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vendredi 4 novembre 2022

Peut-on parler, en France, d’une politique publique d’accueil des enfants handicapés à l’école ?



 L’inclusion scolaire des enfants handicapés ne fait plus débat depuis la loi du 8 juillet 2013 dite loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République qui grave dans le marbre républicain l’inclusion scolaire. L’annexe au texte de loi qui détaille la programmation des moyens et les orientations de la refondation de l’école de la République indique : « Il convient aussi de promouvoir une école inclusive pour scolariser les enfants en situation de handicap et à besoins éducatifs particuliers en milieu ordinaire. »

 Yves Mény et Jean-Claude Thoenig [1] écrivent qu’« une politique publique se présente sous la forme d’un programme d’action gouvernementale dans un secteur de la société ou un espace géographique ». Donc il y a bien une politique publique d’accueil et d’inclusion des enfants handicapés à l’école. Je pourrais dire : mon exposé s’arrête là ; je vous remercie.

 Mais dans la mesure où cette politique publique semble ne pas donner satisfaction aux différents acteurs il faut s’interroger sur la question de savoir d’où vient et comment s’est constitué l’objet de cette politique.

 Pierre Muller écrit « qu’il y a une politique publique parce qu’il y a un problème à résoudre ». Donc comment, en quoi et pourquoi la question de la scolarisation des enfants handicapés se présente depuis 40 ans sous la forme d’un problème qui doit être résolu par une (ou des) politique(s) publique(s) alors qu’auparavant la question semblait ne pas se poser. Muller précise que « la mise en place de ces politiques est liée à une transformation de la perception des problèmes. »

 Un regard sur l’histoire permettrait de voir comment la perception de la scolarisation des enfants handicapés a évolué jusqu’à devenir un problème et se constituer en objet politique pour finir par appeler dans les années 1970 une intervention forte des autorités politiques.

 Je ne retracerai pas cette histoire, nous n’en avons pas le temps. Je m’arrêterai cependant sur le XIXe siècle pour lequel Polyanyi a souligné les effets de « dislocation » que l’industrialisation entraîne sur la société. Il apparaît alors une question sociale que l’État doit prendre en charge et qui amènera l’école de Jules Ferry à s’intéresser d’une façon particulière à ceux qui n’arrivent pas à apprendre et à ceux totalement réfractaires aux apprentissages et aux normes imposées par l’école. On sépara les élèves en deux catégories : ceux qui pouvaient bénéficier des bienfaits de l’école et d’autre part les élèves considérés comme des anormaux d’école. Parmi les anormaux d’école on repérait ceux atteints dans leurs facultés intellectuelles (les idiots, les imbéciles, les arriérés) dont on pensait qu’ils pouvaient tirer bénéfice d’un enseignement spécial dans des classes de perfectionnement annexées à l’école créées en 1910. Les autres ceux qui sont atteints dans leurs facultés morales (les imbéciles moraux, les instables, les pervers, les indisciplinés) étaient pris en charge dans des institutions spécialisées ou dans un asile psychiatrique.

 Les politiques scolaires de cette époque organisent les ruptures entre types d’enfants et entre types d’institutions. Ainsi, les politiques publiques constituent le problème de la prise en charge des enfants handicapés en termes de secteurs d’intervention où chaque secteur érige ses propres objectifs comme à propos de qualification des personnels en demandant la création d’un diplôme d’état d’éducateurs spécialisé (1967). Les lois de 1975 et de 2005 ne supprimeront pas la sectorisation apparue au XIXe siècle et cela malgré la montée en puissance du courant de pensée initié par un psychiatre américain qui prône la désinstitutionalisation des lieux de soins[2]. Cette sectorisation est aussi confirmée dans la loi de refondation de l’école de 2013 où l’article 7 mentionne la possibilité de coopération entre école et établissements spécialisés.

 On observe donc que l’État a du mal à sortir de la sectorisation créée au XIXe siècle. Pire, la loi de 2005 amplifie la sectorisation en faisant entrer dans le dispositif les professionnels libéraux ce qui ne facilite pas les coordinations autour d’un projet pour l’enfant (élève), et qui a eu comme effet d’accroître le sentiment de non-reconnaissance chez les professionnels des établissements médico-éducatifs et médico-sociaux.

 En rester sur cette observation négative ce serait oublier que l’objet d’une politique publique consiste à modifier l’environnement des acteurs concernés, la perception qu’ils peuvent en avoir et donc leurs conduites sociales. Pierre Muller ajoute que « prendre une décision, c’est déjà mettre en œuvre une politique, dans la mesure où les différents acteurs (partenaires sociaux, citoyens, autres ministères) vont probablement modifier leurs conduites en fonction de cette décision. » Si nous nous référons à la grille d’analyse des politiques publiques de Charles Jones nous interrogerons la loi sous l’éclairage de la 1re étape qu’il décrit : « l’identification du problème qui est la phase où le problème est intégré dans le travail gouvernemental ».

 Dans cette phase d’identification du problème sont associés un ensemble de processus. Comment l’État a associé les processus de perception du problème par les différents acteurs, donc comment a-t-il défini le problème, a-t-il agrégé les différents problèmes secondaires, comment a-t-il pris en compte les incidences sur l’organisation de structures, a-t-il tenu compte de la représentation des intérêts des différentes parties prenantes ?

 Cette phase d’identification du problème permet de définir l’agenda politique qui constitue et qui regroupe l’ensemble des processus par lesquels les décideurs s’emparent d’une question pour construire un programme d’action. Cette phase a‑t‑elle vraiment eu lieu ?

 Peut-être, comme l’écrit Pierre Muller au lieu de concevoir cette politique publique par une série de séquences successives, eut-il été préférable de la bâtir comme un ensemble de séquences parallèles interagissant les unes par rapport aux autres et se modifiant continuellement. En somme et synthétiquement au lieu d’empiler lois et règlements peut-être eut‑il été mieux et plus efficace d’envisager une loi-cadre dans un programme pluriannuel.

 C’est ce que dit le CESE (juin 2020) qui préconise de renforcer le travail collaboratif et la mutualisation des missions entre les établissements scolaires et les établissements et services médico-sociaux (ESMS) pour faire progresser l'inclusion scolaire, la socialisation et l'autonomie des jeunes en situation de handicap. Il s'agit notamment de décloisonner ces deux secteurs par la création de parcours mixtes, de mobiliser davantage l'expertise des professionnels et professionnelles des ESMS, dont la nécessité et les moyens doivent être confortés, au sein des établissements scolaires… » Il aurait donc fallu travailler à une réforme, en parallèle et concomitamment, du secteur scolaire et des secteurs de soins (psychiatrie) et des établissements médico-éducatifs et médico-sociaux.

 

 

 

 



[1] Yves Mény et Jean-Claude Thoenig, politiques publiques, Paris, Puf, 1989

[2] à la suite des travaux du sociologue Erving Goffman qui montraient le caractère totalitaire du fonctionnement quotidien de certaines institutions hospitalières qui imposent leurs propres rythmes et circuits à des individus vingt-quatre heures sur vingt-quatre au mépris des droits individuels.

samedi 22 janvier 2022

Ecole et handicap : merci Monsieur Zemmour ?

 


Que l’on ne se méprenne pas, et c’est tout le sens du point d’interrogation du titre, je pense avec force et vigueur que les propos de M. Zemmour sont indignes, innommables et émanent d’une philosophie rétrograde. Toutefois, il faudrait s’interroger sur pourquoi nous entendons ces propos comme plus indignes que ceux qui désignent les réfractaires à la vaccination comme devant perdre leur statut de citoyen...

Cependant les propos d’E. Zemmour ont eu pour effet de mettre le handicap en lumière dans le débat politique du moment. Cependant la lumière fut faible et bien vite elle s’est éteinte. Chacun est reparti vers ses occupations électorales, fier d’avoir caqueté avec le troupeau mais de volonté d’agir il n’y eut pas faute de vouloir analyser la situation de l’inclusion scolaire. Or la France est très loin d’appliquer les prescriptions qu’elle s’est imposées par les lois de 1975 dite d'orientation en faveur des personnes handicapées et de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Combien d’écoles, de collèges et de lycées sont accessibles ? Combien de moyens de transport en commun sont accessibles ? Combien de trottoirs, aujourd’hui envahies par les terrasses des cafés et des restaurants, sont accessibles ? Chacun se gargarise de bonnes paroles, même pas de bonnes intentions. Je ne décrirai pas ici les situations où la loi n’est pas appliquée quand elle n’est pas tout simplement contournée voire annihilée par une nouvelle réglementation comme la loi de 2013 qui mit un coup d’arrêt à l’obligation de mise aux normes d’accessibilité voulues par la loi de 2005, que dire de la conjugalisation de l’allocation adulte handicapé.

À y regarder de près l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap est bien devenue une obsession, un objet hors sol dont on ne doit pas discuter ; car à part E. Zemmour qui, dans notre pays si prompt à se recommander de la philosophie des Lumières, oserait le moindre propos qui pourrait laisser à penser à une mise à distance de la notion d’inclusion. Alors il faut « inclure » et on inclut sans se préoccuper de l’organisation matérielle : on inclut à l’école mais les locaux ne sont pas accessibles, et il n’y a pas de personnel qualifié...

Depuis 1975 l’école a reçu, avec des piqures de rappel régulières, l’injonction d’abord d’intégrer puis aujourd’hui d’inclure les élèves en situation de handicap sans se préoccuper des leçons de l’histoire de la prise en charge des élèves handicapés. Cette histoire, commencée dans les années 1960, est marquée dans un premier temps par la volonté des parents et de quelques professionnels du secteur médico-éducatif de sortir ces enfants des établissements désignés comme étant des lieux d’enferment social, on a alors transformé une partie des places d’internat en places d’externat où les enfants devenus externes continuaient à être accueillis. Puis il y eut les premières expériences d’externalisation de classes d’établissements. L’Éducation nationale s’est tenue à l’écart de cette évolution jusqu’à la loi de 1975 qui prenait à son compte ce mouvement et avait prévu l’accompagnement de ce transfert vers les écoles « ordinaires » notamment en créant des services, à partir du personnel des établissements « libérés » par la fermeture des places d’internat, qui avaient pour mission d’accompagner les enfants dans leur insertion dans les écoles ordinaires et de leur apporter l’équivalent de services et de soins dont ils bénéficiaient dans les établissements.

Aujourd’hui, ces services ont vu, comme tous les établissements du ministère de la santé, leurs capacités de prise en charge considérablement diminuer et n’ont plus la capacité d’apporter une aide efficace aux enseignants qui, en plus de ne pas être formés, se retrouvent isolés dans leur classe. Parfois, l’élève bénéficie d’un accompagnement par un accompagnant d'élèves en situation de handicap (AESH) contractuel sous statut précaire et avec un ersatz de formation là où dans les établissements il y avait des enseignants spécialisés, des éducateurs spécialisés, du personnel paramédical... Qu’est-ce que les élèves en situation de handicap ont réellement gagné dans ce transfert ? Les parents qui voient la scolarité de leur enfant, dans le système actuel, remise en cause chaque année, qu’ont-ils gagné, eux qui sont quotidiennement tellement mis émotionnellement à contribution ?

 L’inclusion scolaire pour laquelle nous nous sommes battus, consiste aujourd’hui à accueillir coûte que coûte mais sans que ça coûte ces enfants dans les écoles ordinaires, peu importe la qualité du service rendu à l’enfant et à sa famille. Non, l’inclusion scolaire conduite par le ministère de l’Éducation nationale n’est pas vraiment une réussite, tout au plus est-elle une obsession maniaque comme souvent il y en a dans l’Administration, marquée par le principe de « quantité » plus que par celui de « qualité ».

mardi 27 juillet 2021

L’ÉCOLE N’EST PAS UN SANCTUAIRE ou l’école expliquée aux hommes politiques (1)

L’éducation est un thème majeur de la réflexion politique depuis la Révolution comme elle l’avait été de la philosophie depuis l’Antiquité jusqu’aux Lumières. La République, en France, se constituant puis s’affirmant contre l’Église catholique transforme l’éducation en sujet de discorde mais aussi en moyen pour étayer une République encore mal assurée.

Si au début de la République, troisième de ce nom, et jusqu’à l’avènement de la V° République l’éducation pouvait être un projet de société pour la politique et les hommes politiques, depuis les années 1960 elle est devenue une antienne qui hante les candidats à des fonctions de gouvernement et donc les programmes électoraux. Elle est réduite au rang d’objet marketing dans les campagnes électorales ; c’est à qui vantera le mieux des actions éblouissantes. En 2017 un tel nous vantait les mérites de l’uniforme pour les écoliers, un autre la division par deux des effectifs des classes de CP et de CE1 (sans nous dire à quel niveau se situe l’effectif initial), un autre encore préconise que l’on mette deux enseignants par classe au collège, un autre encore nous invite à guillotiner les pédagogues ; on pourrait ainsi écrire une encyclopédie volumineuse en effectuant un récolement de toutes ces « excellentes idées ». Des propositions éparses, en forme d’action, des recettes avec peu de cohérence entre elles ne constituent pas un projet politique au sens premier de ce mot.

Ce glissement est une des conséquences de la disparition des hommes politiques qui ont été remplacés par des politiciens.

Pour le sociologue Max Weber[1] : « Le politique c’est l’ensemble des efforts que l’on fait en vue de participer au pouvoir ou d’influencer la répartition des pouvoirs soit entre États, soit entre les divers groupes d’un même État ». Le politique permet la confrontation des idées, des projets et des façons de les conduire pour ce qu’on estime être le bien de la société. C’est donc un espace de tension et de choix, c’est donc un espace de conquête du pouvoir indispensable à la conduite de toute société. Les hommes politiques étaient ceux qui donnaient du sens au politique dans toutes ses composantes en faisant vivre une idéologie (socialisme, communisme…) ou en incarnant un projet sociétal fort (gaullisme, léninisme…). Pour assurer la mise en œuvre du projet de société dont ils étaient porteurs, les hommes politiques ont été à la conquête du pouvoir qui est la condition sine qua non de la réalisation d’une relation humaine orientée vers un but.

Depuis le milieu du 20° siècle les idéologies se sont affaiblies, voire ont disparu, pour être remplacées par des référentiels technocratiques que les politiciens essaient de vendre comme réponses aux inquiétudes des foules. Les politiciens, professionnels de la politique, ne créent pas ni ne portent une idéologie ; les politiciens vendent des cataplasmes pour calmer les symptômes des maladies de la société. Ils ne sont pas porteurs d’un projet de société, ils ne font plus rêver, ils essaient juste de ne pas déplaire. Les hommes politiques jadis s’abreuvaient à la fontaine des philosophes et des sciences. La culture des politiciens se construit aujourd’hui entre les résultats des sondages et les conclusions des think thanks ; parfois ils s’imprègnent de quelques idées distillées par leurs conseillers qui ne se risquent pas à déplaire. Ainsi, l’école de Condorcet, de Rabeau Saint Etienne, de Guizot et de Jules Ferry venait des lectures qu’ils avaient faites de Aristote, Erasme, Montaigne, Coménius, Lockes, Pestalozzi, Kant, Rousseau, etc. Aujourd’hui, à l’ère de l’homo économicus où le public (je n’ose pas parler du consommateur) a remplacé le citoyen, le new-management est élevé au rang de projet éducatif et la pédagogie devrait se limiter aux neurosciences. Les recettes remplacent le projet, l’immédiateté empêche la réflexion et l’impératif de satisfaire l’électorat interdit toute véritable réforme ; le politicien ne crée pas, pas plus qu’il ne réforme, il colmate ! Aujourd’hui le projet éducatif n’est pas de construire des citoyens autonomes, il s’agit de faire que les hommes soient rentables pour l’économie (celle des financiers) et qu’ils se satisfassent de quelques plaisirs immédiats en écartant tout rapport à la philosophie, à la sociologie et à une quelconque pensée humaniste. La société n’a plus de temps à perdre, alors on gère. Et on s’étonne que les parents, ainsi que les élèves, soient devenus des consommateurs d’école.

Il est temps, pour le bien des hommes mais aussi pour les finances publiques, que l’École[2] revienne à son essence qui est d’élever l’enfant à devenir un être social et autonome. Ce n’est pas incompatible avec la réussite comme en témoignent les systèmes mis en œuvre à Singapour et en Finlande…

Le politicien comme l’homme politique reçoit mandat d’organiser la vie de la cité dont l’École est une composante primordiale. Il est de son devoir de dépasser les symptômes du mal-être de la société par rapport à une organisation qui ne répond plus aux attentes et qui devient anxiogène, il doit sinon construire du commun du moins en élaborer les conditions d’émergence ; le politicien doit situer l’élaboration de son projet pour l’École dans un triangle tracé entre les faits sociaux, les experts et les citoyens. Il faut qu’il quitte ses habits de gestionnaire (basique) pour devenir le promoteur et le metteur en scène d’un projet d’éducation qui porte l’espoir que les gens ont pour leur enfant. Un tel projet n’est pas incompatible avec la modernité dans laquelle nous vivons, mais pour cela il faut quitter le bricolage et le rafistolage pour travailler à la construction d’une œuvre maîtresse. Encore faut-il d’une part se départir de ses nostalgies, de ses idées fausses et de ses préjugés, et d’autre part savoir ce qu’est l’École et comprendre les tensions dynamiques qui l’animent.

 À suivre...



[1] Max Weber, le savant et le politique, ed 10-18, 1994, p125.

[2] L’École est le système institutionnel mis en place par une société pour organiser et gérer l'éducation de sa jeunesse.

vendredi 26 mars 2021

La difficulté scolaire : ça n’existe pas (2)

 



1.      Survol historique de l’émergence de la « difficulté scolaire »

a- l’école obligatoire

L’école c’est une construction « anthropologique », elle s’est constituée au fil de l’histoire de l’humanité… jusqu’à constituer la forme moderne que nous connaissons. C’est le sociologue Guy VINCENT qui a forgé le concept de « forme scolaire » ; un concept qui permet d’analyser comment se constitue l’institution, comment s’organisent ses structures, comment se constituent les interrelations entre les agents, les acteurs, et comment se constituent normes et demandes. Ainsi, « Parler de forme scolaire, c’est rechercher ce qui fait l’unité d’une configuration historique particulière, apparue dans certaines formations sociales à une certaine époque et en même temps que d’autres transformations, par une démarche à la fois descriptive et compréhensive »  Ce que nous cherchons dans la forme scolaire autant d’ailleurs que dans la forme rééducative, c’est leur « principe d’engendrement, c’est-à-dire d’intelligibilité » : qu’est-ce qui me permet de comprendre « le phénomène » en prenant en compte la possibilité de penser le changement malgré les nécessaires fluctuations qu’une forme subit dans le temps et dans les lieux ; et il permet aussi de penser la confrontation des acteurs à ce cadre qu’est l’école. Ce principe d’intelligibilité a été défini pour la forme scolaire « comme le rapport à des règles impersonnelles ».

L’apparition de la forme scolaire se situe aux 16e et 17e siècles. Elle est « une forme inédite de relation sociale entre un maître […] et un écolier […] » qui tend à s’autonomiser par rapport aux autres relations sociales notamment à d’autres modalités d’apprentissage : le préceptorat, les régents d’école, les curés instructeurs… À partir de cette époque sous l’impulsion, notamment, de la pensée de J-B. de La Salle (fondateur de la congrégation des Frères des Écoles Chrétiennes) la relation pédagogique instaure un temps et un lieu spécifiques dont seul le maître règle l’organisation. Tous les écrits pédagogiques de l’époque rappellent les critères de bon fonctionnement de ce lieu d’instruction appelé école distinct des autres lieux de socialisation : l’école ce n’est pas la famille, ni les champs ni la rue… : en ce lieu, l’enfant apprend à lire dans des textes profanes, il les lit, les copie, obéit à des règles impersonnelles. Notons que cette scolarisation massive relève d’une mesure d’ordre public dont le fondement est davantage dans l’apprentissage de la soumission à la règle qu’à la transmission de savoirs. L’assujettissement de l’enfant devenu élève est celui qui est dû à des règles impersonnelles auxquelles le maître doit se soumettre aussi en les mettant en œuvre. L’espace et le temps social de l’école sont dédiés à l’apprentissage et l’accomplissement des règles édictées.

Le maître n’est que le répétiteur, c’est-à-dire que La relation pédagogique n’est pas entre le maître et l’élève mais entre l’élève et la règle, ce n’est pas le lycée de Socrate. Pour autant le rôle du maître, sa façon de faire, son regard sur l’enfant ne doivent pas être négligés…

La forme scolaire relaie donc le changement des conceptions dans le politique : on ne se soumet plus aux princes mais à la loi qui amènera l’école de « Jules Ferry », l’école de la République pour former des citoyens.

La forme scolaire est devenue la référence et prend toute son ampleur dans la deuxième moitié du 19e siècle où apparaît le LIBÉRALISME qui ne se réduit pas à son aspect économique ; il est une philosophie globale et sociale où la société politique est fondée sur la liberté et où l’individualisme fait passer l’individu avant la raison d’État, les intérêts du groupe… Le libéralisme c’est aussi une philosophie de la connaissance et de la vérité découverte par la raison individuelle, c’est une affirmation du relativisme de la vérité.

Pour situer le cadre d’évolution de l’école je vous propose deux citations.

·         Alexis de Tocqueville, au 18e siècle, définissait l’individualisme comme « un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de ses semblables et à se retirer avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s’être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même. »

·         René Rémond « La bourgeoisie a fait la Révolution et la Révolution lui a remis le pouvoir ; elle entend le garder contre le retour de l’aristocratie et contre la montée des classes populaires. »

Alors comment « faire société », comment créer du lien ou du liant, comment gouverner et dominer ou se protéger (classes supérieures, bourgeoisie) : il faut éduquer le « peuple ». En même temps apparaît une nouvelle conception de l’enfant (l’enfant devient une personne).

Donc qu’est-ce que l’enfant versus élève ? Les hygiénistes, mais aussi beaucoup de philosophes de l’époque et quasiment tous les politiciens (représentants de la bourgeoisie) pensent que la plupart des « prolétaires » sont incapables d’élever correctement leurs enfants, en conséquence les éducateurs et l’école doivent isoler l’enfant du monde comme l’exprime l’extrait du livre « l’enfant » (1891) : « une correspondante qui estime avec raison que les enfants seraient garantis du danger de la rue s’ils allaient régulièrement à l’école, nous invite à publier l’extrait suivant de la loi de 1882 : obligation… » Le projet politique est donc de sortir le monde ouvrier du vagabondage, de l’alcoolisme, de la prostitution, de la violence ; pour ce faire il convient d’éduquer, de socialiser, de cultiver, de moraliser l’enfant, il faut le discipliner, l’élever, le contraindre au nom de sa dignité. À travers ce projet d’éducation de l’enfant il s’agit de façonner le peuple pour qu’il renonce à la révolte et accède à une dignité nouvelle. Reste à réaliser la cohérence d’un projet pédagogique avec ce projet social.

Ainsi, au 19e ce qui est nouveau c’est l’apparition d’un troisième élément qui se glisse entre l’enfant et la famille au nom de la sécurité de la ville : appelons-le l’éducateur qui aura en charge l’enfance. Dès lors pour Michelle Perrot : « l’enfance se médicalise, se psychologise, elle devient une spécialité, un territoire où s’activent médecins, éducateurs, enseignants, juristes, qui se substituent au début du 20e siècle, aux philanthropes et aux dames d’œuvres dans le cadre d’un « complexe » de l’enfance en gestation ».

Il faut faire société par la domination de la pauvreté, il faut contenir le peuple tout en l’intégrant dans le cadre des principes de gouvernement, l’instruction est alors vue comme facteur de libération (s’entend se libérer de la pauvreté) alors que sa privation entraîne la dépendance. L’école est donc porteuse d’un projet national légitimé par son ancrage dans des valeurs universelles : l’idéologie libérale et laïque qui charge l’école de l’éducation de l’enfant pour le protéger de sa famille, de son milieu, de la superstition, de l’environnement linguistique…. Pour former avant tout un citoyen et un « ouvrier » qui sachent lire, écrire et compter : qui soit éclairé pour échapper à l’obscurantisme religieux et « performant » à l’usine.

Apparaissent donc des normes et une demande. Les normes sont la discipline, le respect de l’autorité du maître, la soumission aux apprentissages scolaires. La demande est d’abord sociale : forger une identité nationale par déconstruction des identités locales (on sort de la guerre de 1870 perdue par la France qui doit se séparer de l’Alsace et de la Lorraine). La demande est ensuite culturelle où il s’agit d’unifier la langue (un Breton ne comprenait pas un Auvergnat). Donc la demande doit être institutionnelle où l’instituteur doit transmettre des valeurs : éthique du travail, sens de la mesure, service de la République…, et enfin pédagogique : transformer l’enfant en élève pour « l’élever » (éduquer).

On retrouve un peu ce climat du projet politique de l’école chez le philosophe Alain (Propos sur l’éducation) : « Élever un enfant – un élève- c’est toujours l’élever contre le désir, l’attrait, le plaisir, l’immédiateté. C’est discipliner le corps par l’immobilité, concentrer la pensée par des exercices répétés, vaincre l’affectivité par la régularité, la Raison ensuite. L’école ne peut y parvenir qu’en se fermant au monde extérieur. »

Dans ce contexte l’instruction est vue comme un facteur de libération et d’émancipation on assigne donc à l’école un rôle de promotion sociale ce qui donnera une importance particulière au Certificat d’Études Primaires (CEP).

 

dimanche 21 mars 2021

La difficulté scolaire : ça n'existe pas. (1)

 


La « difficulté scolaire » n’est pas un concept unifié, c’est plutôt une notion si on se réfère aux définitions habituelles :

·         Concept : Faculté, manière de se représenter une chose concrète ou abstraite ; résultat de ce travail ; représentation

·         Notion : Connaissance immédiate, intuitive de quelque chose / Connaissance d’ensemble, élémentaire, acquise de quelque chose / Construction, représentation de l’esprit…

 

Mais surtout, la notion de difficulté scolaire est une construction sociale qui naît en même temps que l’école. Elle se construit et évolue au rythme des changements sociaux et de l’évolution de l’école. C’est dire que la question de la « difficulté scolaire » n’est pas nouvelle, elle date de la création de l’école et a été formulée différemment suivant les époques mais avec une question récurrente voire permanente : l’école est-elle adaptée au public qu’elle veut accueillir ? Au-delà, de cette question, s’élabore une autre façon de construire « la difficulté scolaire » dans le cadre d’une construction « socioprofessionnelle » qu’on pourrait résumer suivant deux axes : qu’attend-on des enseignants, qu’est-ce qu’enseigner donc comment existe la professionnalité et l’autorité des enseignants ? Là, l’échec de l’enseignant ou plus simplement le mal-être professionnel vont être interrogés.

 

Ainsi, l’histoire montre que depuis le début de l’école la « difficulté scolaire » (ou d’enfant en difficulté scolaire) est au carrefour : de la pédagogie, de la philosophie, de la médecine et, dès l’émergence de ces sciences, elle intéresse la psychologie, la pédopsychiatrie, la neurologie… et l’orthophonie

 

C’est en raison de cette histoire complexe et de ce « carrefour » qui peut désorienter que je préfère parler d’enfant en difficulté à l’école que de rester enfermé dans une notion qui sera restrictive. Parler d’enfant en difficulté à l’école c’est prendre en compte l’enfant mais aussi l’école en tant que structure, lieu de relations sociales, aussi d’organisation et de mise en scène des apprentissages. Ce qui n’est pas anodin pour l’approche que vous aurez des patients qui vous seront adressés.

 

Je vous propose que nous balayions cette question en 4 étapes :

1-         Point de vue épistémologique : qu’est-ce que la question de la difficulté scolaire, comment la définit-on, en quoi et comment intéresse-t-elle les « sciences »

2-         Survol historique de l’émergence de la « difficulté scolaire »

3-         Le point aujourd’hui

a.         Sociologique

b.         Pédagogique

4-         La réduction, la rééducation, l’orthopédagogie

  

I)                  Point de vue épistémologique

 

Pour appréhender la notion de « difficulté scolaire » il faut s’interroger sur 3 mots :

-          Difficulté : qu’est-ce que c’est qu’une difficulté, qu’est-ce que c’est qu’être en difficulté ?

-          Élève : qu’est-ce que c’est qu’un élève, qu’est-ce qu’être élève, comment un élève apprend (réfère au cours de didactique) ; qu’est-ce qu’un « bon et mauvais élève » ?

-          L’école comme cadre de référence : qu’est-ce que c’est que l’école, existe-t-il une norme scolaire qui définit des « attentes »… ?

 

a)      Qu’est-ce que c’est qu’une difficulté, qu’est-ce que c’est qu’être en difficulté… être en difficulté quand on est un élève ?

Les deux extraits de romans suivants peuvent nous aider à orienter notre réflexion :

 

Santiago GAMBOA « Retourner dans l’obscure vallée » à propos du poète Arthur Rimbaud :

« Enfant, il avait, paraît‑il, un regard glacial malgré son aspect chétif et fragile. Étrange combinaison. Quand il s’asseyait au premier rang de la salle de classe, le professeur se sentait jugé, mal à l’aise, et bientôt tout le monde se rendit compte que ce n’était pas un enfant comme les autres. »

 

Ici ; qui est en difficulté : le professeur ou l’élève ?

 

Robert MUSIL « les désarrois de l’élève Törless » :

« À ses camarades, le goût du sport, un plaisir animal de vivre permettait de ne pas souffrir de ce manque [jugement sur les choses, les gens… intellectualisé], comme le permet aux lycéens leur passade littéraire. Mais Törless était trop intellectuel, pour l’un, et pour l’autre, la vie d’internat qui oblige à avoir toujours le poing prêt à la réplique, à la bagarre, l’avait rendu trop sensible au ridicule de ces sentiments d’emprunt. Une indétermination, une détresse intérieure s’ensuivirent qui l’empêchèrent de se trouver. »

 

Là, quelle est la difficulté ?

 

Il faut donc s’entendre sur une définition, a minima, de la difficulté. La difficulté n’existe pas, plus exactement elle ne préexiste pas à l’évènement ou au cadre qui font qu’on va avoir recours à elle pour caractériser une situation. Ainsi, la difficulté c’est ce qui rend une chose difficile : la difficulté d’une opération, la difficulté des chemins, des passages, ce travail est pour lui sans difficulté. La difficulté ce peut être aussi le manque de facilité ou de capacité pour quelle qu’action que ce soit. Dans ce dernier cadre où la difficulté est un « manque » pour la réalisation d’une tâche, elle exprime aussi la peine ressentie en réalisant une fonction, un travail ou un objectif, une « peine » qui engendre de la SOUFFRANCE.

 

Citons pour éclairer le débat dans le cadre scolaire les propos d’un Maître E. S’adressant aux 4 élèves réunis en atelier hors de la classe le Maître E dit : « Tout d’abord on pourrait se demander pourquoi vous êtes réunis ici tous les quatre ? » Cédric (élève de CE1) saisit l’opportunité. Il dresse une liste remarquable de ses difficultés : je ne sais pas…, j’ai du mal à…, c’est difficile…, je n’aime pas faire… »

Dans le cadre qui nous intéresse : les élèves en difficulté, nous sommes confrontés à ces 2 cas de figure :

1- L’obstacle qui rend la tâche difficile. Chacun d’entre nous a été confronté à un exercice ou à la lecture d’un texte d’une telle complexité que sa résolution ou sa compréhension étaient difficiles ; élèves ou étudiants, nous étions alors en difficulté. C’est la mission de la didactique d’expliquer comment fonctionne l’apprentissage et de montrer comment mettre en œuvre un apprentissage en maîtrisant les obstacles. Il ne faut pas trop d’obstacles pour ne pas rendre la tâche insurmontable, mais il en faut suffisamment pour permettre de progresser.

2- L’incapacité intrinsèque au sujet pour surmonter les obstacles d’une situation : le handicap physique qui empêche le 110 m haies, le trouble de l’apprentissage comme les « dys… ». C’est la mission de « l’école inclusive » : accepter tous les élèves « malgré » leurs différences.

Si aujourd’hui on parle d’école inclusive cela veut dire qu’à une époque où on n’acceptait pas tous les élèves et ça pose la question de savoir pourquoi certains n’avaient pas leur place à l’école.

 b)     L’école comme cadre de référence

 Lorsqu’on parle d’enfants en difficulté à l’école on ne se pose que trop rarement la question initiale : qu’est-ce que l’école ? Or s’il y a « difficulté scolaire » c’est avant tout parce que c’est dans l’école que ça se passe ; en dehors de l’école un enfant qui ne sait pas lire sera en difficulté sociale mais pas en difficulté scolaire (et encore…). D’autre part il faut s’interroger sur le fait de savoir si l’école ne pourrait pas elle-même être source de difficulté ? En somme existe-t-il une « demande scolaire » ?

 

Pour Daniel Roy (psychiatre, psychanalyste) il existe bien une demande scolaire : « la demande scolaire, du point de vue de l’enfant, c’est très simple, c’est ce qui est attendu de lui à l’école, ce qui est attendu en termes d’apprentissage, d’intérêt pour les savoirs proposés à son attention mais aussi ce qui est attendu en termes de relations avec ses camarades et les enseignants, et, en disant cela, on aperçoit déjà que ce qui se joue à l’école ne concerne pas seulement l’élève mais l’enfant dans sa position face à ce que j’appellerai ses responsabilités d’enfant. »

 

Mais la caractéristique majeure de la demande scolaire c’est qu’elle s’applique à la fois à tous et à chacun ; si elle concerne bien l’enfant, comme le dit Daniel Roy, elle le concerne identiquement à la façon dont elle concerne chacun des enfants. Du coup ça pose la question de l’enfant dans ce contexte qui est amené à s’interroger par rapport à l’Autre (l’adulte, le maître) qui est le moteur, le représentant, le médiateur de la demande : que me veut l’Autre ?

 

Pour Marie-Agnès Macaire-Ochoa (psychologue) « L’enfant doit effectuer un passage, celui de « sa lalangue[1] » (Lacan) celle qu’il s’est approprié à partir de la langue maternelle, la langue commune, la langue de l’Autre. A l’école, l’enfant doit se plier aux codes de l’école, et aux apprentissages. Si sa curiosité n’est pas aiguillonnée par un désir de savoir, il risque de rester en panne. Ajoutons que ce désir de savoir s’origine d’une grande question : que veut l’Autre ? Que me veut l’Autre ? L’Autre étant représenté, pourquoi pas, par le professeur des écoles. »

 

c)      L’élève :

Quand on traite de l’enfant en difficulté à l’école il faut savoir ce qu’est un élève et ce qui distingue l’enfant de l’élève. L’élève c’est sans doute un enfant doté d’une bonne capacité à accepter la norme scolaire ; pour autant l’élève ne se déprend pas de son « Être enfant ». Partant de là est-ce que les enseignants ne recherchent pas l’élève modèle ou un modèle d’élève ?

  

Voilà posés les fondements de la question de l’enfant en difficulté à l’école. Une question, écrit Daniel Roy, « dont j’espère qu’elle constitue une zone de recouvrement de deux praxis » : celle des enseignants, des psychologues scolaires, des chercheurs en pédagogie qui réfléchissent aux méthodes et aux dispositifs d’apprentissage, et « La pratique psychanalytique auprès des enfants, dont le point de départ est défini le plus simplement possible par le ou les symptômes présentés par l’enfant ». Il faut sans doute ajouter à ces deux praxis celles de l’ensemble des professionnels qui interviennent au profit de l’enfant comme l’écrivait, en 1961 (déjà), Jean Guillaumin : « Les cas d’inadaptation scolaire sont légion. Pédagogues, psychologues et médecins s’emploient de diverses manières à en faire le diagnostic et à en entreprendre la réduction. »

 



[1] Lalangue sert à tout autre chose qu’à la communication. L’expérience de l’inconscient, en tant qu’il est fait de lalangue dite maternelle, ne garantit pas que c’est bien d’eux-deux qu’il s’agit. C’est l’ensemble des femmes qui engendre lalangue.

vendredi 31 juillet 2020

École et territoire




Article paru dans la revue des Stagiaires du

Centre de formation des inspecteurs de l’éducation nationale.

Centre Bessière, Paris, 1995

 

 

 

« Un premier constat s’impose : l’école « en chair et en os » s’inscrit dans un espace local qu’elle ne peut ignorer. La prise en compte des liens que tisse l’école entre cet espace local et l’espace national… » (Duru-Bellat et Henriot-van Zanten : sociologie de l’école, Armand Colin).

 

Espaces et territoires :

D’évidence l’école se situe dans des espaces si l’on veut bien prendre en compte qu’un espace est un lieu, surface ou volume, à l’intérieur duquel peut se situer quelque chose.

Cette chose, l’école, à la fois réelle et virtuelle, se situe dans des espaces soit réels comme la commune ou le quartier, soit virtuels comme la réglementation qui la fonde et la gère.

Ainsi situer dans ces (ses) espaces l’école fonde des territoires dans la mesure où, dans une acception sociologique, un territoire serait schématiquement la façon dont les individus investissent l’espace réel (géographique) ou virtuel (institutionnelle).

Le territoire ne préexiste pas aux individus : il s’organise en fonction des pratiques de chacun dans l’espace et, aussi, dans le temps (autre espace).

Le territoire n’est donc pas un état en soi mais une « construction » qui répond à la définition d’un problème, à sa manière de l’aborder et de le résoudre.

 

Par exemple le lycéen qui emprunte deux fois par jour les transports scolaires pour parcourir les 25 km qui le séparent du lycée ne partage pas le même territoire que son frère, collégien, qui enfourche quatre fois par jour sa bicyclette ; pourtant ils se côtoient dans l’espace commun de leur zone de résidence mais ils n’y mettent pas les mêmes valeurs et ne résolvent pas de la même façon le problème de leur déplacement de leur résidence à leur lieu de travail.

 

Le territoire est donc une création sociale par un groupe d’individus, ou un individu, autour d’intérêts communs. C’est la création d’un espace de référence pour savoir ce qu’on y fait, comment on s’y protège et ce qu’on va y faire. En ce sens le territoire est aussi un espace de propriétés c’est-à-dire un ensemble de qualités et de caractères communs à tous les individus du groupe. Cela lui confère une nouvelle dimension, plus symbolique, qui conditionne la manière que chacun a de construire son territoire, donc les choix à faire. Cette construction tient à la fois d’un système de représentation et d’un système d’appartenance.

Le territoire est aussi méta création, c’est-à-dire qu’il est aussi le discours que l’on porte autour de l’espace, réel ou virtuel, issu de la création sociale. En ça le territoire est vivant parce que soumis à la « question », il peut être revisité et modifié.

 

On peut donc considérer que le territoire ne peut pas se construire durablement sans l’assentiment de ses populations et il constitue une réalité provisoire multidimensionnelle : géographique, historique, social, économique et politique, et peut-être onirique. Ce qui rapproche des propos d’André Micoud pour qui le territoire « est le résultat de la construction sociale, politique, et pour finir institutionnelle, par laquelle un pouvoir s’autorise et s’institue pour la résolution d’un problème ».

 

L’école comme territoire :

On voit, au travers de cette définition, comment l’école s’est instituée pour résoudre le « problème » de l’éducation des enfants.

L’école est donc un territoire puisqu’elle est le résultat d’une construction à la fois sociale, politique et institutionnelle. Par-delà ce rapprochement d’avec la définition générale du territoire, on retrouve autour de l’école la notion corollaire d’organisation des pratiques individuelles dans l’espace et le temps, ainsi que la dimension de méta création dans la mesure où l’école suscite du discours citoyen et du discours savant qui l’interrogent et la remettent en question.

 

L’école et les territoires : le chevauchement des territoires

Une des interrogations à propos de l’école se fait en direction de la place qu’elle occuperait dans l’aménagement du territoire et le développement local (terme principalement attribué aux zones rurales) ou au développement social (qui concerne le milieu urbain).

 

Les travaux de Madame Agnès Henriot-van Zanten montrent bien les liens existants entre le tissu social et l’école (voir notamment « sociologie de l’école » pp83-101).

 

Les lois de décentralisation ont permis aux collectivités locales d’élaborer de véritables politiques locales d’éducation répondant ainsi aux désirs des parents et des travailleurs sociaux de tisser des liens forts avec une école à laquelle ils demandent de plus en plus à la fois en matière d’éducation des enfants dans une acception très large de « l’être » et de la « citoyenneté », d’apport de connaissances et enfin de préparation à un avenir professionnel. Nous ne discuterons pas ici du bien-fondé de ses demandes, forts de ce qu’il faut constater qu’il y a là évolution de pratiques sociales : on ne subit plus l’école, on lui demande de « faire » ; cela a quelques exceptions de populations près.

 

Dès lors qu’un individu est en position de demandeur, certains ont dit de consommateur, par rapport à l’école, on entrevoit que le « territoire école » ne possède plus de suprématie par rapport à d’autres. Nous pouvons le mesurer, par exemple, à la lumière du débat sur les rythmes scolaires qui, soulignons-le, font peu de cas des études sur les rythmes de l’enfant. Il y a là immixtion d’un territoire dans un autre : celui des pratiques de loisirs des parents dans celui des pratiques scolaires des enfants.

 

Si on voit bien le voisinage des deux territoires que nous venons d’évoquer, il n’en est pas de même pour d’autres. Or ces voisinages et leurs chevauchements possibles font des territoires autres que l’école des partenaires de l’école au sens où il s’influe sur son fonctionnement. Il est donc important, dans la pratique d’une politique scolaire (et même plus simplement niveau de la gestion administrative), de repérer ces territoires qui interfèrent sur celui de l’école sans lui être obligatoirement concourant.

 

Moins de vouloir, le peut-on d’ailleurs tant les situations sont variées et variables, atteindre l’exhaustivité envisageant quelques territoires susceptibles d’interférer avec le territoire école.

 

Les territoires institutionnels sont ceux où s’exercent la volonté et l’action de l’État, de la région, etc. Là s’inscrivent, par exemple, les actions d’aménagement du territoire comme le Moratoire de maintien des services publics en milieu rural. Immédiatement on voit l’incidence que cela peut avoir sur l’élaboration de la carte scolaire. Moins frappants sont les Schémas Départementaux d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) pourtant il pose des indications marquantes pour le développement des communes vers une urbanisation, une industrialisation, une « ruralisation », tout ceci dit de façon un peu caricaturale pourrait se traiter mieux en termes de logements et de mouvements de populations.

Un autre territoire institutionnel peut influer sur le territoire école, c’est celui des transports. Une desserte ferroviaire cadencée, par exemple, peut favoriser l’évasion de collégiens et de lycéens d’un bourg centre vers une ville, d’un le lycée connoté rural vers un lycée de centre-ville. Inversement l’absence d’une réelle desserte peut amener des parents à utiliser leur voiture pour se rendre à leur travail et par là entraîner, sinon les contraindre, à emmener leur enfant d’âge de l’école élémentaire pour éviter des frais de garde au regard de l’absence de structure…

 

Les territoires locaux, ceux investis par une pratique sinon quotidienne du moins fréquente de la part des habitants, ont une incidence majeure sur le territoire école. Nous en retiendrons essentiellement un qui est celui des parcours professionnels largement corrélés avec celui des transports évoqués plus haut.

Pour des parents qui travaillent dans la ville ou le village, le territoire école doit être présent dans cet espace géographique. Pour ceux qui se déplacent, par exemple, vers le bourg centre il est parfois plus facile d’amener les enfants vers les écoles de ce bourg entraînant ainsi une dépopulation de l’école du village. Notons au passage que la réglementation relative à la sectorisation scolaire, jointe aux prérogatives municipales, risque dans certains cas de favoriser une désaffection du service public au bénéfice de l’enseignement privé.

 

Nous pourrions aussi étudier l’influence des territoires politiques constitués par la personnalité et les ambitions d’élus.

 

À titre de conclusion provisoire :

Ce court écrit ne veut avoir comme ambition que de montrer à quel point l’école possède des rapports avec le « local » et que l’analyse allait du concept de territoire permet de montrer et de circonscrire ses liens à la fois forts et interactifs.

Il convient donc, pour pouvoir administrer le territoire scolaire, d’avoir une bonne connaissance du « local ». Nous proposons à la suite de ce texte une liste de critères qui nous semblent essentiels et principaux pour analyser le local.

 





 

Éléments d’analyse du local

(Liste non exhaustive et non actualisée)

 

Commune :

Canton :

 

Population municipale :

·         Évolution de la population sans doubles comptes sur 10 ans

·         Évolution du nombre de naissances sur 10 ans

·         Évolution du nombre de décès sur 10 ans

·         Solde d’accroissement

·         Excédent naturel

·         Solde migratoire

·         Répartition par tranche d’âge : zéro – 15,16 – 19,20 – 39,40 – 59,

·         Taille des ménages :

·         Actifs ayant un emploi :

·         Actifs travaillant hors commune :

 

Niveau d’équipement :

·         POS : oui/non

·         ZA : oui/non

·         ZI : oui/non

·         Nombre d’établissements bancaires

·         Nombre de supérettes et de supermarchés

·         Nombre de boulangeries

·         Nombre de librairies

·         Nombre de pharmacies

·         Nombre de commerces autres que ceux cités

 

·         Gare SNCF de voyageurs et nombre d’arrêts de trains par jour

·         Lignes d’autocars et nombre d’arrêts de cars par jour

·         Distance jusqu’à une autoroute

 

·         Hôpital : oui – non

·         Nombre de salles de cinéma

·         Centre socioculturel : oui – non

 

Habitat :

·         Nombre de résidences principales :

·         Nombre de résidents secondaires :

·         Caractéristiques principales du logement

·         Taux de construction : nombre de permis de construire pour résidence principale/pour résidence secondaire

·         Type de construction : collectif/individuel/lotissement/diffus.

 


Guide Complet sur le Harcèlement en Ligne Destiné aux Parents

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