Affichage des articles dont le libellé est système éducatif. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est système éducatif. Afficher tous les articles

mercredi 22 décembre 2021

Le concept de territoire est-il pertinent pour gérer le système éducatif français ?

 




Communication présentée le 7 décembre 2021 au séminaire de recherche du Centre International de Management Public, IPAG-Université de Poitiers.

  

L’usage du mot territoire rappelle la phrase du Président de la République Charles de Gaulle (1965) : « On peut sauter sur sa chaise comme un cabri et dire l’Europe, l’Europe, et ça n’aboutit à rien et ça ne signifie rien. » Ainsi, aujourd’hui face à l’avalanche d’utilisation du mot on peut dire « territoire, territoire... et ça ne change rien, et on ne sait pas très bien ce que ça signifie... ». Le mot territoire est un mot très utilisé dans les discours de concepteurs et de gestionnaires des politiques publiques : Paris et les territoires, les territoires d’exclusion, les territoires perdus de la République. La France dispose d’une Banque des territoires et d’un ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales.

Les sciences sociales ne sont pas avares en matière d’utilisation du mot territoire auquel on a souvent recours pour décrire « scientifiquement » des politiques publiques ou pour leur donner de la consistance comme le montre le sociologue Michel Billé dans un article paru dans la revue de l’association CMT-France où il parlait de l’inclusion : «  inclusion sur un territoire... », «  Un territoire inclusif... », «  Conformément au projet de territoire... », «  le parcours du patient sur un territoire de santé » qu'il faut apprendre à distinguer du «  territoire de soin »...

L’Éducation nationale n’échappe pas à ce concert : Territoires Numériques Éducatifs, Territoires éducatifs ruraux, ou comme l’écrivait la revue citée plus haut : « La circonscription d’IEN pour laquelle la notion de territoire sera capitale pour les années à venir... » Pour autant une circonscription d’inspecteur est-elle un territoire ? Malgré tout, à l’Éducation nationale on persiste et on signe pour que le « territoire » soit pris en compte dans la gestion du système éducatif ; ainsi la revue Éducation et Formation (revue éditée par le ministère) propose un numéro intitulé : « Les territoires de l’éducation : des approches nouvelles, des enjeux renouvelés. », dans lequel on peut lire que « La connaissance des territoires est indispensable à la compréhension des politiques éducatives et de leurs résultats ainsi qu’à la mise en œuvre de ces politiques dans les territoires ». Dans la même veine Jean-Michel Blanquer, actuel ministre de l’Éducation nationale, dans son livre « l’École de demain » (2016) écrit parmi ses propositions de réforme du système éducatif qu’il faut « Favoriser l'expérimentation dans les territoires où les besoins sont les plus forts [...] Faire émerger des circonscriptions de l'école obligatoire, c'est à dire des circonscriptions d'IEN ou des bassins pour dépasser la coupure école/collège... »

Nous pouvons, comme Michel Cattla, nous demander si « territoire » ne serait pas un de ces mots vertueux, comme projet, réseau, développement durable, qu’on met et qu’on trouve un peu partout sans qu’on puisse d’emblée leur attribuer une définition stricte et qu’apparaisse un sens éclatant. D’ailleurs Michel Billé termine sa liste par ces mots : « sans qu’on vous explique ce qu’est un territoire » ; de la même façon le syndicat des inspecteurs questionne à propos de la distinction et des différences de fonctionnement entre les deux corps d’inspection (1er et 2nd degrés) : « Ces deux difficultés résultent d'une incapacité persistante à imaginer le territoire autrement que comme une entité géographique stable au sein de laquelle se répartissent des écoles et des établissements de diverses natures. Nous avons insisté à de nombreuses reprises pour réclamer que le territoire soit défini par le projet qui fédère ces structures plutôt que par la catégorie administrative de ces dernières. »

 

Finalement : qu’est-ce qui rend si difficile la conception d’une définition de « territoire », et qu’est-ce qui fait un « territoire » ?

 

Yves Jean introduit les actes du colloque « Lire les territoires[1] » par un article intitulé : « La notion de territoire : entre polysémie, analyses critiques et intérêts ». De l’analyse de cette polysémie on retire que l’appropriation du mot et de la notion de « territoire » par le langage commun, c’est à dire par les acteurs locaux, est sans doute le résultat d’un long processus social complexe qui marque au début des années 1980, amplifié depuis les années 1990, le « retour de l’acteur », le « retour du sujet » en réaction à un contexte économique et idéologique caractérisé par la mondialisation et une déterritorialisation accentuée de la production. Dans ce contexte social et économique émerge alors une « volonté individuelle d’ancrage, d’identité, d’un besoin de territoire, d’être de quelque part ». À partir de là se constitue une nouvelle forme de citoyenneté localisée qui oblige à séparer l’appartenance sociale et l’appartenance citoyenne afin de privilégier l’individu. On peut alors relever que cette reconquête par l’acteur du local, ou par le local de l’acteur, se fait sur la base d’une vision globale au niveau local qui prend en compte les interactions complexes entre l’économique, le social, le culturel et l’environnemental et qui pose la question de la tension entre l’affirmation des ancrages locaux et l’universalisme.

 

C’est dans cette tension entre des ancrages locaux et « l’universalisme » qu’il faut regarder la gestion du système éducatif dans la mesure où la notion de territoire est à la fois juridique, sociale, culturelle et sans nul doute affective.  L’affectivité liée à la notion de territoire prend corps dans le fait que le territoire c’est l’espace de référence pour savoir ce qu’on y fait, comment on s’y protège, ce que l’on va y faire, et ce qu’on deviendra. Donc dans le rapport de l’individu au territoire il y a avant tout une question d’appropriation : de l’espace, du temps, des interrelations humaines à travers des réseaux, de la relation espace/société..., marquées par des questions de mobilité (sociales mais surtout physiques quotidiennes) et par le poids de l’individualisme ou de l’atomisation de la société.

 

Ainsi le territoire (différent de la carte) est un espace identifié autour d’une construction sociale. On retrouve cette idée de construction sociale chez la sociologue Agnès van Zanten qui écrit[2] à propos de l’école des « quartiers » qu’il ne faut pas voir l’espace local comme une donnée, « Il s'agit au contraire de mettre l'accent sur cet espace comme une construction sociale dotée d'une certaine cohésion interne et d'une autonomie relative par rapport au centre mais, en même temps, structurellement articulé à celui-ci par des rapports de domination et de dépendance. » Outre l’idée de construction sociale il faut retenir la question, donc la possible tension, autour de l’“autonomie relative par rapport au centre” qui n’est pas sans rappeler la tension entre l’affirmation des ancrages locaux et l’universalisme. Cet accrochage au centre, sans doute inévitable, rappelle que le territoire est aussi un espace d'organisation politique[3], et en tant qu'il est un espace d'organisation politique de la société le territoire intéresse particulièrement la gestion du système scolaire car celui-ci est une des formes de l’action publique qui organise la vie sociale.

 

Si comme André Micoud nous pensons le territoire comme étant le résultat de la construction sociale, politique et pour finir institutionnelle, par laquelle un pouvoir s'autorise et s'insinue pour la résolution d'un problème, l'École ne peut pas faire l’économie de la réflexion et de la gestion des territoires, notamment si elle est une réponse à une demande sociale. L’hypothèse, dans le contexte actuel, est donc que la gestion de l'action publique devrait reposer sur une différenciation des territoires et des populations au-delà du processus de décentralisation/déconcentration, et poser la question de la tension entre l’affirmation des ancrages locaux et l’universalisme ; notamment pour l’École qui, plus que tout autre territoire, est au cœur de cette tension car elle est la création d'un espace de référence pour savoir ce qu'on y fait, comment on s'y protège, ce que l'on va y faire, ce que l'on deviendra. Or il apparaît que ces questions : l’ancrage local des acteurs et la relation local-centre, ne sont apparemment jamais posées en amont de la construction des découpages administratifs ni des projets de politiques publiques. Notamment on ne prend pas en compte les mobilités, les conditions et le fonctionnement des interrelations humaines... La gestion du système éducatif doit s'intéresser à la territorialisation comme étant la façon dont les usagers s'approprient les espaces et en font un territoire c'est à dire un lieu de réponse à leur demande et de traitement de leurs problèmes, sans négliger une réflexion sur les modes de production et de défense de ce territoire.

Dire cela c’est dire que le concept de territoire est pertinent pour gérer le système éducatif à quelques conditions : revoir la décentralisation et la déconcentration, poser (et résoudre) la question de l’autonomie des structures locales, simplifier l’intervention du « centre » qui d’organisateur doit devenir plus animateur et sans doute réduire voire supprimer des structures « locales » : rectorat, DASEN... qui loin d’être des acteurs qui impulsent ne sont que des courroies de transmission entre le centre et le local (histoire des poupées russes pour le projet d’établissement) renforçant ainsi le pouvoir du centre et figeant la tension entre l’affirmation des ancrages locaux et l’universalisme.

 

Jean-Jacques LATOUILLE[4]

Inspecteur de l’Éducation nationale honoraire

Ancien conseiller du ministre de l’Éducation nationale du Gabon

Membre de l’Ordre Mondial des Experts Internationaux

 



[1] Yves Jean et Christian Calenge (dir.), Lire les territoires, Presses universitaires François-Rabelais Tours, 2002 ; Publication sur Open Edition Books, 2013.

[2] Van Zanten A., L’école de la périphérie, PUF, Paris, 2001.

[3] Ce qui a trait à la vie collective dans un groupe d'hommes organisé.

[4] Latouille J.J., "Place du concept de territoire dans la formation des cadres intermédiaires" dans territoires éducatifs et gouvernance, SCEREN et Presses Universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2003.

lundi 27 juillet 2020

ECOLE : HISTOIRE ET RESSOURCES HUMAINES



OU L’HISTOIRE POUR JUSTIFIER LA NÉCESSITÉ DE RECOURIR À LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES DANS L’ÉDUCATION NATIONALE.

Texte écrit à la suite d’un débat lors d’une journée d’étude de l’association APPRENDRE, Université Lumière Lyon 2, 1992.

  

« Le système éducatif français s’enfonce et pourtant il demeure un des meilleurs du monde », écrit Alain Minc dans son dernier livre « Français si vous osiez ». Les systèmes éducatifs de notre pays ne seraient‑ils qu’une sorte de tour de Pise, si belle, qui pourtant intéresse plus à ce qu’elle possède de risques de disparaître qu’à son esthétique propre ? Sans doute que non, car les enjeux de l’éducation sont d’une tout autre nature : d’une nature qui naît du besoin de pérennisation que possèdent tout être humain et toute société. Cependant cette analogie, d’apparence si fragile, entre une tour est un système éducatif prend force dans une communauté qui pourrait les unir au sein d’un discours autour de l’absence de projet. Si la tour de Pise menace tant de s’effondrer c’est bien parce qu’il n’existe aucun projet (d’utilisation) pour elle. Un embryon d’analyse historique à propos du système éducatif laisse à craindre que cette analogie ne devienne, si ce n’est déjà le cas, une réalité redoutable. Un euphémisme facile consiste à déclarer qu’il n’y a pas d’éducation possible sans projet. Nous tenterons, partant de cette apparente facilité, de montrer combien la notion de projet a toujours supporté le système éducatif, réalisant par là un lien entre histoire et nécessité moderne de gestion des ressources humaines.

 

Lorsqu’en 1452, le dauphin Louis II (futur Louis XI) crée une université à Valence (en Dauphiné), il a l’espoir d’éviter la fuite des intellectuels vers d’autres provinces. Ce projet, car c’en est un, si l’on considère avec le dictionnaire Robert qu’un projet est « un but que l’on pense atteindre et des moyens que l’on emploiera », ce projet, donc, s’inscrit dans la mouvance politique du Delphinat de Louis XI qui trouvait en Dauphiné un champ d’expérience pour son entrée dans le métier d’administrateur. Voilà que le projet se niche dans le creuset d’une politique centralisatrice, d’évidence puisque monarchique : le pouvoir politique central dispose d’un projet pour une institution éducative, et l’impose.

 

Lorsqu’en 1601 la communauté de Tullins (petite ville de la région grenobloise) appelle le sieur Damour pour remplir les fonctions de précepteur de la jeunesse, un pouvoir local, décentralisé par rapport à celui central, est mû par le projet de permettre aux enfants de la ville d’être enseignés.

 

Toujours dans cette petite ville de Tullins, le 15 mai 1793 « les citoyens chef de famille » adressaient une pétition au conseil général de la commune de laquelle il réclame l’ouverture d’une école. Là encore un projet sous‑tend la demande : que les enfants possèdent un lieu où apprendre. Cette demande émane de ce qu’aujourd’hui nous appellerions les usagers, les parents d’élèves.

 

Ainsi, avec ces trois exemples nous pouvons voir se dessiner un spectre de dispersion des sources de projet sous tendant le système éducatif : un pouvoir central (le monarque), un pouvoir local et enfin un groupe d’usagers. Mais pour tous, ici, si nous voyons bien l’origine du projet, la mise en œuvre demeure inconnue ou pour le moins cachée. C’est ce qui entraîne trop souvent à penser de façon réductionniste qu’il y avait absence de projet, d’autant que les moyens pédagogiques qui devaient permettre d’accéder au but appartenaient à une « idéologie », émanant d’intellectuels bien souvent éloignés, par l’espace et par la pensée, des commanditaires du projet qui ne fonctionnait que dans leur pragmatique. Après la Révolution, et plus encore avec les lois Ferry, on peut penser qu’il y eut un certain rapprochement entre « la pensée sur l’éducation », les commanditaires et les décideurs. Sans doute lorsque les ministres de l’instruction publique, de Guizot à Ferry, mettaient en œuvre un système scolaire, ils donnaient forme et moyens à une pensée collective sur l’éducation comme nous avons pu le montrer dans un mémoire (L’application des lois Jules Ferry à Tullins, université Lumière Lyon2). Il s’agissait bien là d’un projet, et pas d’une simple politique, dans le sens où tous les acteurs du système devaient en être partie prenante : un pouvoir central décideur et « définisseur », un pouvoir local financeur, des utilisateurs (les parents) qui avaient choisi entre l’école publique et l’école privée. Seuls les membres fonctionnels du projet, les enseignants, semblaient absents de toute participation à la phase d’élaboration. À notre avis ceci n’est qu’apparence, s’ils n’avaient pas droit à une parole revendicatrice, mais ils constituaient l’élément facilitateur ou bloquant du système suivant le zèle qu’ils mettaient ou non dans l’exercice de leur mission.

 

Ainsi de Jules Ferry jusqu’aux années 1980, notre système éducatif a vécu dans et pour un projet « unanime » mis en place et contrôlé dans un pouvoir central légitimé par les membres de cette composante unanime. Ce n’est pas pour autant que tout allait bien dans le meilleur des mondes ; notamment le mouvement d’idées des années 1968 remit fortement en cause sinon l’idée fondatrice du système scolaire, du moins la place et le fonctionnement des unités qui le composent : établissements, enseignants et élèves. Pire encore, sans doute parce que plus pragmatiques donc plus oppressantes que les idées, les données économiques bouleversées par les chocs pétroliers entraînèrent, voire obligèrent, à déplacer la notion de projet appliqué aux systèmes éducatifs à la fois sur son axe originel et sur son axe opérationnel. Très schématiquement, la société se déplace du pouvoir central vers le pouvoir local. Là, il est intéressant de lire ce qu’écrit le sociologue Serge Wachter : « La conjoncture est favorable pour que l’intérêt se fixe sur les régions françaises, et, plus extensivement, sur cette diversité bigarrée de vies locales qui semble se doter d’une nouvelle autonomie sous les effets cumulés de la crise économique et de la décentralisation politique et administrative. » En conséquence de quoi il nous semble que l’école ne peut plus faire l’impasse sur l’établissement d’une relation constructive et prospective avec les instances locales. Cela d’autant plus que, comme l’écrit la sociologue Jacqueline Mengin, « Les crédits d’État, moins riche, fuient de plus en plus »… donc « Les élus locaux, régionaux, départementaux se sont trouvés investis de responsabilités nouvelles en matière de développement économique, d’action sociale, de formation alors que le volume des crédits transférés leur paraît tout à fait insuffisant […] Ils cherchent à trouver des critères d’attribution des crédits, objectifs et plus efficaces. En même temps ils poussent à la contractualisation et la concertation entre partenaires locaux. […] Celle‑ci (la décentralisation) suppose que soient définis les objectifs poursuivis, les moyens mis en œuvre pour y parvenir. »

 

Il semble donc inéluctable, et indispensable, de passer d’une notion de projet national à celle de projet d’établissement. Serait‑il concevable que l’école aille à contre‑courant d’une évolution de type sociohistorique ? Demeure que l’élaboration de projets d’établissement pose entre autres problèmes celui de la gestion des ressources humaines. Sans entrer ici dans un débat technique approfondi, tentons une analyse comparative historicienne de cette dimension. Les exemples que nous avons donnés et leur analyse, nous ont permis de voir où se situait l’origine du projet, donc conséquemment son point d’aboutissement et les instances de mise en œuvre. Dans le cas de l’université de Valence, comme dans ceux du 17e siècle et de 1793 concernant la ville de Tullins, c’est le pouvoir local qui avait la maîtrise du recrutement et de la carrière des personnels. On retrouvera ce phénomène pendant une partie du 19e siècle jusqu’à la loi de Gobblet de 1886. Cette loi qui, comme l’écrit Claude Lelièvre « comprend une organisation pédagogique (élaboration de programmes et de diplômes nationaux), une dimension financière (définition des obligations des communes) et une dimension administrative (détermination d’un corps enseignant sous le contrôle d’une hiérarchie d’inspecteurs dépendant de l’administration centrale) », traduit bien l’hyper centralisation du fonctionnement des instances dirigeantes de l’époque. Aucune décision n’était prise à l’échelon local ; il convient de préciser, à titre d’illustration, que l’organisation administrative de la France mettait les communes sous la tutelle absolue et rigide du pouvoir central par l’intermédiaire des préfets. Ainsi, de l’époque de la loi de Gobblet à aujourd’hui le système éducatif a vécu dans le cadre strict d’un triple centralisme : celui de l’élaboration des objectifs, celui de la définition des méthodes pédagogiques et des savoir‑faire, et celui du financement. Le premier de ces centralismes à avoir éclaté est celui du financement : aujourd’hui le « local » devient le financeur principal d’un système qui lui échappe encore totalement quant à la définition des objectifs et quant au personnel qui doit mettre en œuvre ses objectifs. Dans un avenir imminent il sera nécessaire de définir des objectifs locaux dans le cadre d’un programme national. Ce dernier, d’ordre idéologique, étant d’amener, par exemple, 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat, l’objectif local pourrait être d’y inscrire une notion plus pragmatique assise sur les réalités d’un tissu socio‑économique local : il n’est pas vraiment acquis qu’à Oyonnax, ville des matières plastiques, on ouvre des sections de formation en rapport avec les métiers de cette industrie plutôt qu’avec l’agroalimentaire. Dans le même ordre d’idée il semble impensable que les fonctionnaires du système éducatif puissent continuer à ne rendre compte qu’à un pouvoir central de moins en moins responsable de la mise en œuvre et du financement de la politique éducative. Comment peut‑on penser que les enseignants n’aient aucun compte à rendre aux financeurs que sont les municipalités, les conseils généraux et les conseils régionaux, voire le « monde économique » ? Rendre compte à tous les niveaux de pouvoir : centralisé et local, exigera que soient mises en place de nouvelles procédures de fonctionnement. C’est dans ce cadre que s’inscrit le projet d’établissement qui permet, entre autres, d’établir un contrat avec l’organisme financeur et de mesurer l’emploi des fonds publics. Ceci nous semble, suivant une analyse politico historique, essentiel dans la mesure où plus la décision politique est proche, en termes d’espace, de l’électeur, plus elle a à rendre compte au citoyen. On ne demandera guère de compte à un ministre, on en exige beaucoup plus d’un maire…

 

Dès lors que s’installe un projet d’établissement il faudrait que soit repensée la gestion des ressources humaines de cet établissement. À titre d’illustration si, comme le préconise Françoise Cros, un projet doit s’installer sur la durée du cursus de l’élève plus un an, serait‑il raisonnable que les auteurs acteurs de ce projet quittent, du fait de l’administration, le navire en cours de route ? À cet exemple nous pouvons ajouter l’idée que nous avions évoquée plus haut, suivant laquelle il va devenir insupportable pour l’élément financeur de n’avoir aucune possibilité de contrôle des personnels mis à sa disposition ; ce qui ne veut pas dire qu’il faille obligatoirement ou totalement décentraliser le recrutement des enseignants. Il y a là un miroir aux alouettes contre lequel Alain Minc nous met en garde : « Dans un système éducatif décentralisé, le statut national des personnels aura sombré corps et biens. Mais passer de la fonction publique nationale à la fonction publique territoriale ne suffit pas à faire sauter tous les verrous face aux impératifs d’une bonne gestion, puisque la seconde est, à maints égards, une copie conforme de la première ». On peut penser que le quasi idéal se trouvera dans le maintien par l’État d’un cadre commun, laissant aux financeurs locaux, en accord avec le projet d’établissement, le soin de l’octroi de primes correspondant non plus à une position statutaire mais la réalité d’un service rendu comme le dit Alain Minc : « De même s’instaurera progressivement, par le biais de mesures ponctuelles, une différenciation des rémunérations en fonction de la qualité du service rendu. »

 

Un regard sur l’histoire montre à la fois l’exigence qu’un projet existe pour qu’un système éducatif fonctionne, et que ce projet se différencie de ce qu’il serait convenu d’appeler une simple politique. Un projet est à la fois une définition de buts et de moyens pour y parvenir. Dans cette acception on mesure la nécessité qu’il y a à ce que l’auteur du projet, pour n’en être pas obligatoirement le financeur, implique fortement dans sa conception le financeur dans un cadre contractuel. Dès lors, les personnels, chevilles ouvrières du projet, ne peuvent pas échapper au contrôle des concepteurs du projet. S’ils sont eux aussi partie prenante de la conception du projet, étant alors à la fois concepteurs et exécuteurs, auteur et acteur, vraisemblablement dans un cadre statutaire national, de projets locaux, les enseignants doivent être « gérés » à l’aune d’une nouvelle gestion des ressources humaines.

 

 


Guide Complet sur le Harcèlement en Ligne Destiné aux Parents

    Une lectrice de mon blog ( https://lecolecestquoi . blogspot.com/ ) dédié à l’école et à l’éducation m’a indiqué un article consacré ...