Texte d'une conférence que j'ai donnée à Caen le 2 octobre 2006 à propos de L'Évolution des concepts et des politiques de l’adaptation et de l’intégration scolaires .
A) un
peu d’histoire pour comprendre l’évolution
En
1975 Philip WOOD, médecin rhumatologue et épidémiologiste, tente d’élever le
concept de handicap pour l’émanciper des définitions courantes de l’époque.
Plus exactement il voulait que « handicap » passe du statut de notion
à celui de concept, ce faisant il espérait que le handicap se détache de l’idée
du désespoir lié aux troubles engendrés par une santé défaillante. Sans doute,
dit l’histoire, était-il marqué par cette phrase de William Shakespeare dans
Hamlet : « l’homme que le hasard ou la nature a marqué, pourquoi
faut-il que toutes nos autres vertus en soient obscurcies dans le regard de
l’autre ? ». Dès lors, la personne handicapée est-elle égale à
moi ? Puis-je réparer ou compenser ses défaillances ? Mais, comme
l’indique Elisabeth Zucman[1], la
saisie du handicap, notamment à travers un concept scientifique, s’accompagne
d’une « simplification réductrice de la personne ». C’est dans ce
champ réflexif que s’opposent les dénominations « personne
handicapée » et « personne en situation de handicap ». Cela est
bien marqué dans la classification internationale du handicap de l’Organisation
Internationale de la Santé où, finalement, les conséquences des maladies et des
accidents sont mises en forme pour constituer des catégories de handicaps. La
France a repris à son compte cette démarche avec l’arrêté du 4 mai 1988
(ministère de la santé) créant « une nomenclature des handicaps » et
pour l’éducation nationale l’arrêté du 9 janvier 1989 instituant « une
nomenclature des déficiences, incapacités et désavantages ».
Le
concept de handicap naît donc de la proximité, ou comme dirait Husserl, de la
conscience qu’on a de l’autre à la fois comme autre et comme « un soi »
identique sinon égal. Il faut alors briser l’appartenance à des catégories
différentes d’humains ; mais ce qui est différent de nous est-il
nous ? Nous devons passer de la perception que nous avons de l’autre à la
conscience que nous pouvons en avoir ; faire de l’alter un alter ego. Cet
être qui est face à moi est autre et « même », où j’entends
« même » comme plus unificateur que « semblable ». C’est
donc le statut de l’altérité qui est mis en jeu dans la situation de handicap.
Dans les temps les plus anciens, disons jusqu’au 16e siècle, les
échanges étaient rompus : les disgraciés étaient rejetés hors de l’humain.
Pour autant ils appartenaient à l’humanité et la société les tolérait parce
qu’une distance de droit s’instaurait naturellement. Il était admis que par
nature tous les hommes n’étaient pas égaux, ce qui n’empêchait pas le vivre
ensemble voire avec une proximité difficilement admissible de nos jours. C’est
l’exemple de la marquise qui pouvait se baigner nue devant son valet ;
l’écart naturel de droits faisait que l’une et l’autre n’étaient que des alter
et ne pouvaient pas être des alter ego. Pour appartenir à la même humanité,
encore qu’il faudrait discuter la proposition plus en profondeur, ils étaient
membres de catégories remarquablement étrangères, tellement étrangères qu’elles
ne pouvaient même pas se voir, moins encore se rencontrer. Ainsi, l’infirme n’était-il
qu’infirme et donc réputé « irrécupérable ».
Le
18e siècle voit naître un nouveau paradigme, celui de l’égalité entre
les hommes, entre tous les hommes, face au droit. C’est la période de
l’individualisme démocratique de Jean-Jacques Rousseau : le contrat social
fait de la loi l’expression de la volonté générale, donc la ruine de la
transcendance. La notion de différence par nature disparaît. Là n’est pas une
moindre chose pour les infirmes : eux chez qui l’essentiel de ce qui fonde
l’humain, la capacité de relation avec autrui apparaît comme absente ou
affectée. Désormais cette capacité est considérée comme virtuellement conservée
au seul fait qu’ils sont envisagés comme « humains » à part entière.
Dès lors, s’ils sont humains et qu’il existe une possibilité de relation,
l’inclusion dans la société des hommes devient possible. En même temps les
pédagogues appellent à prendre en compte la spécificité de l’enfance et à voir
dans l’activité des sujets le moteur de toute éducation. Les individus sont
donc autonomes et capables d’initiative. De là naîtra le principe d’éducabilité
mis en évidence par Victor Voisin en 1835 dans son projet d’établissement
orthophrénique. Pour autant, si les infirmes, disgraciés, autres débiles et
fous rejoignaient l’humanité et qu’on leur reconnaissait à la fois le droit et
la capacité à apprendre, ils n’en étaient pas moins marginalisés dans des
institutions spécifiques. Par exemple et en raccourci, Alfred Binet pouvait à
la fois dire : « le développement optimal des aptitudes est d’abord
l’aptitude à apprendre » et proposer la création des classes de
perfectionnement. Mais était-ce si antagonique qu’il y paraît ?
Désormais,
l’altérité ne peut plus se comprendre ailleurs qu’à l’intérieur de l’ordre
humain. L’hétérogénéité de la société qui en découle doit pouvoir être
réductible en droit, ce qui oblige à des définitions pour mobiliser les types
d’aides adaptées. Il faut donc définir le handicap, mais définir le handicap
oblige à des ruptures et à des réductions. Jadis, il y avait une confusion de
la maladie et de la déficience prise dans une acception très large. Au début du
19e siècle, avec la naissance de la psychiatrie et l’abandon de
« l’aliénisme », le dément devient curable. Il n’est plus un aliéné,
c’est-à-dire celui qui a perdu son humanité, mais il devient un malade mental.
Il va alors se produire une désarticulation entre maladie et handicap qui sont
considérés comme étant de natures différentes et hiérarchisables. Gladys Swain
rappelle dans un article paru en 1982 qu’on considérait que la folie est un
trouble acquis donc réversible, mais que l’idiotie n’est pas une maladie mais
un état. On devient malade[2], on naît
idiot. En ça elle reprend des définitions comme celle du psychiatre Esquirol
qui déclarait que « l’idiotie n’est pas une maladie, c’est un état, on ne
conçoit pas la possibilité de changer cet état », ou celle du célébrissime
dictionnaire de Monsieur Émile Littré dans lequel on peut lire que la maladie
est un fait qui s’opère alors que l’infirmité est un fait accompli.
Avant
d’aller plus loin, rappelons-nous que le mot handicap est apparu vers 1927 pour
désigner la charge qu’on ajoutait au meilleur cheval afin de le mettre à
égalité de ses congénères en course. Pour reprendre l’expression de Bernard
Charlot, on désavantageait le cheval avantagé. Au-delà de la boutade, B.
Charlot marque, concernant les hommes, qu’il s’agit avant tout de reconnaître
le désavantage d’une personne en position de faiblesse. Comme pour le cheval il
faudra compenser le désavantage mais pas en pénalisant le plus avantagé. Hors
de question de pénaliser les « bien portant », donc il faut compenser
le désavantage. Le risque est alors de se fixer plus sur la chose compensatoire
que sur l’individu, car c’est bien, dans l’exemple des courses de chevaux, le poids
supplémentaire imposé qui est le handicap. Il y a donc un travail à faire pour
passer de la chose compensatoire à ce qui doit être compensé et au-delà prendre
en compte la personne. C’est-à-dire qu’on va regarder la personne en difficulté
et on va s’intéresser à ce qui lui fait défaut. C’est ce manque qui va
constituer le handicap. Henri Jacques Sticker professe que cette évolution,
ayant entraîné une ouverture des opinions, a permis d’envisager le passage du
manque à la personne elle-même et devrait conduire à ce qu’on ne parle plus que
« de personne en situation de handicap ».
Cette
évolution sémantique se voit dans celle de la législation où, pour la première
fois en 1957, apparaît le mot handicap dans la loi du 23 novembre 1957 organisant
le reclassement des travailleurs handicapés. Le mot se substitue à mutilé et à
invalide. En 1967 le rapport Bloch-Lainé étudie le problème général de
l’inadaptation des personnes handicapées. La notion d’inadaptation apparaît et
en même temps elle semble recouvrir celle de handicap. En 1969, René Lenoir
publie son livre « les exclus[3] »
dont la quatrième de couverture est ainsi libellée : « deux
millions de handicapés physiques et mentaux, plusieurs millions de personnes
âgées invalides, trois à quatre millions d’inadaptés sociaux. Soigner, guérir
mais surtout prévenir. » Évolution des regards, évolution des mots,
évolution des façons d’être… un long cheminement qui conduira à la loi de juin
1975 dite loi d’orientation en faveur des personnes handicapées, suivie de celle
de juillet 1975 relative aux institutions sanitaires et sociales. Mais là,
alors qu’on s’attendait à ce qu’il le fût, le handicap n’est pas défini. On
considère que handicap s’applique aux personnes porteuses de déficience et
c’est aux commissions[4] d’identifier
et de « reconnaître » les personnes handicapées comme si elles
décernaient un label. Simone Veil, ministre de la santé, expliqua au Sénat les
raisons du refus de définir par la loi le handicap : « la raison
fondamentale de cette option est que la notion de handicap doit rester, si l’on
veut précisément éviter des exclusions dans l’avenir, très évolutive, et
s’adapter aux situations qui pourraient se présenter ultérieurement. ».
Ainsi la notion de handicap, plus peut-être que le concept pour les scientifiques,
demeure assez floue et la personne handicapée demeure l’objet de
représentations disparates. En définitive, sans doute en raison de la clarté du
concept, c’est le modèle biomédical qui l’emporte où le handicap est conféré à
invalidité et infirmité. C’est ce que Wood rapporte, à la même époque, à
déficience et incapacité. Toutefois, parce que la loi impose une révision
périodique des dossiers des personnes handicapées, le handicap est considéré
ipso facto comme évolutif. Les aides apportées favoriseront l’évolutivité dans
le sens d’une amélioration des conditions de vie. En conséquence le handicap
apparaît comme indépendant de l’être tout en appartenant à la personne. Le
sujet reconquiert son autonomie ce qui permettra son intégration pleine et entière
à la société.
B) un
regard sur « l’international »
Ce
regard sur l’international n’est pas une étude de systèmes comparés. Il veut
plus simplement apporter quelques points de repère pour tenter de comprendre
l’évolution des mentalités. Ainsi nous parcourons quelques textes français qui
ont eu une portée internationale et quelques textes d’instances internationales
(ONU et « Europe »).
Tout
d’abord il faut se souvenir de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen du 26 août 1789 dans la mesure où elle porte en germe l’idée d’un droit
international puisqu’elle s’est vue conférer une portée universelle. En
France c’est un texte à validité juridique supérieure, de niveau
constitutionnel. Il faut en retenir essentiellement deux articles :
- art 1er :
les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit.
- art 4 : la liberté
consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui.
La Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen du 24 juin 1793 qui n’a pas de validité
juridique, était plus radicale que la précédente dans la mesure où pour ses
auteurs l’égalité et la liberté qui ne seraient rien sans la solidarité. C’est
ce qu’expriment les articles suivant :
- art 21 - droit à
l’assistance :
- les secours publics sont
une dette sacrée,
- le droit au travail :
la société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur
procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui
sont hors d’état de travailler.
- art 22 - le droit à
l’enseignement :
- l’instruction est un
besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les
progrès de la raison publique et mettre l’instruction à la portée de
tous les citoyens.
Parmi
la multitude des textes je retiens la Déclaration de la Société Des Nation
faite à Genève le 26 septembre 1926, parce qu’elle est la première déclaration
des droits de l’enfant. Cependant elle est très minimaliste puisque le droit à
l’éducation n’y est pas évoqué. Mais c’est l’acte fondateur d’un droit
international spécifique à l’enfant.
La Déclaration
universelle des droits de l’homme de l’ONU du 10 décembre 1948 pose les
principes d’un droit international et elle fait force de loi en France.
Pour
mémoire il faut citer la Déclaration des droits de l’enfant du 20 novembre 1956
mais elle n’a pas été ratifiée par tous les pays et elle ne fait pas force de
loi en France. En outre elle est dépassée par la convention sur les droits de
l’enfant de 1989 qui, elle, a force de loi en France à l’exception des
remarques faites par ce pays.
Plus
marquante pour notre sujet, il faut citer la Déclaration des droits du
déficient mental de l’ONU du 20 décembre 1971 ; mais ce n’est qu’une
déclaration et pas une convention donc elle ne s’impose pas. Quatre ans plus
tard, 9 décembre 1975 l’ONU posa dans une déclaration le principe de la
reconnaissance des droits des personnes handicapées. C’est une déclaration donc
elle ne s’impose pas. Toutefois il faut retenir qu’elle se substitue à celle de
1971 en l’élargissant au-delà du handicap mental. Ces deux déclarations sont
les prémisses du Programme mondial d’action concernant les personnes
handicapées de 1982. Il s’agit cependant plus d’une déclaration forte que d’un
véritable programme. Toutefois retenons qu’il y est écrit que « le
handicap est donc fonction des rapports des personnes handicapées avec leur
environnement. Il surgit lorsque ces personnes rencontrent des obstacles
culturels, matériels ou sociaux qui les empêchent d’accéder aux divers systèmes
de la société qui sont à la portée de leurs concitoyens. Le handicap réside
donc dans la perte ou la limitation des possibilités de participer sur un
pied d’égalité avec les autres individus à la vie de la communauté. »,
et que « Pour que soit atteint l’objectif « pleine participation et
égalité », il ne suffit pas de prendre des mesures de réadaptation en
faveur des personnes handicapées. […]
Les services supplémentaires éventuellement nécessaires aux personnes
handicapées devraient, dans toute la mesure du possible, être intégrés à
l’ensemble des services assurés au plan national. […] Le principe de l’égalité des droits des
personnes handicapées et des personnes non-handicapées implique que les besoins
de chaque individu sont d’égale importance, que ces besoins doivent être pris
en considération dans la planification de nos sociétés et que toutes les
ressources doivent être mises en œuvre pour assurer à tous les individus une
participation égale. ». Ainsi, le texte introduisit la notion « d’égalisation
des chances dans l’enseignement en remarquant que dans l’ensemble les
enfants handicapés avaient peu d’accès à l’enseignement notamment parce que le
personnel d’éducation se rend mal compte des possibilités des personnes
handicapées et que ce processus est augmenté du fait d’un manque de lois spécifiques
qui traiteraient des besoins particuliers des personnes handicapées.
La Déclaration
de Jomtien sur l’éducation pour tous en 1990 (UNESCO) prend en compte le cas
des élèves handicapés. Elle précède la création des RUEC : règles
universelles pour l’égalisation des chances des personnes handicapées de la Déclaration
de 1993 que l’Italie et la Suède souhaitaient qu’elle fût une convention
internationale fondant ainsi du droit.
La Déclaration
de Salamanque en 1994 sur les principes, les politiques et les
pratiques en matière d’éducation et de besoins éducatifs spéciaux possède
un chapitre relatif aux « cadres d’action pour l’éducation et les besoins
éducatifs spéciaux ». Les RUEC qui en même temps que leur naissance dans
la déclaration de 1993, étaient accompagnés par une résolution pour la mise en
œuvre d’un programme, sont ainsi réactivés.
Enfin,
2006 voit l’adoption, à l’ONU, d’un traité international relatif à la
protection des droits des personnes handicapées dont le secrétaire général, Kofi
Annan, dit : « ce texte, premier instrument juridiquement
contraignant du 21e siècle ayant trait aux droits de l’homme, marque
un tournant important dans la façon dont sera appréhendé le handicap dans tous
les aspects de la vie quotidienne et dans la manière de subvenir aux besoins
particuliers de quelque 650 millions de personnes handicapées vivant dans le
monde. »
En Europe,
nous pourrions écrire une histoire qui suivra à peu près la même chronologie,
depuis la convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950. Puis
ce fut la charte de Luxembourg de 1996, puis la Résolution du conseil et des
représentants des gouvernements des États membres du 20 décembre 1996
concernant l’égalité des chances pour les personnes handicapées. Ces textes
possèdent peu ou prou les mêmes contenus et intentions que ceux de l’ONU. La
déclaration de Madrid en mars 2002 pour préparer l’année européenne des
personnes handicapées de 2003 va peut-être plus loin et serait plus proche du
trait onusien de 2006. Elle est une déclaration de consensus du forum
européen des personnes handicapées, du conseil de l’Europe, de la présidence
espagnole de l’union européenne qui a été signée par 600 participants de 34
pays réunis à l’occasion du congrès européen des personnes handicapées. Il faut
y relever deux points principaux :
- Non-discrimination plus
action positive font l’inclusion sociale
- Abandon de la lecture par
« les inaptitudes » au profit d’une lecture par « les
aptitudes »
Cette
même année, pour la première fois en France un président de la République fait
« du handicap » un des trois chantiers prioritaires pour la nation.
Après
la déclaration de Madrid une résolution du conseil de l’Europe du 5 mai 2003 pose
le principe de l’égalité des chances pour les élèves et étudiants handicapés
dans le domaine de l’enseignement et de la formation ; mais ce n’est
qu’une déclaration de principe non contraignante. Cependant un courant est en
marche comme en témoigne la résolution du parlement européen sur le handicap et
le développement (19 janvier 2006).
En
guise de conclusion je vous propose la déclaration de Mohammed El Khadiri
président de l’amicale marocaine des handicapés et 1er président du
comité national pour la promotion et la protection des droits des personnes en
situation de handicap parue dans le journal marocain Al Bayane le 8/9/2006 :
« la convention sous l’impulsion d’ailleurs de plusieurs pays en
développement a adopté l’approche de développement inclusif basé sur les
droits.
Le
développement inclusif se base en principe sur l’action prônée par l’approche
des chemins jumeaux qui comprend des initiatives spécifiques pour les personnes
handicapées et en même temps considère le handicap comme une question
transversale dans tout secteur et action de développement. En, effet,
l’approche de développement inclusif permet aux personnes handicapées non
seulement de bénéficier, au même titre que tous, des programmes de
développement à mettre en place, mais aussi de participer à tout le processus,
de la conception à l’évaluation en passant par la mise en œuvre et le suivi. […]
Le
développement inclusif, basé sur les droits, affirme désormais que le support
dans toutes les actions n’est pas une question d’humanité ou de charité, mais
un droit humain fondamental que n’importe quelle personne peut revendiquer. Le
cœur de cette approche est la pleine jouissance des droits de l’homme, le droit
à une égalité des chances et à la participation dans la société. »
La
France, bien qu’on l’ait peu vu, s’est complètement inscrite dans cette
histoire avec plus ou moins d’ardeur, plus ou moins de retard ou
d’anticipation. Pour comprendre l’évolution sociétale et appréhender un
changement de paradigme il faut que nous nous essayions à un aperçu de
l’évolution récente des concepts et des mots.
C) évolution
des concepts et des mots :
a.
handicapé ou en situation de handicap
On
peut remarquer une certaine confusion sur un mot qui se banalise. Par exemple,
dans le journal Libération en 1989 on lit « la France rame toujours pour
remonter son handicap chômage ». Mais cette banalisation contribue à
diminuer la connotation stigmatisante. Dans les pays anglo-saxon le mot
handicap est considéré comme dévalorisant et socialement
« incorrect » mais on l’a remplacé par disability ; disability
avec préfixe « dis » contrairement à « in » montre qu’il
s’agit d’un état de déséquilibre qui peut être corrigé. La notion de
« situation de handicap » rejoint disability. Peut-être, comme le
souhaitais la déclaration de Madrid, vaudrait-il mieux faire progresser la
notion d’aptitudes, avec ou sans compensation, que celle d’inaptitude et de
désavantage ; à l’image du vocabulaire polonais o* niepe/nosprawny
désigne ceux qui ne sont pas totalement aptes, ou encore comme le souhaitent
certains milieux italiens qui voudraient changer le mot « disabile »
par celui de « altrabile ».
b.
de l’intégration
à l’inclusion
L’intégration d’une
personne, notamment d’un élève, handicapée relève de l’espace charitable parce
que dans ce cas rien n’oblige à reconnaître la similitude. C’est sur ce
principe que ce fonde la notion d’inadaptation apparue au début du 20ème
siècle, notamment pour l’école avec l’émergence de la notion d’anormaux
d’école. D’évidence on voit alors poindre des effets de stigmatisation et de
discrimination dans la stratégie d’identification de la personne handicapée par
le pouvoir administratif et ses représentants. Il apparaît clairement,
notamment pour des auteurs québécois, que la définition du handicap et la
désignation de la personne handicapée répondaient surtout et avant tout au
besoin de différencier des autres citoyens « les ayants droit ou
bénéficiaires » des dispositions d’aides sociales. L’intégration décrit
donc des processus permettant à un individu d’accéder à une action sociale (l’école
par exemple). Mais qu’en est-il de l’appartenance de l’individu au groupe ?
La
notion d’inclusion dans son opposition à l’exclusion apporte une réponse qui
est bien relevée dans la déclaration de Madrid. C’est une notion plus précise
et circonstancielle qui met en avant la volonté de tenir compte des différents
facteurs qui interviennent à la fois dans ce qui peut exclure mais aussi dans
ce qui peut rapprocher. Du coup il y a une mise à l’écart de la notion de
normalité et donc, pour ce qui concerne l’école, un refus qu’existent des voies
parallèles pour éduquer. On doit donc proposer dans l’école de tous des
réponses aux besoins particuliers. La notion d’éducabilité prend ici, dans
cette démarche, toute son importance.
c. la
notion de besoins particuliers
S’il
y a des manques, ce qui est constitutif de la situation de handicap, il y a donc
des besoins particuliers pour accéder à l’égalité de droit. Cette notion de
besoin particulier tend à adoucir la stigmatisation des individus, mais elle
est trop générale car qui n’a pas de besoin y compris particuliers face à telle
ou telle situation ?
La
notion de besoins éducatifs particuliers est apparue dans les pays anglo-saxon
dans les années 1970 est s’inscrivait dans le débat autour du concept suédois
de normalisation. On la trouve clairement définie dans le rapport Warnock (Angleterre,
1978) qui dénonçait les conséquences négatives d’un étiquetage et exprimait la
nécessité d’une démédicalisation du handicap. Il indiquait qu’une définition
très situationnelle présente l’avantage d’ouvrir la voie à une stratégie d’action
en répondant aux besoins particuliers de la personne en situation de handicap.
L’adoption
de cette terminologie n’est pas un simple changement de terminologie car le
concept s’ancre dans un véritable projet de société dans la mesure où le
prendre en compte dans toute sa dimension suppose de faire partager par
l’ensemble des acteurs, non seulement de l’institution scolaire mais aussi par
ses différents partenaires, une nouvelle compréhension de la mission
démocratique de l’école. Une école qui doit être pour tous, qui doit d’abord
accueillir chercher à comprendre. . Ensuite elle doit évaluer pour connaître et
comprendre l’enfant avec ses acquis et ses besoins pour construire un projet
individualisé ce qui permet de créer une dynamique de progrès. Alors il devient
indispensable de travailler avec des partenaires.
d. la
place de l’usager
Depuis
les années 1970, par la reconnaissance du poids du « local » et le
« retour de l’acteur » on passe d’une administration prescriptive à
une administration de service où on constate une réévaluation de la place de
l’usager dans la mise en œuvre des politiques publiques. Plus qu’une restauration
du civisme, il faut y voir surtout un moyen pour retrouver une adéquation
entre l’action publique et la demande sociale.
Parmi
les exemples il faut citer, pèle mêle, le décret récent sur la place des
parents à l’école, la notion de co-éducation, le « grand débat sur
l’école » mais, plus important pour notre sujet, la place et le rôle des
usagers dans la MDPH : directe avec les représentants des associations de
personnes handicapées et indirecte à travers les élus locaux notamment la
présidence de droit attribuée au président du conseil général.
e. la
compensation
Elle
est le corollaire de l’inclusion marquant que c’est au collectif d’apporter ce
qui manque à l’individu pour permettre l’égalité des droits. Que faut-il que la
société dans son ensemble, à travers des actions individuelles ou collectives,
apporte pour que la personne en situation de handicap puisse être autonome, et
il ne s’agit de dire « le plus autonome possible », la loi parle bien
d’autonomie même si celle-ci peut avoir des limites.
C’est
sur le principe universel de non-discrimination que se fonde celui de
compensation. Le principe de non-discrimination oblige la collectivité à
garantir les conditions de l’égalité des droits et des chances.
L’article
11 de la loi du 11 février 1975 est claire : « la personne handicapée
a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient
l’origine de sa déficience, son âge et son mode de vie. […] Les besoins de
compensation sont inscrits dans un plan élaboré en considération des besoins et
des aspirations de la personne handicapées tels qu’ils sont exprimés dans son
projet de vie ».
[1]
Zucman E., l’évolution de la notion de handicap, Education et Pédagogie, CIEP
9, 1991
[2]
ne dit-on pas encore qu’on tombe malade. Dit-on la même chose du
handicap ?
[3]
Lenoir R., les exclus, Seuil, Paris, collection Points, 1974
[4]
CDES et COTOREP
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