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vendredi 9 avril 2021

La difficulté scolaire : ça n'existe pas (4)

 



c- de l’inadaptation à l’invention de l’échec scolaire : les années 1945 – 1970

 

Quoi qu’il en soit des aspirations des élèves le principe d’une scolarité jusqu’à 14 ans s’est installée et fut socialement plutôt bien admise, d’autant que le certificat d’étude primaire qui sanctionnait cette scolarité était un diplôme important comme le fut ensuite le Brevet puis le Baccalauréat. Il sanctionnait la fin de la scolarité de l’élève mais surtout il ouvrait des possibilités d’emplois rémunérateurs.

Le système était bien établi et trouva un espace de croissance dans les années 1945 – 1950 qui furent marquées par la reconstruction de la France après la guerre et par un essor économique considérable[1]. Durant cette période l’idée de formation est de plus en plus liée à celle de développement économique et d’insertion sur le marché du travail, notamment parce que le salariat se transforme ; il y a moins d’agriculteurs et d’artisans, l'industrie a moins besoin de manœuvres mais crée plus de postes d’ouvriers qualifiés, de techniciens et d’employés. Surtout cette période voit un fort développement du nombre d’emplois de cadres et d’ingénieurs. Il apparaît alors nécessaire de prolonger la formation des jeunes au-delà de l’instruction primaire, ce qui, liée à l’idée socialement bien installée d’ascension sociale, amènera la loi Berthoin qui prolongea la scolarité jusqu’à 16 ans.

 

Une « telle ambiance » sociale et une telle loi ne pouvaient pas ne pas avoir d’incidence sur le système scolaire et dans ses relations avec les élèves et leurs parents. D’une part les classements scolaires déterminent de plus en plus la valeur et la place sociales des individus (à commencer par la profession), c’est le renforcement de la notion de méritocratie qui avait vu le jour dès le milieu du 19ème siècle, et d’autre part c’est l’accélération de l’atténuation de la dissociation école primaire / enseignement secondaire qui avait été amorcée dès le début du 20ème siècle par la prise en charge de la formation professionnelle (centres d’apprentissages) par l’Education nationale, l’instauration de la gratuité de la 6ème en 1930 puis de toute la scolarité au collège en 1933 avec toutefois la mise en place d’un examen d’entrée en 6ème qui disparaîtra partiellement[2] avec la Loi Berthoin (1956) et totalement en 1959. Donc la Loi Berthoin ayant décidé de l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans pour les enfants nés après le 1er janvier 1953, il n’était pas possible de maintenir les classes de fin d’études primaires. Les élèves, au fil des cohortes, rejoignaient tous le collège avec un apogée au début des années 1960 ce qui amena l’Etat, en 1963, à mettre en œuvre la création des CES (collège d’enseignement secondaire) avec une orientation des élèves en fin de la classe de 3ème. Mais la séparation connue entre enseignement primaire et enseignement secondaire subsistait, d’un côté les CES avec un enseignement dit court[3] et en face les Lycées avec un premier cycle (6ème à 3ème) et un second cycle (2nd à Terminale) et souvent un enseignement du premier degré (Éole élémentaire) de la 11ème (CP) à la 7ème (CM2). Cette distinction n’était plus admissible socialement, surtout après Mai 1968, mais pas non plus pertinente en matière de gestion du système éducatif au regard de ses ambitions de formation de haut niveau pour les élèves. Dans les années 60, plus encore que pour la période 1945-1950, l’école est articulée sur les réalités économique et sociale, elle est vue comme moyen d’ascension sociale et les familles investissent beaucoup d’espoir dans l’école. Ce fut alors la création en 1975 (Loi Haby) de ce qu’on a appelé le « collège unique » qui ne veut pas dire que la scolarité dans le collège devait être la même pour tous, il s’agit simplement d’évoquer la disparition des deux systèmes du premier cycle de l’enseignement secondaire. Il existera des classes pour les élèves en difficulté à l'école : Classes de Pré-Apprentissage (CPA), Classes Pré‑Professionnelles de Niveau (CPPN) aujourd’hui disparues, les Sections d’Enseignement Adapté (SES) vue comme le prolongement des classes de perfectionnement, elles sont devenues des Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté (SEGPA).

 

Dans le même temps où se mettaient en places ces réformes apparaissait chez les chercheurs et les gestionnaires le concept « d’échec scolaire » comme le rappelle Stanislas Morel : « Dans le même temps, « l’échec scolaire » s’impose sociologiquement, comme un problème majeur. » L’échec scolaire est regardé du point de vue de l’élève en échec qui hypothèque son insertion professionnelle voire sociale ce qui devient une préoccupation pour la société : que faire des élèves sans diplôme, d’autant que l’échec scolaire met en évidence des « inégalités sociales » notamment dans la capacité des enfants à accéder aux savoirs scolaires. Ce double regard questionne sérieusement la notion de méritocratie mais aussi le fonctionnement de l’école ; en 1965 dans la revue ESPRIT Jean Cordier (psychiatre) écrivait : « Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la question de la responsabilité de l’école dans l’apparition de l’arriération doit se poser. […] La fréquentation d’une école, la réussite scolaire, sont entrés dans la compétition sociale. », on comprend bien que « l’échec scolaire », au-delà même de la notion « d'arriération » ou de déficience, soit devenu un vrai sujet de politique publique au moment où la modification de la demande sociale d’école et donc la concrétisation de l’unification se heurtent à la problématique de l’hétérogénéité des publics scolaires. Finalement, pourrait-on dire, l’échec scolaire est un effet pervers de la généralisation de l'enseignement secondaire puis de son unification, et de la massification qui entraînait une forte hétérogénéité des publics scolaires.

 

Là aussi, comme jadis pour l’enseignement primaire, une terminologie apparue qui évoluera au fil des années et des évolutions sociales. Par exemple on inventa le terme de « déviance scolaire » qui s’inscrivait dans la droite ligne de la création en 1943 du Conseil Technique de l’Enfance Déficiente et Danger Moral qui forgera la terminologie « enfance inadaptée ». On renvoie alors ces enfants et ces adolescents vers le secteur médico-social ou la Protection Juridique de la Jeunesse. S’ils sont adressés à ces filières spécialisées pour une enfance inadaptée ou déficiente (ou déviante) c’est qu’ils sont perçus comme étant « à part » et redevables d’une éducation « à part ». Les « handicapés » semblent exclus de ces politiques publiques d’éducation parce que le problème des handicapés n’est pas à l’ordre du jour pour l’école, il est renvoyé au secteur médico-éducatif jusqu’à la Loi de 1975[4]. L’orientation dominante est alors à séparer les systèmes : école ordinaire + secteur de l’enfance inadaptée.

 

Pour autant l’école conserve la prise en charge d’élèves qui sont en difficulté à l’école et qui ne relèvent pas de structures spécialisées externes. Elle le fera en renforçant les structures spécialisées existantes et en créant des fonctions d’enseignants spécialisés pour les enfants dits « débiles » (70<QI<100) ; le nombre de classes de perfectionnement ne dépassera jamais 400 et celui des écoles nationales de perfectionnement[5] un peu moins de 100, en 1963 le certificat d’aptitude à l’enseignement des enfants arriérés (créés en 1909) est remplacé par certificat d’aptitude à l’éducation des enfants et adolescents déficients ou inadaptés (CAEI) avec 7 options[6] mais la plupart des titulaires enseignent en établissements spécialisés exception faite pour les titulaires du RPP et du RPM obligatoirement affectés en GAPP (aujourd’hui RASED). Cependant on voit que la majorité de ces politiques, qu’il faudrait développer pour être plus précis donc plus exacte, répondent à des « catégories » d’élèves et peu à des individus pris dans leur individualité mais aussi mis face à ce qui pourrait être « leur responsabilité » pour aller au-delà de leur condition. Dans ces années 1970 où le regard des politiques est attiré vers les populations en difficulté par le livre de René Lenoir « les exclus » (1969) la sociologie met en cause les modèles explicatifs de l’échec scolaire : la figure du cancre disparaît et on questionne le déterminisme social avec Pierre Bourdieu, la responsabilité de l’individu avec le concept d’individualisme méthodologique[7] de Raymond Boudon et le livre majeur d’Alain Touraine « le retour de l’acteur ». Très schématiquement c’est ce qu’en sociologie on peut appeler le « retour de l’acteur[8] » concomitant du paradigme du « retour du sujet ». C’est à cette époque qu’en médecine apparaît une discussion autour de la question du « qui soigne-t-on », soigne-t-on une personne ou une maladie ? Le médecin est invité à envisager son patient sous l’angle d’une totalité, et de ne pas de le réduire à sa maladie, voire à l’organe malade.

 

Cette évolution de la conception du fonctionnement de la société et la prise en compte du rôle de l’individu amènent à de nouvelles conceptions du handicap. Le terme générique de « handicap » tend à disparaître, il est dans un premier temps par l’idée de diversification du handicap, désormais il y a des handicaps, puis dans les années 1990 on parlera de « situation de handicap ». Concernant le champ scolaire les années 1970 voient paître de nouvelles conceptions et théories de l’apprentissage qui prennent particulièrement en compte l’élève comme individu et qui cherchent à mettre en évidence les processus individuels d’apprentissage ; c’est la naissance de la didactique.

 

Dès lors s’affirmeront les vertus de la prévention des inadaptations et les vertus du soutien et de l’intégration en milieu ordinaire des enfants en situation de handicap ou simplement en difficulté à l’école.

 

 

 



[1] On a appelé cette période « Les Trente Glorieuses ».

[2] Les élèves de CM² qui avaient des notes supérieures à la moyenne étaient admis en sixième sans examen.

[3] Sans deuxième langue vivante, sans latin ni grec, avec de la physique et de la chime…

[4] Loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées.

[5] Ce sont des écoles avec un internat où l’enseignement dispensé est celui des classes de perfectionnement et qui accueillent des enfants dans des situations sociales particulières (difficultés familiales, parents pas sédentarisés comme les bateliers ou les forains…

[6] Dont DI = déficient intellectuel, DV= déficient visuel, RPP = rééducateur en psycho-pédagogie, RPM = rééducateur en psycho-motricité… ce CAEI deviendra CAPAIS puis aujourd’hui CAPASh…

[7] L'individualisme méthodologique est un paradigme de sciences sociales, selon lequel les phénomènes collectifs peuvent (et doivent) être décrits et expliqués à partir des propriétés et des actions des individus et de leurs interactions mutuelles (approche ascendante). Cette approche s'oppose au holisme, selon lequel les propriétés des individus ne se comprennent pas sans faire appel aux propriétés de l'ensemble auquel ils appartiennent (approche descendante). (Wikipédia)

[8] On peut résumer le paradigme d’acteur en sociologie comme le fait Luce Kellermann : « Pour remédier à ces défaillances et rompre avec une vision évolutionniste et fonctionnaliste, une nouvelle représentation de la vie sociale est proposée. Elle est fondée non plus sur des notions de société, d’évolution, de rôle désormais écartés, mais sur l’idée centrale d’action sociale où les notions d’historicité, de mouvement social et de sujet sont mises à l’honneur. »


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