Dire qui était Jean de Montluc et analyser la façon
dont il conçut sa mission d'évêque de Valence en Dauphiné, en même temps que
nous regardons son action par rapport à l’université de cette ville, au moment
où croissent la pensée protestante et l'implantation de la Réforme, nous semble
devoir concourir à mieux comprendre comment à cette époque une université était
indissociable du contexte sociopolitique de la ville qui l’accueillait.
Le rôle de Jean de Montluc prend bien sa place dans
l’interrogation que nous pouvons avoir du lien entre l’université de Valence et
l’émergence de la Réforme à Valence. Ce rôle et l'action de Jean de Montluc se
situent bien dans la provocation évoquée par la confrontation de deux mots de
la question suivante : était-il calviniste convaincu ou fin diplomate ?
De lui Brantôme écrivait : « On le tenait
luthérien au commencement et puis calviniste ; mais il se comportait par
belle mine et beau semblant ». Cette remarque trouve son origine à la fois
dans les études que Jean de Montluc suivit, les rencontres qu'il fit, le
discours qu'il tint et les attitudes bienveillantes dont il fit preuve à
l'égard des tenants de la Réforme.
Ces études
se passèrent tout d'abord à l'abbaye de Condom où officiait le célèbre évêque
Jean Marre réputé comme humaniste et réformiste ; ne fit-il pas venir en
1517 Jacques Almain théologien nominaliste et gallican ? Pour lui succéder
il appela Jacques Lefèvre d'Étaples qui se désista. On voit comment Jean de
Montluc rencontra « la pensée réformatrice et humaniste ». Il fut
remarqué pour ses dons intellectuels, ce qui convainquit Jean Marre de
l'envoyer étudier à l'université de Toulouse le droit civil et le droit
canonique. Ses historiographes pensent, sans certitude, qu'il fréquenta aussi
la faculté de théologie tenue par les Dominicains. De la même façon il n'existe
aucune certitude qu'il assistât aux lectures des textes de Lefèvre d'Étaples
faites dans un cercle d'étudiants animé par son professeur de droit, Jean de
Boysonné. Durant l'hiver 1532 -1533 il quitta définitivement l'abbaye de
Condom, au moment où Marguerite de Navarre passait dans la ville. La
rencontra-t-il ? L'histoire n'en dit rien. Cependant on sait qu'il assista
au carême commandé à Gérard Roussel par Marguerite de Navarre, et, semble-t-il,
Jean de Montluc se serait rapproché d'elle. À tel point que Brantôme écrivit
qu'elle le défroqua. Ce fut le début d'une longue carrière diplomatique,
marquée entre autres par un séjour à Rome en 1535 durant lequel il enseigna la
théologie au collège Sapienza, bien que le pape le soupçonnât d'être acquis aux
idées luthériennes. Le 18 août 1553 le roi lui accorde le diocèse de Valence et
de Die. Un diocèse où les idées hérétiques étaient déjà bien installées comme
le rappelle Michel Devert (p77) : « A la mort de Jacques de Tournon,
l'évêché de Valence et de Die était donc bien contaminé par l'hérésie ;
ses adeptes semblaient bien résolus à propager leurs croyances. Si un évêque
bien résolu ne venait lui faire échec, elle risquait de s'étendre à tout le
diocèse ».
C'est donc
dans ce climat que Jean de Montluc arrive physiquement à Valence en 1555. Dès
l'année précédente il déclarait sa résolution à prendre en charge la destinée de
l'université de la ville. Dans une lettre aux consuls, François Joubert,
professeur, écrivait : « Elle (l'université) est, m'a-t-il déclaré, la
plus belle rose que les Valentinois aient à leur chapeau et qu'il aura moyen,
comme il l'espère, faire tant que Monsieur Arnaud Ferrier conseiller du roi au
parlement de Paris, l'un des premiers hommes de notre temps, pourra venir à
Valence, lire et régenter pendant six mois qu'il a de vacations. Pour les
autres six mois, il moyennera le semblable de Monsieur Coréas, conseiller du
roi au parlement de Toulouse. D'avantage il aura moyen d'y faire venir Monsieur
Govéa, homme de grand bruit et savoir pour continuer l'année ». Dès lors
il est indubitable qu'il mit tout en œuvre pour favoriser le développement et
la prospérité de l'université de Valence, allant jusqu’à offrir de l’argent
pour que Cujas. Là où nous devons interroger son histoire, c'est dans le choix
qu'il fit de certains professeurs qu'il attira à Valence, comme Bourg en 1556
ou Hotman en 1563, tous deux étaient réputés favorables aux idées hérétiques,
le premier fut condamné à mort.
Là
s'installent à la fois le doute et le paradoxe : Jean de Montluc soutenait
la candidature de professeurs "hérétiques" en même temps qu'il
s'opposait, en vain, à la venue de Loriol connu comme calviniste. Négligeait-il
de voir les agissements des hérétiques en même temps qu'il rédige « les
instructions chrétiennes de l'évêque de Valence » où il écrit : « notre
religion est par les hérétiques déchirée, et peu sans faut délaissée par ceux
qui la dussent maintenir… Celles (les brebis) qui sont au vrai troupeau sont en
continuel danger d'être séduites et diverties du bon chemin ». Quoi de
plus conforme à l'orthodoxie. Cependant l'évêque portait la barbe, prêchait
sans habits sacerdotaux, se couvrait le chef du bonnet semblable… ceux des réformés.
Au-delà de cela, ses sermons heurtèrent la Sorbonne qui eut à en connaître, et
qui les déclara hérétiques. L'œuvre de Jean de Montluc à Valence au sein de
l'université et en direction de ses diocésains fut sans doute tout empreinte
d'un grand désir d'éducation, d'une éducation sans doute plus humaniste
qu'hétérodoxe mais qui s'opposait aux privilèges du clergé local, notamment du
chapitre cathédral. Cependant, notons qu’accusé par le doyen du chapitre d'être
hérétique, il obtint réparation de la condamnation. Il fut quand même
excommunié en 1563 mais la promulgation n'en fut jamais faite. Il est vrai
qu'il était un des principaux conseillers de Catherine de Médicis.
Nous
suivrons facilement Michel Devert lorsqu'il écrit qu'il est difficile de porter
un jugement sur la personnalité religieuse de Jean de Montluc. Sans doute
était-il un humaniste qui sans aller jusqu'à adhérer aux idées de la religion
réformée, se trouvait bien à côtoyer les critiques de la corruption de l'Église,
le retour aux textes fondateurs, et l'idée que l'homme peut participer à la
compréhension du monde ; il croyait en l’Homme. Ne fut-il pas de ces
évêques qui condamnèrent l’astrologie comme l’indique Marc Venard : « et
nombre d’évêques, d’un bout à l’autre du siècle, condamnent l’astrologie
divinatrice, tel Jean de Montluc, évêque de Valence en 1558, qui contre les
clients des astrologues, leur rappelle : que nous sommes, nous et nos
biens, sous le pouvoir de Dieu, et que toutes choses sont faites, mues et
gérées par sa libre volonté. ». Sans doute aussi, comme l’écrit Marc Venard,
Jean de Montluc « comme d’autres prélats, plus politiques, voient surtout
dans le protestantisme un remède à des abus invétérés et une position
d’indépendance vis-à-vis de Rome. » C'est dans ce cadre de pensée qu'il
fonda ou qu'il soutint la fondation (il subsiste un flou dans la connaissance
historique) d'un collège en 1564. À ce propos l'abbé Nadal souligne la
décadence de l'enseignement de la théologie à Valence où entre 1560 et 1575 il n'y
eut que deux promotions d'étudiants en théologie contre plus de trois cents en
droit, et d'écrire : « Montluc s'étant aperçu du préjudice que
causait à la religion la décadence de l'enseignement de la théologie, il forma
un dessein qui honore sa mémoire… Il résolut de confier aux jésuites
l'éducation de la jeunesse de sa ville épiscopale ».
Nous
conclurons, provisoirement, par une citation extraite de la thèse (1893) de
Hector Reynaud : « Ce qui frappe tout d'abord chez lui, c'est
l'estime qu'il professe pour les lettres, le soin qu'il prend pour les mettre
en honneur parmi ses diocésains. Il favorisa de tout son pouvoir l'enseignement
public à Valence et inaugura, pour l'université de cette ville, une ère de
prospérité ».
C'est
ainsi, dans cette œuvre éducative, qu'il écrivit en 1461 dans « familières
explications des articles de la foi » : « ployons notre esprit
et l'assujettissons à consentir et à croire tout ce que le Saint-Esprit nous a
révélé dans les Écritures ».