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samedi 23 mai 2020

Regard sur la querelle des méthodes d’apprentissage de la lecture





Regrettons l’impossibilité de discuter du fond du problème, argumente de telle façon qu’il ne peut que générer des crispations chez les principaux acteurs de l’apprentissage de la lecture que sont, après les enfants, les enseignants. Nous pourrions penser que le choix d’une méthode de lecture pourrait être soutenu par une orientation politique quand on voit qu’un ministre de l’éducation nationale de droite fait interdire l’accès de l’école de formation des cadres de l’éducation nationale à un chercheur, en l’occurrence Roland Goigoux et réprimander un inspecteur, moi, parce qu’il avait signé une pétition de soutien à ce chercheur.
Laisser croire, comme certains l’ont fait, que la méthode globale ne serait le fait que des « forces de gauches » est une sottise car le tournant a été pris dans les années 1970, dans le cadre d’un vaste mouvement qui interrogeait à la fois les systèmes et les méthodes d’éducation, en France mais aussi dans de très nombreux pays. En outre, il ne me semble pas que le ministre qui signa les programmes de 1972 fut de gauche. Au-delà des interrogations sur les méthodes d’éducation et conséquemment sur celles d’apprentissage, à cette époque les pays occidentaux étaient confrontés à « l’échec scolaire » qui de problématiques scolaires se transforma en problème de politique publique. Si avant cette époque la société pouvait se satisfaire d’un nombre important d’enfants qui ne réussissaient pas bien à l’école, avec l’accès de tous au collège et l’augmentation du chômage conséquence entre autres du choc pétrolier la société n’était plus autorisée à envoyer dans la vie active des enfants peu lettrés. Ce qu’on oublie souvent d’écrire c’est que ce changement de méthode, mais ce fut bien plus que la seule méthode de lecture, voulait d’abord répondre au défi de la réduction de l’échec scolaire qui, de surcroît, touchait très majoritairement les enfants des classes sociales les moins favorisées, celles dont les enfants devenaient garçons de fermes, cantonniers, autant de métiers qui se raréfiaient. Du coup il n’est pas surprenant que ceux qui avaient inventé l’éducation populaire, rencontré ou mis au point d’autres approches éducatives aient voulu promouvoir des approches différentes d’organisation et de conduite de la classe et qu’ils se soient orientés vers les idées leaders à cette époque promues, entre autres, par Henri Wallon, Françoise Dolto, Jean Piaget et Ovide Decroly qui mettaient en avant l’enfant, son développement (physiologique et psychique) et sa capacité à s’émerveiller.
Ainsi, ils promurent une approche différente de la lecture et de son apprentissage, la méthode globale mais bien d’autres aussi qui s’adressaient à l’enfant dans sa globalité, dans son intelligence, dans sa créativité, dans sa curiosité. Sans doute ont-ils parfois trop stupidement dénoncé la méthode syllabique comme étant une méthode bêtifiante, qui en appelle plus aux ânonnements qu’à la compréhension ; mais en même temps ils n’ont jamais renoncé au déchiffrage et à une approche syllabique dans l’apprentissage de la lecture. La méthode globale voulait répondre à l’échec de certains élèves, bien plus nombreux que les 150 000 d’aujourd’hui cités par l’auteur (un chiffre dont il ne nous dit pas la provenance). Car certains élèves, de tout temps, ne réussissent pas à apprendre avec la méthode syllabique ; ainsi Nicolas Adam pensa en 1 787 que d’unifier l’apprentissage de la lecture et de l’écriture pouvait être une solution. Je n’irai pas jusqu’à écrire que l’inventeur de la méthode globale d’apprentissage de la lecture s’inspira des théories d’Adam, mais le fondement était semblable : apporter une aide aux enfants en difficulté, déficients intellectuels (pour reprendre une terminologie de l’époux) dont certains pouvaient être porteurs de pathologies qui entravaient les apprentissages ; tous ces enfants n’arrivaient pas à lire en utilisant les méthodes habituelles. Ainsi, Ovide Decroly, médecin, pédagogue et psychologue, a mis au point et expérimenté au début du 20° siècle un processus global d’apprentissage de la lecture et de l’écriture qu’il expérimenta avec des élèves en difficulté mais aussi avec des élèves « normaux ». La promotion de cette méthode fut le fruit d’au moins trois causes : la recherche en linguistique, l’évolution des connaissances en psychologie de l’enfant mais aussi l’émergence des sciences cognitives, et les démarches des mouvements de l’Éducation nouvelle en opposition à la tradition qui notons-le ne datent pas des années post 1 968 mais qui dès la fin du 19° siècle s’opposaient à la tradition et souhaitaient actualiser de méthodes pédagogiques d’un point de vue individualiste. Ils étaient en cela les héritiers de la Renaissance et des humanistes (Érasme, Cornélius, Montaigne, Rabelais) en voulant organiser la classe et les apprentissages en les recentrant sur les centres d’intérêt proche de l’enfant pour, disaient-ils, s’adresser à l’esprit d’exploration et de coopération qui existe chez l’enfant, c’est la période où l’école invente les activités d’éveil. Ils prônaient une éducation globale, accordant une importance égale aux différents domaines éducatifs : intellectuels, artistiques, physiques, manuels et sociaux.

C’est aussi cette histoire qu’il faut raconter si on veut qu’un débat serein puisse s’établir. Il faut aussi dire que si ceux-là se sont trompés, ont fait fausse route ce n’est ni à cause d’un militantisme borné ni en raison de je ne sais quel crétinisme mais peut-être simplement parce que la science de l’époque ne permettait pas de les détromper. Il n’empêche que si aujourd’hui la science, qu’elle soit « sociale », « humaine » ou « neuro », nous dit que la méthode syllabique serait meilleure que tout autre, elle ne nous dit toujours pas pourquoi elle ne fonctionnait pas jadis pour tellement d’enfants et pourquoi tellement d’enfants ont appris (dont sans doute l’auteur de l’article) avec d’autres méthodes que « la syllabique ». On ne peut pas dire que les autres méthodes sont nulles alors que la très grande majorité des élèves depuis 1970 ont appris avec elles et qu’aujourd’hui certains sont ingénieurs, polies, chercheurs… et même sociologues. Cela n’enlève rien à la valeur des découvertes des neurosciences sur l’importance de la découverte et de la construction de la liaison graphème-phonème, et donc du décryptage syllabique.

Mais surtout, opposer sans précautions oratoires, sans expliquer les fondements historiques des évolutions et des choix, c’est ne pas vouloir reconnaître une réalité bien connue de tous ceux qui ont enseigné : l’apprentissage c’est complexe et ça ne se limite pas à la physiologie, enseigner c’est tout aussi complexe. Ne pas reconnaître et surtout ne pas écrire cela, c’est d’une part méprisant et insultant pour les enseignants qui mettent tout leur cœur, toute leur énergie pour faire en sorte que les enfants, devenus élèves, aient accès aux apprentissages, et c’est scientifiquement faire une erreur qui consiste à ne fonder ses analyses, ses hypothèses et donc ses résultats que sur une variable là où elles sont multiples. Déjà à la fin des années 1990 deux chercheurs mandatés pour réfléchir à la réforme du système scolaire irlandais écrivaient dans leur rapport que les méthodologies des sciences sociales utilisées pour collecter les données sur les écoles ne peuvent jamais donner lieu à des résultats clairs et sans ambiguïté, tant les questions éducatives sont complexes.

Il n’y a pas de débat à avoir à propos des méthodes de lectures, il n’y a que des faits scientifiques à poser. Si effectivement le déchiffrage syllabique est fondamental il faut le dire simplement, plus modestement et plus humblement que ne le font certains neuroscientifiques à la mode, et il faut former les enseignants en conséquence. Mais cela ne suffit pas car savoir lire ne se limite pas à savoir décoder et bon nombre des élèves en difficulté de lecture à l’entrée au collège savent décoder mais ne savent pas lire par méconnaissance du sens des mots qu’ils lisent : alors ils hésitent, ont une lecture hachée… et si l’individu n’entretient pas sa compétence en lecture il la perd et devient un illettré.

Sur cette question des apprentissages, en lecture et pour d’autres choses, chacun gagnerait à se couvrir d’un manteau d’humilité et en cessant, comme c’est trop régulièrement le cas, de parler des choses sans les décontextualiser. Apprendre à lire ça ne se limite pas à un tunnel d’IRM ni même à une expérimentation sous la tutelle d’un chercheur. Apprendre à lire ou à compter c’est un face-à-face quotidien entre un enseignant et des élèves (le plus souvent entre 25 et 30) dans un contexte social et matériel particulier. Les enseignants, depuis des siècles, sont fatigués d’entendre ces « beaux messieurs » avec chapeau haut de forme et redingote leur donner des leçons avec arrogance, déjà aux 19° siècle on leur reprochait de ne pas utiliser les avancées de la science, mais que ces messieurs descendent de leur chaire et qu’ils viennent tous les jours seuls face aux élèves. Que les scientifiques expliquent et que, guidés par eux plus que sermonnés, les enseignants en déduisent leur pratique, il y a des instances pour les aider à transformer la science en pratique pélagique (le CETRQ au Québec, l’IFE anciennement INRP en France qui portait bien son nom : institut national de recherche pédagogique).



Avant Jules Ferry il y avait des écoles

  Ce billet est un complément autant qu’une explicitation de mon précédent billet : « Monsieur le Député : Non ! L’enseignement privé ce n’e...