Cette première cohabitation en l’enseignement public et l’enseignement privé voit son harmonie fortement remise en question par la loi Combes du 7 juillet 1904 qui interdit l’enseignement aux congrégations ; relevons que cette loi ne faisait pas l’unanimité notamment au sein du camp des Républicains[3]. Comme l’indique Sabine Monchambert[4] « La république radicale du début de ce siècle (XXe siècle) porte directement atteinte à l’enseignement privé avec les lois de 1901 et de 1904 interdisant les congrégations. » Il faut attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour voir le principe de la liberté d’enseignement s’ouvrir à nouveau à un ensemble de partenaires notamment lorsqu’il s’applique au bénéfice d’autres secteurs que l’enseignement classique. L’organisation de l’enseignement technique, en 1919, créait un régime original ou la concertation entre le secteur public et le secteur privé peut être considérée comme une préfiguration du système contractuel qui sera mis en place par la loi Debré de 1959. Le régime juridique de l’enseignement privé prend alors, petit à petit, la forme qu’on lui connaît aujourd’hui grâce à une succession de textes législatifs et réglementaires comme, sous la IVe République, la Loi Marie qui, en 1951, admettait les élèves de l’enseignement privé au bénéfice des bourses d’enseignement général, la Loi Baranger qui autorisait les écoles privées à percevoir l’allocation scolaire voulue pour aider les communes à gérer leurs écoles, la Loi Baranger prévoit une allocation trimestrielle pour chaque enfant fréquentant l’école primaire publique ou privée. Pour le public, l’allocation sera versée à la Caisse départementale scolaire (relevant du Conseil Général) qui assure la répartition des fonds et pour le privé, aux associations de parents d’élèves.

Le principe de la liberté d’enseignement voulu par les Révolutionnaires de 1789 a donné lieu au fil du temps, en allant au-delà de la reconnaissance du pluralisme scolaire, à un système de cohabitation entre un secteur d’enseignement gérer par le « privé », le plus souvent religieux mais pas exclusivement, et un secteur géré par « le public ». Le seul accroc que l’on peut relever c’est celui, en 1904, de l’interdiction d’enseignement opposé aux congrégations religieuses, mais il faut noter que d’autres établissements « non religieux » pouvaient continuer à fonctionner. La loi Debré du 31 décembre 1959 a renforcé le principe de la liberté d’enseignement « en faisant appel, par souci de justice sociale, à l’idée de liberté concrète, il a défini les modalités de collaboration de tous les enseignants, dans le respect de leur mission propre, à un même service d’enseignement dans le cadre d’un système souple et gradué : indépendance, contrat et intégration. Un troisième secteur d’enseignement naît ainsi : l’enseignement privé sous contrat, associé à la mission de service public[5]. » Sont alors mis au point deux types de contrats : les contrats simples et les contrats d’association, qui permettent aux établissements privés de bénéficier d’une aide financière de l’État et des collectivités locales (communes, conseil départemental, région) tout en gardant une large part d’autonomie et leur caractère propre. Sont ainsi pris en charge la rémunération des enseignants du privé et une partie des frais de fonctionnement. Ce système d’association a été confirmé par le Conseil constitutionnel en 1985 éteignant ainsi la volonté du président François Mitterrand (proposition numéro 90 de son programme électoral) de créer « Un seul grand service public unifié et laïque de l’Éducation nationale ».

 

On voit à travers cette synthèse historique   illustrée par l’exemple de l’évolution de l’école  dans la petite ville Tullins-Fures  en Isère  comment l’enseignement privé a pu se positionner  comme  supplétif d’un système public défaillant parce que difficile à mettre en place pour des raisons financières notamment  après la Loi Guizot  ou  insuffisant pour répondre à la demande  au regard de la poussée démographique comme l’indique Jean-Paul Durand[6] « Devant la croissance démographique après la Seconde Guerre mondiale, l’État a pu calculer qu’en obtenant le concours d’écoles libres, cela lui coûterait moins cher que de faire porter cette charge par un surcroît d’effort de la part de l’enseignement public. » C’est dans ce contexte que la Loi Marie et La loi Baranger virent le jour, et c’est à cette situation de difficultés pour l’enseignement public que voulait répondre la loi Debré de 1959. Cette loi issue de la commission Lapie « refuse un système d’enseignement concurrent [au service public de l’éducation nationale], la reconnaissance d’un corps intermédiaire bénéficiant en tant que tel de prérogatives pour assurer mission de service public[7]. » Dès lors l’enseignement privé perd son statut de supplétif du service public pour devenir, par contrat, un auxiliaire reconnu du service public dans un esprit de partenariat et de coopération qui, tout en gardant son caractère propre, est soumis à un certain nombre de règles et de contrôles de la part de l’État.

 

Depuis la loi Debré, l’État ne coopère pas avec l’enseignement privé pris comme un ensemble d’établissements unifiés, mais il travaille avec chacun des établissements privés pris individuellement qui se lie avec l’État dans un contrat. C’est effectivement à chacun des établissements, individuellement, de solliciter de bénéficier du régime contractuel. Il est alors proposé aux établissements le choix entre le contrat d’association et le contrat simple. Par le contrat d’association l’établissement marque sa volonté de s’associer aux missions de service public qui incombe à l’État, le contrat simple est une forme plus souple de coopération entre l’établissement et l’État. Notons au passage que les établissements privés d’enseignement supérieur et les établissements accueillant des enfants en situation de handicap sont exclus de ce type de contrats ; cependant ces derniers dépendant du ministère de la Santé peuvent bénéficier du contrat simple.

 

Il faut cinq ans de fonctionnement à un établissement d’enseignement avant de pouvoir solliciter de passer un contrat avec l’État. Le site du Ministère de l’Éducation nationale indique : « Ce contrat oblige l’établissement à accueillir les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance. En contrepartie, l’État rémunère les enseignants, et les collectivités publiques doivent financer le fonctionnement de l’établissement dans les mêmes proportions qu’elles financent les établissements d'enseignement public. Toutefois, quand il s’agit d’un contrat simple, les communes n'ont pas l'obligation de participer au financement. Bien évidemment l'État se doit de contrôler les établissements avec lesquels il contracte comme d’ailleurs il contrôle ses propres établissements, en outre l’État ne signe un contrat qu’après que le Recteur ait reconnu l’existence d’un besoin scolaire[8]. Une fois le contrat conclu, après une longue procédure, tous les établissements privés sont soumis à des inspections, ce qui ne les empêche pas de conserver leur caractère propre. Ce contrôle se fait sous la double autorité du préfet et du recteur ; il s’agit de contrôles administratifs qui s’assurent que le directeur et les enseignants disposent des diplômes requis et que sont respectées les dispositions juridiques relatives à l’obligation scolaire, l’ordre public, la prévention sanitaire et sociale et à la protection de l’enfance et de la jeunesse ; la Loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a créé une procédure de fermeture administrative par le préfet et élargi le champ du contrôle exercé sur ces établissements (contrôle de l'origine du financement à tout moment et de l'honorabilité de l'ensemble des personnels). Le recteur, quant à lui, à la compétence du contrôle pédagogique par lequel il s’assure que l’enseignement se conforme aux droits garantis par les traités et par la Constitution ; il s’agit alors de vérifier que le droit à l’éducation qui permet à chaque enfant de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté[9], est effectivement mis en œuvre. Les établissements signataires du contrat s’engagent à ce que les élèves qui lui sont confiées acquièrent les instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base[10], et pour ce qui concerne l’enseignement professionnel et technique que les élèves reçoivent la formation adéquate. D’autre part l’établissement s’engage à ce que les élèves reçoivent une éducation leur permettant « de développer son sens moral et son esprit critique, de partager les valeurs de la République[11] ». L’inspection des enseignants des établissements sous contrat par les inspecteurs de l’éducation nationale dans les mêmes conditions qu’elle s’effectue pour les enseignants « publics » est une manière de garantir que l’enseignement donné dans un établissement sous contrat est conforme aux attentes édictées par le code de l’éducation. Là apparaît une ambiguïté liée au statut des enseignants, sans doute à l’origine de l’erreur de monsieur le député Bourlanges. La loi n° 2005-5 du 5 janvier 2005, dite "loi Censi" a octroyé aux maîtres des établissements d'enseignement privés sous contrat un statut d’agents de droit public qui leur est spécifique. Ils sont régis par un contrat de droit public et sont donc des agents de l’État. Ils sont nommés par le recteur. Leur carrière est régie par des textes réglementaires tels que définit dans le Code de l’Éducation mais leur salaire est inférieur, en moyenne de 12%, à celui des enseignants « publics ». Autre particularité, dans l’enseignement public, l’enseignant titulaire est rémunéré à temps complet même en cas de sous-service alors que dans l’enseignement privé s’il est forcé d’effectuer un service incomplet faute d’un nombre d’heures suffisant, il est rémunéré au prorata du nombre d’heures effectives. Mais, en tant qu’enseignant dans un établissement privé sous contrat d’association, ces maîtres relèvent également de l’autorité du chef d’établissement. D’autre part le chef d’établissement peut « choisir » les enseignants qu’il recrute alors que dans le « public » la nomination d’un enseignant propos s’impose au chef d’établissement.  La réglementation indique précisément que le chef d'établissement privé exerce sa responsabilité de constitution de l'équipe enseignante.

 

Ces rappels juridiques et administratifs montrent que l’enseignement privé ne jouit que d’une liberté restreinte très encadrée par les termes du contrat. Pour autant, comme il est dit plus haut, ces établissements gardent leur caractère propre garanti par l’article L442-1 du code de l’éducation. La notion de caractère propre est assez complexe à définir ; un caractère propre qui peut être confessionnel, c’est-à-dire relevant de la tutelle « canonique » d’un culte. C’est pour satisfaire aux conditions de fonctionnement de ce caractère propre que le chef d’établissement peut « choisir ses enseignants ». Jean-Paul Durand[12] dessine la notion de caractère propre ainsi : « Un caractère propre qui peut être confessionnel, c’est-à-dire relevant de la tutelle « canonique » d’un culte. Mais d’autres caractères propres existent ; par exemple ils relèvent d’une inspiration religieuse, philosophique, pédagogique. » Ainsi, un rapport de l’Assemblée nationale de 2003 sur les signes religieux à l’école précise : « le caractère propre [de l’établissement] peut s’exprimer dans les activités extérieures au secteur sous contrat [l’enseignement et le respect des programmes] ou bien, à l’intérieur même de ce secteur, par une approche pédagogique différente qui peut tenir compte du caractère confessionnel de l’établissement (article 4 de la loi Debré devenu l’article I 442-5 du Code de l’Éducation nationale) ». C’est ainsi que la loi interdisant le port de signes religieux à l’école ne s’applique pas à l’enseignement privé où tout élève portant un signe ostentatoire de sa religion quelle que soit celle-ci doit être admis dans l’établissement. Dans le cadre d’un projet d’établissement spécifique l’enseignement privé peut organiser des cours d’instruction religieuse pourvu que ceux-ci ne soient pas obligatoires pour les élèves et qu’ils se déroulent en dehors des horaires impartis à l’exécution des programmes scolaires : l’établissement peut ajouter une heure spécifique à l’emploi du temps de l’élève, mais il ne peut pas ôter une heure de mathématiques par exemple pour la remplacer par une heure d’instruction religieuse. Le caractère propre reconnu à l’établissement entraîne à ce que cet établissement ne rend compte que partiellement de ses projets et de ses activités en dehors de celles décrites plus haut, c’est ainsi que lorsqu’un établissement organise une sortie scolaire si l’établissement informe l’autorité académique ce n’est que pour une vérification de la conformité du projet de sortie scolaire  avec  le  projet éducatif national, comme en témoigne la décision de Justice à propos de l’accident du Drac mettant en cause une école privée dont rendait compte le journal £e Monde dans son édition du 17 septembre 1997 : « L'inspectrice d'académie et l'inspectrice de l'éducation nationale, contre qui le procureur avait requis une peine de dix mois avec sursis, ont été relaxées, au motif que le contrôle exercé par l'éducation nationale en matière de classe de découverte “se limitait à la vérification de la conformité du projet aux objectifs éducatifs et pédagogiques”. La directrice de l'école a, elle-même, été mise hors de cause. »

Outre les particularités liées au statut des enseignants et celles liées au fonctionnement pédagogique de l’établissement, un établissement privé peut demander, ce qui est la règle générale, des frais d’inscription aux parents qui sont variables d’une école à l’autre et à l’intérieur d’une même école d’un niveau de scolarité à l’autre. Le fait de devoir payer la scolarité de son enfant entraîne une discrimination alors que dans le public tous les enfants sont admis. Relevons que l’enseignement privé ne fait pas de discrimination entre les enfants quelle que soit leur religion, quelle que soit la position sociale comme lui impose le contrat mais chacun comprendra que suivant le coût de la scolarité certains enfants ne peuvent pas avoir accès à l’école privée. L’argent récolté à partir des frais d’inscription sert bien entendu fonctionnement de l’établissement, une « manne » financière dont ne disposent pas des écoles publiques. Ces dernières ne peuvent pas non plus bénéficier de dons de la part de parents ou d’organismes alors que les écoles privées peuvent en bénéficier.

 

L’ensemble de ses particularités de l’enseignement privé le classe ostensiblement hors de la sphère publique ; seul le contrat dont il faut rappeler qu’il est un contrat d’association, le rapproche du service public d’éducation en tant qu’il en est un auxiliaire. Mais en aucun cas on ne peut affirmer que l’enseignement privé fait partie du service public. Bruno Poucet[13] rappelle l’analyse d’Antoine Prost selon laquelle « qu’avec la loi Debré, l’enseignement privé a changé de fonction. Il cesse ainsi d’être un enseignement de simple défense d’une idéologie particulière pour devenir un enseignement complémentaire de l’enseignement public ayant une fonction de recours, en cas d’échec ».

Ainsi, si l’enseignement privé remplit bien une mission de service public, notamment parce qu’il se conforme aux mêmes règles mises de mise en œuvre des programmes scolaires et que ces enseignants sont des agents de service public, il n’en est pas pour autant une partie du service public pas plus qu’il n’appartient au service public puisque le contrat qui le lie à l’État peut être rompu à tout moment. L’enseignement privé est un auxiliaire du service public.

 

 


[1] Sabine Monchambert, l'enseignement privé France, PUF coll Que-Sais-Je, 1993

[2] Jean-Jacques Latouille de, Les écoles à TULLINS-FURES-FURES et les Lois Jules-Ferry (1601- 1890), L’Harmattan, 2022

[3] Claude Lelièvre, La loi Combes du 7 juillet 1904 interdit l’enseignement aux congrégations, La loi Combes du 7 juillet 1904 interdit l’enseignement aux congrégations – Le blog de Claude Lelievre (educpros.fr)

[4]   Sabine Monchambert, l'enseignement privé France, PUF coll Que-Sais-Je, 1993

[6] Jean-Paul Durand, « Droit français du caractère propre confessionnel. Contribution du droit français et du droit canonique à sa réception par son école privée », L'Année canonique, 2011/1 (Tome LIII), p. 273-281. DOI : 10.3917/cano.053.0273. URL : https://www.cairn.info/revue-l-annee-canonique-2011-1-page-273.htm

[7] Sabine Monchambert, l'enseignement privé France, PUF coll Que-Sais-Je, 1993

[8] Schématiquement, l’Etat ne signera pas de contrat dans un territoire (ville, département, région) où le service public répond totalement à la demande des usagers.

[9] art. L.111-1 du code de l’éducation

[10] art. L.122-1-1 du code de l’éducation

[11] art. L.131-1-1 du code de l’éducation

[12] Jean-Paul Durand, « Droit français du caractère propre confessionnel. Contribution du droit français et du droit canonique à sa réception par son école privée », L'Année canonique, 2011/1 (Tome LIII), p. 273-281. DOI : 10.3917/cano.053.0273. URL : https://www.cairn.info/revue-l-annee-canonique-2011-1-page-273.htm

[13] Bruno Poucet, L'enseignement privé en France au XXe siècle, Carrefours de l'éducation, 2002/1 (n° 13), p. 152-171. DOI : 10.3917/cdle.013.0152. URL : https://www.cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2002-1-page-152.htm

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