Cet article reprend le texte de
présentation d’un projet de livre qui n’a pas vu le jour.
Toute discipline scolaire fonde
sa raison d’être dans une histoire. Ainsi, nous pourrions interroger l’émergence
de l’enseignement de l’histoire à partir du 19° siècle, et la quasi-disparition
du grec ancien au cours du 20°. L’écriture, objet d’enseignement
scolaire, ne semble pas devoir être confrontée à cette question ; sujet et
outil de l’intime de soi il apparaît qu’elle ferait totalement partie de l’être
humain comme le langage oral. Dès lors, à l’école, l’écriture n’est pas tant
considérée comme relevant d’un enseignement structuré que comme un élément de
la nature humaine, corporel et intellectuel, dont il faut accompagner le développement
à mesure de celui de l’enfant. L’écriture semble avoir perdu son statut de
discipline scolaire, à moins qu’elle ne l’ait jamais eu.
Mais, l’écriture comme le langage
oral étaient-ils à la naissance de l’humanité ? Une étude sociohistorique,
peut-être anthropologie et ethnographique, permettra de montrer l’arrivée de la
« trace écrite » comme trace de soi, trace de mémoire de moments de
vies. Puis avec les sociétés antiques nous verrons comment ce qui n’était, avec
les dessins rupestres, que l’ordre d’un intime partagé, s’organise pour devenir
un objet social plus vaste servant à la communication entre les hommes au-delà
du temps et de l’espace. Alors, l’écriture devient un des outils de la
construction du social et participe à l’organisation des sociétés complexes
notamment en devenant un lieu d’une mémoire élaborée parfois par le pouvoir. Au
fil des siècles et de l’évolution des technologies, l’écriture passe du statut
d’une compétence utile à celui d’une compétence nécessaire, obligatoire. L’écriture
possède désormais le statut d’objet de savoir social à la fois pratique et
intellectuel : l’insertion sociale et professionnelle, sans être nulles,
sont rendues extrêmement difficiles pour qui ne sait pas écrire.
Ainsi, dans une première partie,
il s’agit bien d’envisager l’écriture à la croisée de regards d’origines
différentes. L’anthropologie nous permettra de montrer le lien étroit entre l’évolution
de l’humanité et celle de l’écriture. Concomitamment l’histoire nous aidera à
voir comment l’écriture est devenue indispensable à certaines sociétés. Parcourant
ce chemin nous verrons comment l’école s’est emparée de l’écriture et de son
apprentissage.
L’enseignement de base a retenu
de l’écriture ses aspects pragmatiques et en a organisé l’apprentissage autour
d’eux : apprentissage du geste graphique, apprentissage de la composition
de texte avec l’ensemble des formes et mécanismes de ceux‑ci :
orthographe, grammaire, sens et esthétique… Nous montrerons la place que l’enseignement
de l’écriture a tenue au cours des siècles et plus particulièrement dans l’enseignement
de base de l’école moderne. À travers l’analyse des programmes scolaires
français nous chercherons quels aspects furent plus particulièrement privilégiés
en fonction des époques. Pour chacune d’elles nous essaierons de lier cet
enseignement à l’usage social de l’écriture : s’agissait-il d’apprendre à
écrire pour un usage esthétique (littéraire) ou pour répondre à des impératifs
plus pratiques d’usages professionnels ? Au fil des programmes nous
évoquerons les méthodes d’enseignement, non pas pour les analyser et les
critiquer d’un point de vue pédagogique ou didactique mais pour soulever l’absence
d’une place pour l’intime dans la pratique scolaire de l’écriture. Mallarmé écrivait :
«… Écrire c’est déjà mettre du noir sur du blanc. » Bien sûr il
parlait de l’écriture romanesque, il parlait de cette écriture où justement l’écrivain
s’expose et donne à voir de lui. Nous montrerons qu’il en va de même pour toute
écriture, fusse celle d’un exercice de mathématiques, dans la mesure où, chaque
fois, l’élève donne à voir de lui. Cette intimité sera plus ou moins profondément
sollicitée suivant la discipline scolaire à l’origine de la demande d’écriture.
L’écriture et son usage sont des
savoirs incontournables pour l’homme d’aujourd’hui, dans une société où la
technique occupe une place de plus en plus prégnante. L’écriture est aussi une
pratique qui doit quasiment être une seconde nature, tant pour le maître que
pour l’élève. C’est à ce dialogue entre « savoirs » et « nature »
que s’intéressera la deuxième partie de cet ouvrage, notamment en montrant que les
maîtres sont des praticiens de l’écriture : ils écrivent. Leur mission, en
ce domaine, doit être de mettre l’élève en capacité d’utiliser et de savoir
quand utiliser l’écrit.
Apprendre à écrire et à utiliser
opportunément et efficacement l’écriture fait partie de l’enseignement du
français qui doit être un enseignement global. L’écriture, la lecture, la
grammaire, l’orthographe et la littérature ne peuvent pas être dissociées. Il
semble donc important de montrer à l’enseignant comme à l’élève que l’écriture
est :
-
Indissociable de la lecture,
-
Transversale aux autres disciplines,
-
Une expérience personnelle intégrée,
Peut‑être ferons‑nous référence
aux manuels anciens qui présentaient une leçon avec un texte de lecture, une
poésie, des exercices de grammaire et d’orthographe, une dictée, des sujets de rédaction…
En tout cas nous n’exclurons pas le rapport aux manuels mais nous nous
détacherons de la fiche technique pour appeler l’attention des maîtres
sur :
-
La nécessité d’aller du complexe vers le simple : du
texte vers ses éléments, et du simple au complexe : de la lettre au mot,
du mot à la phrase…
-
La nécessaire continuité des apprentissages de la
maternelle au CM2, sans doute jusqu’en classe de 3e,
-
Le fait que l’écriture est constitutive et trace de la
pensée, de l’intime et peut-être des émotions,
-
La complexité de l’acte d’écrire dans ses dimensions
psychiques et neurologiques.
Nous aurons atteint notre but si
nous amenons les maîtres à avoir une meilleure capacité à faire écrire les
élèves. Il s’agit de faire émerger chez le maître une capacité au service de
l’élève. Nous bannirons la fiche préformée type recette de cuisine ou kit (une
cuisine en kit ne fait pas de l’assembleur un ébéniste). Peut-être en forme de
conclusion de cette deuxième partie nous écrirons : le maître est
un praticien de l’écriture, et on n’enseigne pas l’écriture on la pratique.
Dire l’écriture, penser l’écriture,
pratiquer l’écriture sont autant de regards qui s’inscrivent dans une
complexité autant à l’image de celle de l’homme que de celles des cultures et
des sociétés. Aussi, la troisième partie de ce livre concernera la complexité
du désordre. Là, il s’agira d’expliquer les dysfonctionnements de l’écriture et
de son apprentissage (dysorthographie, phobie…) et l’usage de l’écriture dans l’acte
de rééducation en milieu scolaire. Dans cette partie l’écriture sera regardée
du point de vue de la psyché. On expliquera les liens qui unissent ou séparent
l’élève de l’envie d’écrire ou, plus simplement, de la réussite à travers l’écriture.
On essaiera d’indiquer quelques pistes d’explication des raisons pour
lesquelles certains élèves peuvent être en échec dès lors qu’on leur demande d’écrire.
Le maître doit savoir que pour ces élèves, écrire représente une prise de
risque insurmontable et que certains semblent ne pas s’autoriser à laisser de
la « trace ». Qu’elles doivent être face à ces élèves l’attitude et
la place du maître et celles du rééducateur ?
Ce livre ne sera donc pas un
manuel scolaire, pas non plus un guide méthodologique, même s’il fait appel
largement à des exemples. Il ne sera pas non plus un livre savant au sens
strictement universitaire. Il sera un livre de vulgarisation et devra permettre
aux enseignants de réfléchir et de construire leur pratique en la fondant sur
un minimum de connaissances théoriques indispensables.
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