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dimanche 4 octobre 2020

Séparatisme et école : la métonymie comme remède, la haine comme résultat

 


Le séparatisme voilà bien un concept polysémique voire vide de vrai sens dans le contexte social français actuel. Il y a eu des indépendantistes bretons, corses, étaient-ils séparatistes au sens où Emmanuel Macron le dit ? À bien entendre les discours politiques dans les faits politiques le mot séparatisme désignerait l’islamisme notamment salafiste qu’on ne sait pas bien, lui aussi, définir ni circonscrire, et plus globalement il s’agirait de s’assurer que les musulmans de France sont « tous conformes » avec la République et ses valeurs. En même temps, aujourd’hui, on ne sait plus non plus très bien ce qu’est la République et moins encore ce que sont ses valeurs, le signe le plus criant de cette ignorance étant les logorrhées à propos de la laïcité et les déclinaisons approximatives de sa définition et de son application sociétale.

 

C’est donc fort de cet ensemble d’incertitudes, d’ignorance et de controverses que le président de la République véhicule, depuis quelques mois, le mot séparatisme qui est tellement vide de sens qu’on peut le raccrocher à n’importe quoi, y compris à l’école, et qui sert à véhiculer de la haine et de la peur notamment la peur de l’Autre.

 

Ainsi, c’est en s’attachant et en s’attaquant, aux deux fleurons de la création de liens sociaux chez les enfants et les jeunes mais aussi dans l’intergénérationnel qu’Emmanuel Macron prétend lutter contre un ennemi vide, vide de sens, vide de matière. Dès lors il nous propose une métonymie pour lutter contre une certaine forme de croyance ; il confond la cause et les effets et ne propose qu’un comprimé de paracétamol pour guérir un cancer en ne s’intéressant qu’à des effets qui pour la plupart ne sont que des effets supposés, pas du tout réels comme la scolarisation dans la famille. Ne nous voilons pas la face, il y a dans notre pays, comme dans d’autres, une frange de la population qui se laisse séduire par des discours religieux délétères. Force toutefois est de constater au fil de l’histoire que si les mouvements terroristes n’ont jamais été victorieux, la répression n’a jamais éteint aucune foi ni aucune croyance ; nous sommes bien placés en France pour le savoir nous qui avons connu la guerre de religion, l’Édit de Nantes et son abrogation. Alors on peut entendre que l’École puisse avoir un rôle à jouer, là se trouve l’origine des Lois Jules Ferry de 1881 et 1882 : il s’agissait de créer une communauté nationale, d’unifier la langue au mépris des patois et des langues locales, et de séparer l’instruction du citoyen de l’instruction religieuse. Dans cette ligne se retrouve l’idée des Lumières d’une éducation et d’une instruction qui soient émancipatrices ; faut-il pour autant que l’École de l’État soit le lieu unique de l’instruction ne laissant aucune liberté de choix ni aux parents ni aux enfants ? Ce n’était le vœu ni des Lumières, ni même des Révolutionnaires à l’exception de quelques‑uns, et pas du tout la volonté des Républicains entraînés par Jules Ferry.

 

Ainsi, Emmanuel Macron a annoncé que l’instruction serait désormais obligatoire au sein de l’école dès l’âge de 3 ans. Comment se fait-il qu’il ait oublié qu’une partie de cette disposition est déjà, et à sa demande, inscrite dans la loi « Pour l’École de la Confiance » et que l’autre partie, l’instruction dans l’école, est largement inscrite dans les pratiques sociales ? L’instruction obligatoire dès 3 ans est une disposition discutable mais qui n’a pas suscité de remous puisqu’environ 98 % des enfants de 3 ans fréquentaient déjà l’école. Est-ce que rendre obligatoire la fréquentation de l’École dès 3 ans va vraiment contribuer à mettre en difficulté le « séparatisme » ?

 

Oui, si on pense que l’instruction à domicile peut être vecteur de l’insufflation d’idées antirépublicaines. Donc Emmanuel Macron a annoncé que « L’instruction à l’école sera rendue obligatoire. C’est une nécessité. J’ai pris une décision, sans doute l’une des plus radicales depuis les lois de 1882 et celles assurant la mixité scolaire entre garçons et filles en 1969. », donc que l’enseignement à domicile serait « strictement limité, notamment aux impératifs de santé ». Toutefois la loi de 1882 n’avait rendu obligatoire que l’instruction, et certainement pas la fréquentation d’une école ; en France la scolarité n’a jamais été obligatoire, seule l’instruction de 3 à 16 ans est obligatoire. La loi proposée modifiera celle de 1882, en termes législatifs ce n’est qu’une question technique, mais en termes de droit il en va autrement. En rendant l’école obligatoire on dépossède les parents, et aussi les enfants quand ils peuvent le faire, du droit de choisir ce qu’ils estiment être la meilleure des éducations, on les oblige à rentrer dans un carcan étatique de la pensée unique, ce qui rappelle ce qui se passe dans certains pays pas vraiment des parangons de démocratie. Instaurer une scolarité obligatoire c’est aussi contrevenir aux dispositions de l’alinéa 3 de l’article 26 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui stipule : « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. » L’École étant de nos jours indissociable de l’éducation on ne peut pas empêcher les parents de choisir le type d’école ou l’instruction à domicile. En outre, l’instruction à domicile concerne moins les « séparatistes » qu’une frange réduite de la population plutôt « occidentalisée », chrétienne et appartenant aux strates aisées de la société : 0,5 % des enfants, qui appartiennent aux classes moyennes et supérieures de la population. Certes c’est un phénomène en croissance, en France mais plus généralement dans le monde, comment peut-on s’opposer simplement dans un discours à une évolution sociétale forte ? Le président de la République a toutefois précisé que ces restrictions ne concerneraient pas les enfants malades soit un peu plus de 25 000 ni les élèves en situation de handicap, les sportifs de haut niveau ou les familles en itinérance. Ne seraient visés, dit le président, que les enfants dont les parents font le choix de l’instruction à domicile pour des motifs religieux. Là nous sommes devant un vide abyssal : personne ne déclare de motif religieux au moment de la déclaration d’instruction à domicile, si c’était le contraire il faudrait que le Ministère de l’Éducation en apporte une preuve statistique fiable. Pour justifier sa proposition le président de la République a pris l’exemple de parents d’élèves refusant que leurs enfants assistent au cours de musique ou se rendent à la piscine, donc il parle d’enfants scolarisés, pas d’enfants instruits dans la famille. Comment dans « la vraie vie » empêcher que des enfants bénéficient de certificats médicaux, faudra‑t‑il que les médecins scolaires procèdent pour chaque cas à une contre-visite ? C’est un débat, dans la façon dont il est conduit, aussi stupide que l’affaire des certificats de virginité ; le mal risque d’être pire que le bienfait escompté. Finalement la mesure, en contravention avec la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, ne touchera que quelques enfants, vraisemblablement moins de 10 000 compte tenu des dérogations, dont les familles n‘appartiennent pas à la mouvance séparatiste, une broutille face aux 12 millions d’élèves, et ne réglera pas le problème qu’elle est censée résoudre. Quel bazar ! Que d’enfumage ! Du tape à l’oeil médiatique ! Indigne d’une politique raisonnée et raisonnable !

 

Le président de la République a évoqué le cas des écoles hors contrat faisant d’ailleurs un dangereux amalgame entre‑elles et les écoles illégales. Heureusement pour la paix sociale et la conservation des libertés il n’a pas remis en cause l’enseignement privé sous contrat dont il fut l’élève et son épouse un des professeurs. Cet établissement affiche sur son site internet un mot du directeur qui n’exalte pas vraiment les valeurs de la République : « La Providence est un établissement catholique d’enseignement, sous tutelle Jésuite, ouvert à tous… » Toutefois il a annoncé « une amélioration » et une augmentation des contrôles indiquant par là que les inspecteurs ne feraient pas bien leur travail sans annoncer une réforme de leurs fonctions ni une augmentation de leur nombre. Dans le même esprit le président de la République souhaite renforcer les conditions d’ouverture et de contrôle des établissements scolaires hors contrat. Ces établissements qui n’accueillent que 85 000 des 12 millions d’élèves, se répartissent suivant trois tiers : un tiers en pédagogie alternative type Montessori, un tiers laïque et un tiers confessionnel. La création de ces établissements est encadrée strictement par une loi ancienne qui prenait peu en compte l’enseignement secondaire, ce que la Loi Gâtel de 2018 a amélioré comme elle a confirmé et amélioré les contrôles des compétences des personnels et du directeur dès le moment de la demande d’ouverture. Cette demande est strictement réglementée, notamment la personne qui déclare l’ouverture (association ou personne individuelle) et qui peut être différente du directeur doit fournir un extrait de casier judiciaire, le projet pédagogique est joint à la déclaration et l’inspecteur qui va visiter les locaux et les installations en a connaissance avant sa visite (https://www.creer-son-ecole.com/formalites-academiques/), l’autorisation d’ouverture est provisoire d’ailleurs la Loi Gatel a allongé le délai probatoire, et ces écoles doivent être régulièrement visitées par un inspecteur qui doit s’assurer de l’état des connaissances des élèves comme il le ferait dans le cas d’une instruction dans la famille ce que renforce la Loi Gatel qui « affirme le principe d’un contrôle annuel de chaque établissement ou classe hors contrat et prévoit que les services de l’éducation nationale devront prévenir le préfet et le procureur de la République s’il apparaît que l’enseignement dispensé est contraire à la moralité ou aux lois ou que des activités menées au sein de l’établissement sont de nature à troubler l’ordre public ». Le chef de l’État a évoqué à propos du renforcement des contrôles celui de l’origine des financements ; je crains qu’il n’y ait une entrave à la loi et en tout cas à la bienséance : comment considèrera‑t‑on que Mohamed VI, Jef Bezos, Yannick Noa qui vit aux USA qui adresseraient un chèque à une école hors-contrat comme l’école des Roches où serait accueilli un de leurs enfants ? À partir de quand un financement venu de l’étranger sera-t-il illégal ? Pense‑t‑on que des mouvements islamistes seront assez stupides pour apposer leur signature au bas d’un chèque ? Bien des écoles hors contrat vont se trouver inquiétées injustement par une mesure qui en fait vise surtout les écoles illégales. Alors, à part l’esbroufe habituelle chez Emmanuel Macron, on ne voit pas bien où il veut en venir à propos des écoles privées hors contrat, à moins qu’il ne veuille les « nationaliser ». Sans doute faudrait-il qu’il descende de son Olympe.

 

Les cas des écoles illégales sont tout autres, puisque par essence, elles ne font l’objet d’aucun contrôle de la part des autorités académiques. À ce sujet le président de la République a surtout évoqué des « déscolarisations » qui font suite à des demandes de dérogation pour tel ou tel enseignement (sport, piscine…). Les seraient déclarés comme bénéficiant d’une instruction à domicile mais ne suivent pas en réalité les cours du CNED, l’établissement public dédié à l’enseignement à distance. Ils se retrouvent dans des « structures nullement déclarées ». Autre ignorance, la scolarisation dans la famille n’oblige en rien une inscription au CNED, et s’il y a eu déclaration d’instruction à domicile ces enfants sont connus, repérés et font l’objet d’un contrôle de leur évolution scolaire conduite par un inspecteur de l’Éducation nationale. Sans doute, mais il faut plus d’inspecteurs, pourrait-on augmenter le nombre de visites au domicile : une fois par an au lieu de 3 fois entre 6 ans et 16 ans. Donc si ces enfants rejoignent une école illégale l’administration dispose des moyens juridiques et en personnels pour les « repérer », en outre en cas de manquement à ses obligations d’instruction la famille peut se voir retirer le bénéfice des allocations familiales. Reste le cas d’enfants qui n’auraient jamais été signalés à l’autorité académique et qui pourraient ainsi rejoindre « clandestinement » une école illégale. Curieux cas de figure, étonnant cas de figure car les mairies disposent du registre des naissances qui d’ailleurs sert aux prévisions d’ouverture de classes ; chaque année les mairies communiquent le nombre de naissances à l’autorité académique. Là, il faut prendre en compte les déménagements qui amèneraient dans une commune des enfants « inconnus ». Combien d’enfants fréquentent ces écoles illégales et clandestines ? D’après le ministre de l’Éducation nationale ce sont 25 000 enfants qui seraient concernés sur les 12 millions d’élèves, et ajoutons que la plupart d’entre eux sont connus des services de l’État et de mairies donc, contrairement à ce que dit Emmanuel Macron, s’ils sont en dehors des radars de l’Éducation nationale c’est parce que celle‑ci ne fait pas fonctionner ses radars. Le président contredit lui‑même ses propos, comment ces enfants échapperaient‑ils aux radars alors, dixit son discours, si « Chaque semaine, des recteurs et rectrices trouvent des cas d’enfants totalement hors système. ». Commençons donc par appliquer les lois existantes avant de monter de nouvelles usines à gaz.

 

Le 2 octobre Médiapart écrit : « Emmanuel Macron a décrit des élèves qui suivent des cours religieux de 8 heures à 15 heures derrière « des murs, presque pas de fenêtre, des femmes en niqab qui les accueillent, des prières, certains cours, voilà leur enseignement ». Pour accréditer ces récits, le chef de l’État a évoqué une directrice d’école de Maubeuge qui lui aurait fait part de certains exemples analogues lors d’une visite. » D’abord on ne comprend pas bien comment une directrice d’école peut être aussi affirmative et sur quelle base de connaissances de faits s’appuie‑t‑elle ? Si les faits qu’elle affirme sont avérés elle a commis une faute professionnelle grave en ne les signalant pas aux autorités académiques. Bon, il faut bien que le président de la République étaye son discours, plutôt creux, avec des exemples fussent‑ils apparentés à des fake news. Au-delà des effets de discours ne nions pas que ces écoles illégales existent d’autant que tout regroupement d’enfants de familles différentes autour d’une personne dispensant un enseignement est appelé « école ». Elles existent et j’ai eu l’occasion d’avoir connaissance d’une telle école lorsque je travaillais pour le compte de l’école de formation des cadres de l’Éducation nationale (IH2EF) sur le phénomène sectaire : elle n’avait pas de lien avec le monde salafiste, même pas avec le monde musulman ou arabophone, elle était on ne peut plus catholique. Je fus informé de son existence par la cellule de vigilance contre le phénomène sectaire du ministère de l’Éducation nationale et par la Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires (MIVILUDES) que l’actuel président de la République a dissous privant ainsi l’État d’une source d’information précieuse. La prévention contre les dérives sectaires est aujourd’hui gérée par un service du ministère de l’Intérieur : Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, ce faisant l’État abandonne tout un pan du phénomène sectaire et concentre son action sur un certain type de radicalisation, celle dite islamiste. Je raconterai un jour comment et pourquoi j’ai dû abandonner le stage des rencontres du Réseau des Écoles de Services Publics, notamment parce que pour les auditeurs l’axe de discussion, la réflexion étant absente de leur champ, n’était que le regard sur la délinquance et d’autre part il manquait parmi les stagiaires ceux de l’Éducation nationale et ceux de l’École nationale de la magistrature.

 

Si la MIVILUDES avait mis en évidence la réalité du phénomène sectaire, si les inspecteurs de l’Education nationale par les visites dans le cadre de l’instruction à domicile avaient pu repérer l’existence de sectes, il n’est pas apparu que le nombre des écoles clandestines a explosé. Indubitablement il y en avait, mais l’explosion n’était pas là. Sans doute depuis quelques années, avec la croissance du phénomène islamiste salafiste il en existe plus, de là à dire qu’elles sont une menace pour le pays, c’est une autre paire de manches. Pour autant il n’y a pas de raison de ne pas les confronter aux exigences de la Loi, et l’État dispose de tous les outils pour en assurer le repérage et le contrôle.

 

Quoi qu’il en soit ne sont potentiellement « dangereuses » que les écoles illégales qui professent un enseignement contraire aux règles de la République française, mais sont-elles une cause ou un effet ? Dans son discours le président de la République a inscrit la lutte contre le « séparatisme » dans une métonymie en confondant la cause et l’effet lorsqu’il parle de l’École. La loi donne tous les moyens à l’État pour lutter contre les effets, si on considère que les écoles illégales sont une conséquence ou un moyen d’installer le « séparatisme ». Comment peut-on penser qu’elles sont la cause du « séparatisme » ? Quand on veut traiter une maladie il est nécessaire de soigner les effets mais il est aussi indispensable de rechercher et de remédier à la cause. Dans l’amalgame qu’a fait Emmanuel Macron entre écoles privées sous contrat, écoles privées hors contrat, instruction dans la famille et écoles illégales, il a installé du doute, de l’inquiétude, de l’anxiété, de la peur et sans doute de la haine en même temps qu’il a ravivé de vieux démons jamais absents de l’âme humaine.

Avant Jules Ferry il y avait des écoles

  Ce billet est un complément autant qu’une explicitation de mon précédent billet : « Monsieur le Député : Non ! L’enseignement privé ce n’e...