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dimanche 21 mars 2021

La difficulté scolaire : ça n'existe pas. (1)

 


La « difficulté scolaire » n’est pas un concept unifié, c’est plutôt une notion si on se réfère aux définitions habituelles :

·         Concept : Faculté, manière de se représenter une chose concrète ou abstraite ; résultat de ce travail ; représentation

·         Notion : Connaissance immédiate, intuitive de quelque chose / Connaissance d’ensemble, élémentaire, acquise de quelque chose / Construction, représentation de l’esprit…

 

Mais surtout, la notion de difficulté scolaire est une construction sociale qui naît en même temps que l’école. Elle se construit et évolue au rythme des changements sociaux et de l’évolution de l’école. C’est dire que la question de la « difficulté scolaire » n’est pas nouvelle, elle date de la création de l’école et a été formulée différemment suivant les époques mais avec une question récurrente voire permanente : l’école est-elle adaptée au public qu’elle veut accueillir ? Au-delà, de cette question, s’élabore une autre façon de construire « la difficulté scolaire » dans le cadre d’une construction « socioprofessionnelle » qu’on pourrait résumer suivant deux axes : qu’attend-on des enseignants, qu’est-ce qu’enseigner donc comment existe la professionnalité et l’autorité des enseignants ? Là, l’échec de l’enseignant ou plus simplement le mal-être professionnel vont être interrogés.

 

Ainsi, l’histoire montre que depuis le début de l’école la « difficulté scolaire » (ou d’enfant en difficulté scolaire) est au carrefour : de la pédagogie, de la philosophie, de la médecine et, dès l’émergence de ces sciences, elle intéresse la psychologie, la pédopsychiatrie, la neurologie… et l’orthophonie

 

C’est en raison de cette histoire complexe et de ce « carrefour » qui peut désorienter que je préfère parler d’enfant en difficulté à l’école que de rester enfermé dans une notion qui sera restrictive. Parler d’enfant en difficulté à l’école c’est prendre en compte l’enfant mais aussi l’école en tant que structure, lieu de relations sociales, aussi d’organisation et de mise en scène des apprentissages. Ce qui n’est pas anodin pour l’approche que vous aurez des patients qui vous seront adressés.

 

Je vous propose que nous balayions cette question en 4 étapes :

1-         Point de vue épistémologique : qu’est-ce que la question de la difficulté scolaire, comment la définit-on, en quoi et comment intéresse-t-elle les « sciences »

2-         Survol historique de l’émergence de la « difficulté scolaire »

3-         Le point aujourd’hui

a.         Sociologique

b.         Pédagogique

4-         La réduction, la rééducation, l’orthopédagogie

  

I)                  Point de vue épistémologique

 

Pour appréhender la notion de « difficulté scolaire » il faut s’interroger sur 3 mots :

-          Difficulté : qu’est-ce que c’est qu’une difficulté, qu’est-ce que c’est qu’être en difficulté ?

-          Élève : qu’est-ce que c’est qu’un élève, qu’est-ce qu’être élève, comment un élève apprend (réfère au cours de didactique) ; qu’est-ce qu’un « bon et mauvais élève » ?

-          L’école comme cadre de référence : qu’est-ce que c’est que l’école, existe-t-il une norme scolaire qui définit des « attentes »… ?

 

a)      Qu’est-ce que c’est qu’une difficulté, qu’est-ce que c’est qu’être en difficulté… être en difficulté quand on est un élève ?

Les deux extraits de romans suivants peuvent nous aider à orienter notre réflexion :

 

Santiago GAMBOA « Retourner dans l’obscure vallée » à propos du poète Arthur Rimbaud :

« Enfant, il avait, paraît‑il, un regard glacial malgré son aspect chétif et fragile. Étrange combinaison. Quand il s’asseyait au premier rang de la salle de classe, le professeur se sentait jugé, mal à l’aise, et bientôt tout le monde se rendit compte que ce n’était pas un enfant comme les autres. »

 

Ici ; qui est en difficulté : le professeur ou l’élève ?

 

Robert MUSIL « les désarrois de l’élève Törless » :

« À ses camarades, le goût du sport, un plaisir animal de vivre permettait de ne pas souffrir de ce manque [jugement sur les choses, les gens… intellectualisé], comme le permet aux lycéens leur passade littéraire. Mais Törless était trop intellectuel, pour l’un, et pour l’autre, la vie d’internat qui oblige à avoir toujours le poing prêt à la réplique, à la bagarre, l’avait rendu trop sensible au ridicule de ces sentiments d’emprunt. Une indétermination, une détresse intérieure s’ensuivirent qui l’empêchèrent de se trouver. »

 

Là, quelle est la difficulté ?

 

Il faut donc s’entendre sur une définition, a minima, de la difficulté. La difficulté n’existe pas, plus exactement elle ne préexiste pas à l’évènement ou au cadre qui font qu’on va avoir recours à elle pour caractériser une situation. Ainsi, la difficulté c’est ce qui rend une chose difficile : la difficulté d’une opération, la difficulté des chemins, des passages, ce travail est pour lui sans difficulté. La difficulté ce peut être aussi le manque de facilité ou de capacité pour quelle qu’action que ce soit. Dans ce dernier cadre où la difficulté est un « manque » pour la réalisation d’une tâche, elle exprime aussi la peine ressentie en réalisant une fonction, un travail ou un objectif, une « peine » qui engendre de la SOUFFRANCE.

 

Citons pour éclairer le débat dans le cadre scolaire les propos d’un Maître E. S’adressant aux 4 élèves réunis en atelier hors de la classe le Maître E dit : « Tout d’abord on pourrait se demander pourquoi vous êtes réunis ici tous les quatre ? » Cédric (élève de CE1) saisit l’opportunité. Il dresse une liste remarquable de ses difficultés : je ne sais pas…, j’ai du mal à…, c’est difficile…, je n’aime pas faire… »

Dans le cadre qui nous intéresse : les élèves en difficulté, nous sommes confrontés à ces 2 cas de figure :

1- L’obstacle qui rend la tâche difficile. Chacun d’entre nous a été confronté à un exercice ou à la lecture d’un texte d’une telle complexité que sa résolution ou sa compréhension étaient difficiles ; élèves ou étudiants, nous étions alors en difficulté. C’est la mission de la didactique d’expliquer comment fonctionne l’apprentissage et de montrer comment mettre en œuvre un apprentissage en maîtrisant les obstacles. Il ne faut pas trop d’obstacles pour ne pas rendre la tâche insurmontable, mais il en faut suffisamment pour permettre de progresser.

2- L’incapacité intrinsèque au sujet pour surmonter les obstacles d’une situation : le handicap physique qui empêche le 110 m haies, le trouble de l’apprentissage comme les « dys… ». C’est la mission de « l’école inclusive » : accepter tous les élèves « malgré » leurs différences.

Si aujourd’hui on parle d’école inclusive cela veut dire qu’à une époque où on n’acceptait pas tous les élèves et ça pose la question de savoir pourquoi certains n’avaient pas leur place à l’école.

 b)     L’école comme cadre de référence

 Lorsqu’on parle d’enfants en difficulté à l’école on ne se pose que trop rarement la question initiale : qu’est-ce que l’école ? Or s’il y a « difficulté scolaire » c’est avant tout parce que c’est dans l’école que ça se passe ; en dehors de l’école un enfant qui ne sait pas lire sera en difficulté sociale mais pas en difficulté scolaire (et encore…). D’autre part il faut s’interroger sur le fait de savoir si l’école ne pourrait pas elle-même être source de difficulté ? En somme existe-t-il une « demande scolaire » ?

 

Pour Daniel Roy (psychiatre, psychanalyste) il existe bien une demande scolaire : « la demande scolaire, du point de vue de l’enfant, c’est très simple, c’est ce qui est attendu de lui à l’école, ce qui est attendu en termes d’apprentissage, d’intérêt pour les savoirs proposés à son attention mais aussi ce qui est attendu en termes de relations avec ses camarades et les enseignants, et, en disant cela, on aperçoit déjà que ce qui se joue à l’école ne concerne pas seulement l’élève mais l’enfant dans sa position face à ce que j’appellerai ses responsabilités d’enfant. »

 

Mais la caractéristique majeure de la demande scolaire c’est qu’elle s’applique à la fois à tous et à chacun ; si elle concerne bien l’enfant, comme le dit Daniel Roy, elle le concerne identiquement à la façon dont elle concerne chacun des enfants. Du coup ça pose la question de l’enfant dans ce contexte qui est amené à s’interroger par rapport à l’Autre (l’adulte, le maître) qui est le moteur, le représentant, le médiateur de la demande : que me veut l’Autre ?

 

Pour Marie-Agnès Macaire-Ochoa (psychologue) « L’enfant doit effectuer un passage, celui de « sa lalangue[1] » (Lacan) celle qu’il s’est approprié à partir de la langue maternelle, la langue commune, la langue de l’Autre. A l’école, l’enfant doit se plier aux codes de l’école, et aux apprentissages. Si sa curiosité n’est pas aiguillonnée par un désir de savoir, il risque de rester en panne. Ajoutons que ce désir de savoir s’origine d’une grande question : que veut l’Autre ? Que me veut l’Autre ? L’Autre étant représenté, pourquoi pas, par le professeur des écoles. »

 

c)      L’élève :

Quand on traite de l’enfant en difficulté à l’école il faut savoir ce qu’est un élève et ce qui distingue l’enfant de l’élève. L’élève c’est sans doute un enfant doté d’une bonne capacité à accepter la norme scolaire ; pour autant l’élève ne se déprend pas de son « Être enfant ». Partant de là est-ce que les enseignants ne recherchent pas l’élève modèle ou un modèle d’élève ?

  

Voilà posés les fondements de la question de l’enfant en difficulté à l’école. Une question, écrit Daniel Roy, « dont j’espère qu’elle constitue une zone de recouvrement de deux praxis » : celle des enseignants, des psychologues scolaires, des chercheurs en pédagogie qui réfléchissent aux méthodes et aux dispositifs d’apprentissage, et « La pratique psychanalytique auprès des enfants, dont le point de départ est défini le plus simplement possible par le ou les symptômes présentés par l’enfant ». Il faut sans doute ajouter à ces deux praxis celles de l’ensemble des professionnels qui interviennent au profit de l’enfant comme l’écrivait, en 1961 (déjà), Jean Guillaumin : « Les cas d’inadaptation scolaire sont légion. Pédagogues, psychologues et médecins s’emploient de diverses manières à en faire le diagnostic et à en entreprendre la réduction. »

 



[1] Lalangue sert à tout autre chose qu’à la communication. L’expérience de l’inconscient, en tant qu’il est fait de lalangue dite maternelle, ne garantit pas que c’est bien d’eux-deux qu’il s’agit. C’est l’ensemble des femmes qui engendre lalangue.

vendredi 22 mai 2020

Observons les élèves, avant tout…





Le numéro de juillet 2019 de la revue Sciences Humaines nous livre un article intéressant de Hugo ALBANDEA : « Parlez-vous english ? ». Dans ce court article le journaliste fait une synthèse d’un rapport du CNESCO (conseil national d’évaluation du système scolaire) dans lequel il est souligné que les élèves français n’ont qu’un niveau extrêmement médiocre en langue étrangère. Mais, « Le ton n’est pas alarmiste. D’abord, les auteurs rappellent que les élèves français ont progressé depuis les dernières enquêtes de 2004 et 2010. D’autre part, le travail des professeurs n’est pas remis en cause : ces derniers passent en moyenne une heure de plus par semaine que leurs collègues à préparer leur cours. » indique le journaliste.

L’enseignement des langues vivantes n’étant pas, ici, mon propos je n’en dirai que deux choses : l’extrême rareté des innovations pédagogiques dans cet enseignement, et son indigence dans le premier degré. La confrontation des enfants avec une langue étrangère à l’école maternelle, lieu d’appropriation du langage, est quasi inexistante, et à l’école élémentaire on relève une pauvreté de contenu, de temps consacré et bien sûr d’innovation pédagogique. Tout cela s’explique par un défaut de formation des enseignants du premier degré, et pour ce qui concerne l’innovation pédagogique par le manque de capacité des enseignants à innover accru par le poids de la double hiérarchie que constituent les pratiques – vraies ou supposées — d’inspection et les programmes scolaires encore trop injonctifs. Alors, dans ce contexte que veut dire « travailler plus » ?

D’après le CNESCO les professeurs de langue vivante consacreraient une heure de plus que leurs collègues à préparer leurs cours. Soit, mais est-ce une heure efficace ? Lorsque je recevais, en début d’année, les jeunes professeurs des écoles affectés dans la circonscription dont j’avais la charge je leur disais deux choses :
-          « Vous travaillez trop. »
-          « Être enseignant c’est comme être un funambule sur un fil sans balancier dans les mains. »

Parmi des élèves dans une classe (je préfère ça à « être face à des élèves »[1]) on ne sait jamais qu’elles vont être les réactions comportementales et d’apprentissage. Celui qui ose s’aventurer à affirmer qu’il sait comment les élèves vont recevoir et appréhender son discours pédagogique prend le risque d’ouvrir grand la porte à « l’échec scolaire ». Tout au plus peut-on savoir à l’aide de la didactique et de la psychologie comment les élèves appartenant à un cylindre central d’une courbe de Gauss vont réagir à cet apprentissage, mais qui connaît une telle courbe sait qu’il y a, de part et d’autre du cylindre central, des extrêmes dont on ne peut pas mesurer a priori l’attitude qu’ils auront.

Alors, l’enseignant doit préparer ses cours en tenant compte du « cylindre central » décrit par la didactique mais aussi en étant inventif pour mettre à la disposition des enfants « des écarts » des dispositifs différents d’entrée dans les apprentissages. Ces dispositifs différents seront novateurs ou pas, ce n’est pas là la question ; l’essentiel ce n’est pas la méthode mais l’adéquation entre la méthode et l’élève. L’essentiel en matière d’enseignement c’est d’être capable de mettre en œuvre une méthode qui permette à l’élève, dans son individualité, d’accéder à la connaissance. Jean-Jacques Rousseau écrivait qu’il n’y a pas de bonne et de mauvaise méthode, il n’y a que de bon et de mauvais maître, et cela me rappelle une anecdote du temps où j’étais « élève inspecteur ».

On nous avait envoyés visiter une classe de CM2 pour observer une leçon (maintenant on dit séance) de mathématiques. J’allais donc, en ce printemps 1995, rendre visite à un instituteur (ça se disait encore comme ça) dont je vis bien qu’il allait d’un pas vaillant vers une retraite proche. La classe dans laquelle il officiait avait un air d’image d’Épinal : cartes de géographie aux murs, frise des chiffres, affiches avec les tables de multiplication… et une estrade supportant un vieux bureau devant un tableau noir. Lui-même portait une blouse grise et tenait en mains une baguette dont il se servait pour montrer au tableau. En somme c’était une classe à l’ancienne, désuète mais tellement chaleureuse. La leçon portait sur la division, l’approche pédagogique était classique voire traditionnelle, à tel point que lorsque je narrai cette observation nos formateurs comme mes camarades me trouvèrent exagérément bienveillant avec un enseignant « ringard » et une méthode trop « ancienne ». Lorsque je dis comment j’avais félicité cet enseignant on me traita de laxiste.

Je veux bien être laxiste si cela consiste à féliciter celui qui fait apprendre aux élèves, à tous les élèves, à chacun des élèves. Dans cette classe c’était le cas où l’instituteur, sans rien enlever de son temps aux autres élèves, en passait beaucoup à côté de Léon qui semblait rencontrer énormément de difficultés. Lorsque j’interrogeais Léon à la suite de la leçon je vis qu’il avait compris, certes c’était incertain et hésitant mais l’instituteur ne manquerait pas de consolider l’édifice monté en commun (en communion) entre le maître et l’élève. Ce fut sur ce point que porta notre échange, pas sur la méthode.

On voit bien que si cet instituteur n’avait pas beaucoup travaillé à maîtriser les contenus d’enseignement et leur didactique, il n’aurait pas pu accompagner cet élève. Sans ce travail de préparation il n’aurait pas su trouver l’astuce pour différencier, mais en plus de son travail préalable à la séance il a mis en œuvre deux fondamentaux de l’acte d’enseigner : observer et oser.

Quand on enseigne il faut oser prendre des chemins de traverse, des routes disjointes de la voie centrale, des libertés pédagogiques qui font sortir d’une norme pédagogique ressassée par des ayatollahs de la pédagogie. Rousseau écrivait[2] : « Jeune instituteur, je vous prêche un art difficile, c’est de gouverner sans préceptes, et de tout faire en ne faisant rien. » C’est l’élève qui doit faire, le maître étant là pour le guider, l’encourager, le soutenir et lui fournir les matériaux nécessaires à l’apprentissage. Pour cela l’enseignant doit observer l’élève en action : comment apprend-il, quelles erreurs commet-il et pourquoi les commet-il. Là, je me souviens (j’étais encore instituteur) de cette élève de 4e de SEGPA dont les collègues disaient qu’elle ne comprenait pas les énoncés. Ils n’avaient pas observé qu’originaire d’un pays anglophone d’Afrique si elle maîtrisait bien le français à l’oral elle ne le lisait qu’imparfaitement. Je découvris, en discutant avec elle, qu’elle avait été scolarisée dans son pays d’origine mais que depuis son arrivée en France elle n’avait pas appris le français, si ca n’est en échangeant avec des camarades. Nous mîmes alors en place un dispositif d’aide, ce qui me valut une très belle lettre de remerciement… en anglais.

J’ai rencontré beaucoup d’enseignants dévoués qui s’échinent et s’acharnent à faire progresser ces élèves qui ne progressent pas. Quoi qu’il en soit de ces situations elles sont toujours vécues par les enseignants comme un échec. C’est un échec par rapport à eux-mêmes quelle que soit leur vision de la cause institutionnelle ou de compétence professionnelle ; du coup l’enseignant est aussi en difficulté (scolaire) comme l’écrivent Garcia et Olier[3] à propos des échecs des élèves dans l’apprentissage de la lecture : «… Les enseignants sont eux-mêmes placés [en échec] par le poids qu’exerce sur le présent des luttes pédagogiques passées et sans cesse réactivées […]. L’enquête que nous avons menée pendant 3 ans dans une école primaire éclaire ces difficultés : sans cesse célébré dans le discours comme ceux qui exercent « un métier difficile et essentiel », les enseignants sont livrés à eux-mêmes en ce qui concerne les appuis et le soutien qu’ils peuvent attendre de l’institution pour résoudre les problèmes qu’ils rencontrent. Mais ils sont aussi surencadrés par la prescription dans le domaine des démarches pédagogiques. »

Les enseignants sont libres dans leur classe, libres du choix de leur pédagogie, mais « ils ne sont considérés comme pouvant faire réussir les élèves que s’ils respectent un espace de possibles pédagogiques étroitement borné (normes), de sorte qu’ils ignorent ce qu’ils pourraient gagner – et les élèves aussi — à s’aventurer en dehors de ces bornes[4]. »

En matière d’enseignement, comme d’ailleurs dans bien d’autres situations, la norme ne doit être qu’indicative : elle répond à une moyenne, mais on doit s’en écarter en faveur des cas particuliers. Ce n’est, une fois encore, qu’en observant que l’on peut savoir comment et jusqu’où s’écarter de la norme.

Inutile donc de travailler plus, plus que les autres, si on ne prend pas en compte l’élève, l’état de ses savoirs et de ses compétences, sans doute aussi sa motivation et sa capacité à s’engager dans les apprentissages. Ce qui ramène à ma mémoire cette autre anecdote. Alors que j’exerçais des fonctions qui me tenaient éloigné des classes et des enseignants, le délégué des parents d’élèves de la classe de première dans laquelle était notre fils, vint me rencontrer pour me faire part du désarroi des parents en présence des résultats catastrophiques des élèves en mathématiques : la moyenne des notes de la classe ne dépassait jamais 8, elle descendait parfois à 4/20. Je pris donc rendez-vous avec le proviseur de ce lycée qui m’expliqua que la professeure était remarquable, professeure agrégée « elle faisait tout pour faire progresser les élèves ». Je me revois lui demander s’il connaissait le maniement des marionnettes à fil, quand on connaît on sait que si les fils ne sont pas attachés à la marionnette on n’obtient pas de mouvement. Dans cette classe, en mathématiques, visiblement les élèves présentaient de nombreuses et importantes lacunes. Or, en matière d’enseignement les lacunes sont comme autant de paires de ciseaux qui auraient coupé les fils rendant ainsi totalement inefficace le travail du marionnettiste. Si le marionnettiste n’a pas observé ses marionnettes il risque fort de s’escrimer en vain.

Si j’écrivais une fable je terminerais ainsi : rien ne sert de travailler beaucoup si on ne sait pas d’où on part, si donc on n’a pas observé les élèves avant de construire sa démarche pédagogique.




[1] L’expression « face aux élèves » donne l’image, et sans doute aussi le sens à la pratique pédagogique, d’une confrontation là où il ne doit y avoir qu’échange et partage.
[3] Garcia S. et Ollier A-C, Réapprendre à lire, 2017, Seuil.
[4] Ibd.

Avant Jules Ferry il y avait des écoles

  Ce billet est un complément autant qu’une explicitation de mon précédent billet : « Monsieur le Député : Non ! L’enseignement privé ce n’e...