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mardi 27 juillet 2021

L’ÉCOLE N’EST PAS UN SANCTUAIRE ou l’école expliquée aux hommes politiques (1)

L’éducation est un thème majeur de la réflexion politique depuis la Révolution comme elle l’avait été de la philosophie depuis l’Antiquité jusqu’aux Lumières. La République, en France, se constituant puis s’affirmant contre l’Église catholique transforme l’éducation en sujet de discorde mais aussi en moyen pour étayer une République encore mal assurée.

Si au début de la République, troisième de ce nom, et jusqu’à l’avènement de la V° République l’éducation pouvait être un projet de société pour la politique et les hommes politiques, depuis les années 1960 elle est devenue une antienne qui hante les candidats à des fonctions de gouvernement et donc les programmes électoraux. Elle est réduite au rang d’objet marketing dans les campagnes électorales ; c’est à qui vantera le mieux des actions éblouissantes. En 2017 un tel nous vantait les mérites de l’uniforme pour les écoliers, un autre la division par deux des effectifs des classes de CP et de CE1 (sans nous dire à quel niveau se situe l’effectif initial), un autre encore préconise que l’on mette deux enseignants par classe au collège, un autre encore nous invite à guillotiner les pédagogues ; on pourrait ainsi écrire une encyclopédie volumineuse en effectuant un récolement de toutes ces « excellentes idées ». Des propositions éparses, en forme d’action, des recettes avec peu de cohérence entre elles ne constituent pas un projet politique au sens premier de ce mot.

Ce glissement est une des conséquences de la disparition des hommes politiques qui ont été remplacés par des politiciens.

Pour le sociologue Max Weber[1] : « Le politique c’est l’ensemble des efforts que l’on fait en vue de participer au pouvoir ou d’influencer la répartition des pouvoirs soit entre États, soit entre les divers groupes d’un même État ». Le politique permet la confrontation des idées, des projets et des façons de les conduire pour ce qu’on estime être le bien de la société. C’est donc un espace de tension et de choix, c’est donc un espace de conquête du pouvoir indispensable à la conduite de toute société. Les hommes politiques étaient ceux qui donnaient du sens au politique dans toutes ses composantes en faisant vivre une idéologie (socialisme, communisme…) ou en incarnant un projet sociétal fort (gaullisme, léninisme…). Pour assurer la mise en œuvre du projet de société dont ils étaient porteurs, les hommes politiques ont été à la conquête du pouvoir qui est la condition sine qua non de la réalisation d’une relation humaine orientée vers un but.

Depuis le milieu du 20° siècle les idéologies se sont affaiblies, voire ont disparu, pour être remplacées par des référentiels technocratiques que les politiciens essaient de vendre comme réponses aux inquiétudes des foules. Les politiciens, professionnels de la politique, ne créent pas ni ne portent une idéologie ; les politiciens vendent des cataplasmes pour calmer les symptômes des maladies de la société. Ils ne sont pas porteurs d’un projet de société, ils ne font plus rêver, ils essaient juste de ne pas déplaire. Les hommes politiques jadis s’abreuvaient à la fontaine des philosophes et des sciences. La culture des politiciens se construit aujourd’hui entre les résultats des sondages et les conclusions des think thanks ; parfois ils s’imprègnent de quelques idées distillées par leurs conseillers qui ne se risquent pas à déplaire. Ainsi, l’école de Condorcet, de Rabeau Saint Etienne, de Guizot et de Jules Ferry venait des lectures qu’ils avaient faites de Aristote, Erasme, Montaigne, Coménius, Lockes, Pestalozzi, Kant, Rousseau, etc. Aujourd’hui, à l’ère de l’homo économicus où le public (je n’ose pas parler du consommateur) a remplacé le citoyen, le new-management est élevé au rang de projet éducatif et la pédagogie devrait se limiter aux neurosciences. Les recettes remplacent le projet, l’immédiateté empêche la réflexion et l’impératif de satisfaire l’électorat interdit toute véritable réforme ; le politicien ne crée pas, pas plus qu’il ne réforme, il colmate ! Aujourd’hui le projet éducatif n’est pas de construire des citoyens autonomes, il s’agit de faire que les hommes soient rentables pour l’économie (celle des financiers) et qu’ils se satisfassent de quelques plaisirs immédiats en écartant tout rapport à la philosophie, à la sociologie et à une quelconque pensée humaniste. La société n’a plus de temps à perdre, alors on gère. Et on s’étonne que les parents, ainsi que les élèves, soient devenus des consommateurs d’école.

Il est temps, pour le bien des hommes mais aussi pour les finances publiques, que l’École[2] revienne à son essence qui est d’élever l’enfant à devenir un être social et autonome. Ce n’est pas incompatible avec la réussite comme en témoignent les systèmes mis en œuvre à Singapour et en Finlande…

Le politicien comme l’homme politique reçoit mandat d’organiser la vie de la cité dont l’École est une composante primordiale. Il est de son devoir de dépasser les symptômes du mal-être de la société par rapport à une organisation qui ne répond plus aux attentes et qui devient anxiogène, il doit sinon construire du commun du moins en élaborer les conditions d’émergence ; le politicien doit situer l’élaboration de son projet pour l’École dans un triangle tracé entre les faits sociaux, les experts et les citoyens. Il faut qu’il quitte ses habits de gestionnaire (basique) pour devenir le promoteur et le metteur en scène d’un projet d’éducation qui porte l’espoir que les gens ont pour leur enfant. Un tel projet n’est pas incompatible avec la modernité dans laquelle nous vivons, mais pour cela il faut quitter le bricolage et le rafistolage pour travailler à la construction d’une œuvre maîtresse. Encore faut-il d’une part se départir de ses nostalgies, de ses idées fausses et de ses préjugés, et d’autre part savoir ce qu’est l’École et comprendre les tensions dynamiques qui l’animent.

 À suivre...



[1] Max Weber, le savant et le politique, ed 10-18, 1994, p125.

[2] L’École est le système institutionnel mis en place par une société pour organiser et gérer l'éducation de sa jeunesse.

Avant Jules Ferry il y avait des écoles

  Ce billet est un complément autant qu’une explicitation de mon précédent billet : « Monsieur le Député : Non ! L’enseignement privé ce n’e...