La « difficulté scolaire » n’est pas un concept unifié, c’est plutôt une notion si on se réfère aux définitions habituelles :
·
Concept :
Faculté, manière de se représenter une chose concrète ou abstraite ;
résultat de ce travail ; représentation
·
Notion :
Connaissance immédiate, intuitive de quelque chose / Connaissance d’ensemble, élémentaire, acquise de quelque chose /
Construction, représentation de l’esprit…
Mais surtout, la notion de
difficulté scolaire est une construction sociale qui naît en même temps que
l’école. Elle se construit et évolue au rythme des changements sociaux et de
l’évolution de l’école. C’est dire que la question de la « difficulté
scolaire » n’est pas nouvelle, elle date de la création de l’école et a
été formulée différemment suivant les époques mais avec une question récurrente
voire permanente : l’école est-elle adaptée au public qu’elle veut
accueillir ? Au-delà, de cette question, s’élabore une autre façon de
construire « la difficulté scolaire » dans le cadre d’une
construction « socioprofessionnelle » qu’on pourrait résumer suivant
deux axes : qu’attend-on des enseignants, qu’est-ce qu’enseigner donc
comment existe la professionnalité et l’autorité des enseignants ? Là,
l’échec de l’enseignant ou plus simplement le mal-être professionnel vont être
interrogés.
Ainsi, l’histoire montre que
depuis le début de l’école la « difficulté scolaire » (ou d’enfant en
difficulté scolaire) est au carrefour : de la pédagogie, de la
philosophie, de la médecine et, dès l’émergence de ces sciences, elle intéresse
la psychologie, la pédopsychiatrie, la neurologie… et l’orthophonie
C’est en raison de cette histoire
complexe et de ce « carrefour » qui peut désorienter que je préfère
parler d’enfant
en difficulté à l’école que de rester enfermé dans une notion qui sera
restrictive. Parler d’enfant en difficulté à l’école c’est prendre en compte
l’enfant mais aussi l’école en tant que structure, lieu de relations sociales,
aussi d’organisation et de mise en scène des apprentissages. Ce qui n’est pas
anodin pour l’approche que vous aurez des patients qui vous seront adressés.
Je vous propose que nous
balayions cette question en 4 étapes :
1- Point de vue épistémologique : qu’est-ce que la question de
la difficulté scolaire, comment la définit-on, en quoi et comment
intéresse-t-elle les « sciences »
2- Survol historique de l’émergence de la « difficulté scolaire
»
3- Le point aujourd’hui
a. Sociologique
b. Pédagogique
4- La réduction, la rééducation, l’orthopédagogie
I)
Point
de vue épistémologique
Pour appréhender la notion de
« difficulté scolaire » il faut s’interroger sur 3 mots :
-
Difficulté : qu’est-ce que c’est qu’une
difficulté, qu’est-ce que c’est qu’être en difficulté ?
-
Élève : qu’est-ce que c’est qu’un élève,
qu’est-ce qu’être élève, comment un élève apprend (réfère au cours de
didactique) ; qu’est-ce qu’un « bon et mauvais élève » ?
-
L’école comme cadre de référence :
qu’est-ce que c’est que l’école, existe-t-il une norme scolaire qui définit des
« attentes »… ?
a)
Qu’est-ce
que c’est qu’une difficulté, qu’est-ce que c’est qu’être en difficulté… être en
difficulté quand on est un élève ?
Les deux extraits de romans
suivants peuvent nous aider à orienter notre réflexion :
Santiago GAMBOA « Retourner dans l’obscure vallée » à
propos du poète Arthur Rimbaud :
« Enfant, il avait, paraît‑il,
un regard glacial malgré son aspect chétif et fragile. Étrange combinaison.
Quand il s’asseyait au premier rang de la salle de classe, le professeur se
sentait jugé, mal à l’aise, et bientôt tout le monde se rendit compte que ce
n’était pas un enfant comme les autres. »
Ici ; qui est en
difficulté : le professeur ou l’élève ?
Robert MUSIL « les désarrois de l’élève Törless » :
« À ses camarades, le goût
du sport, un plaisir animal de vivre permettait de ne pas souffrir de ce manque
[jugement sur les choses, les gens… intellectualisé], comme le permet aux
lycéens leur passade littéraire. Mais Törless était trop intellectuel, pour
l’un, et pour l’autre, la vie d’internat qui oblige à avoir toujours le poing
prêt à la réplique, à la bagarre, l’avait rendu trop sensible au ridicule de
ces sentiments d’emprunt. Une indétermination, une détresse intérieure
s’ensuivirent qui l’empêchèrent de se trouver. »
Là, quelle est la difficulté ?
Il faut donc s’entendre sur une
définition, a minima, de la difficulté. La difficulté n’existe pas, plus
exactement elle ne préexiste pas à l’évènement ou au cadre qui font qu’on va
avoir recours à elle pour caractériser une situation. Ainsi, la difficulté
c’est ce qui rend
une chose
difficile :
la difficulté d’une opération, la difficulté des chemins, des passages, ce
travail est pour lui sans difficulté.
La difficulté ce peut être aussi le manque de facilité
ou de capacité pour quelle qu’action que ce soit.
Dans ce dernier cadre où la difficulté est un « manque » pour la
réalisation d’une tâche, elle exprime aussi la peine ressentie en
réalisant une fonction, un travail ou un objectif,
une « peine » qui engendre de la SOUFFRANCE.
Citons pour éclairer le débat
dans le cadre scolaire les propos d’un Maître E. S’adressant aux 4 élèves
réunis en atelier hors de la classe le Maître E dit : « Tout d’abord
on pourrait se demander pourquoi vous êtes réunis ici tous les
quatre ? » Cédric (élève de CE1) saisit l’opportunité. Il dresse une
liste remarquable de ses difficultés : je ne sais pas…, j’ai du mal à…,
c’est difficile…, je n’aime pas faire… »
Dans le cadre qui nous intéresse : les élèves en difficulté, nous sommes confrontés à ces 2 cas de figure :
1- L’obstacle qui rend la tâche difficile. Chacun d’entre nous a été
confronté à un exercice ou à la lecture d’un texte d’une telle complexité que
sa résolution ou sa compréhension étaient difficiles ; élèves ou
étudiants, nous étions alors en difficulté. C’est la mission de la didactique d’expliquer comment fonctionne
l’apprentissage et de montrer comment mettre en œuvre un apprentissage en
maîtrisant les obstacles. Il ne faut pas trop d’obstacles pour ne pas rendre la
tâche insurmontable, mais il en faut suffisamment pour permettre de progresser.
2- L’incapacité intrinsèque au sujet pour surmonter les obstacles
d’une situation : le handicap physique qui empêche le 110 m haies, le
trouble de l’apprentissage comme les « dys… ». C’est la mission de « l’école inclusive » : accepter
tous les élèves « malgré » leurs différences.
Si aujourd’hui on parle d’école
inclusive cela veut dire qu’à une époque où on n’acceptait pas tous les
élèves et ça pose la question de savoir pourquoi certains n’avaient pas leur
place à l’école.
Pour Daniel Roy (psychiatre,
psychanalyste) il existe bien une demande scolaire : « la demande scolaire, du point de vue de
l’enfant, c’est très simple, c’est ce qui est attendu de lui à l’école, ce qui
est attendu en termes d’apprentissage, d’intérêt pour les savoirs proposés à
son attention mais aussi ce qui est attendu en termes de relations avec ses
camarades et les enseignants, et, en disant cela, on aperçoit déjà que ce qui
se joue à l’école ne concerne pas seulement l’élève mais l’enfant dans sa
position face à ce que j’appellerai ses responsabilités d’enfant. »
Mais la caractéristique majeure
de la demande scolaire c’est qu’elle s’applique à la fois à tous et à
chacun ; si elle concerne bien l’enfant, comme le dit Daniel Roy, elle le
concerne identiquement à la façon dont elle concerne chacun des enfants. Du
coup ça pose la question de l’enfant
dans ce contexte qui est amené à s’interroger par rapport à l’Autre
(l’adulte, le maître) qui est le moteur, le représentant, le médiateur de la
demande : que me veut l’Autre ?
Pour Marie-Agnès Macaire-Ochoa
(psychologue) « L’enfant doit
effectuer un passage, celui de « sa lalangue[1] » (Lacan) celle
qu’il s’est approprié à partir de la langue maternelle, la langue commune, la
langue de l’Autre. A l’école, l’enfant doit se plier aux codes de l’école, et
aux apprentissages. Si sa curiosité n’est pas aiguillonnée par un désir de
savoir, il risque de rester en panne. Ajoutons que ce désir de savoir s’origine
d’une grande question : que veut l’Autre ? Que me veut l’Autre ?
L’Autre étant représenté, pourquoi pas, par le professeur des écoles. »
c)
L’élève :
Quand on traite de l’enfant en
difficulté à l’école il faut savoir ce qu’est un élève et ce qui distingue
l’enfant de l’élève. L’élève c’est sans doute un enfant doté d’une bonne
capacité à accepter la norme scolaire ; pour autant l’élève ne se déprend
pas de son « Être enfant ». Partant de là est-ce que les enseignants
ne recherchent pas l’élève modèle ou un modèle d’élève ?
Voilà posés les fondements de la
question de l’enfant en difficulté à l’école. Une question, écrit Daniel Roy,
« dont j’espère qu’elle constitue
une zone de recouvrement de deux praxis » : celle des enseignants, des psychologues scolaires, des chercheurs en
pédagogie qui réfléchissent aux méthodes et aux dispositifs d’apprentissage, et
« La
pratique psychanalytique auprès des enfants, dont le point de départ est
défini le plus simplement possible par le ou les symptômes présentés par
l’enfant ». Il faut sans doute ajouter à ces deux praxis celles de l’ensemble des professionnels qui interviennent
au profit de l’enfant comme l’écrivait, en 1961 (déjà), Jean Guillaumin :
« Les cas d’inadaptation scolaire sont légion. Pédagogues, psychologues et
médecins s’emploient de diverses manières à en faire le diagnostic et à en
entreprendre la réduction. »
[1]
Lalangue sert à tout autre chose qu’à la communication. L’expérience de
l’inconscient, en tant qu’il est fait de lalangue dite maternelle, ne garantit
pas que c’est bien d’eux-deux qu’il s’agit. C’est l’ensemble des femmes qui
engendre lalangue.