jeudi 21 mai 2020

ÉCOLE : ENTRE BAVARDAGES ET ACTION.


Article extrait de "Jean‑Jacques LATOUILLE, PATCHWORK POUR L’ÉCOLE, 
ed L’Harmattan, 2017


« Trop de paroles tuent l’action »
« À trop parler on finit par se tromper »
R. Darrobers, Proverbes chinois, Seuils


Encore un ! L’École est un des sujets de société qui a le plus été mis en livres. Il est vrai que la question est d’importance. D’une part, elle a affaire avec la construction culturelle des sociétés et leur développement économique et, donc, elle interpelle le politique. D’autre part, elle appartient à l’intime de chacun : l’avenir des enfants, le projet que l’on doit avoir pour eux, le projet qu’ils ont pour eux-mêmes ; là chacun a à dire à son sujet. Ainsi, entre politique et citoyen, entre collectif et individuel, l’École attire les regards et les discours les plus divers : du café du commerce au laboratoire de recherche. Tout le monde parle de l’École, chacun croit pouvoir faire autorité à son sujet au seul fait que chacun a été élève. Mais ces « chacun » parlent-ils de la même École ?

Alors que tellement de gens, étrangers à l’École au sens où ils n’entretiennent pas de liens directs avec elle, écrivent à son sujet, pouvais-je résister à dire mon regard depuis l’intérieur, alors que j’ai parcouru, d’abord comme élève et étudiant fantasques, puis en tant qu’enseignant, inspecteur et formateur de cadres de l’éducation nationale, quasiment l’ensemble du système éducatif de l’école maternelle à l’université ?

Je l’ai détestée, jusqu’à la haïr. Puis un jour, sans qu’elle le veuille, sans que je le désire vraiment, alors que j’étais chômeur une porte s’est ouverte vers l’enseignement puis une autre me permit de rejoindre l’Éducation nationale pour que j’y parcoure le chemin d’une vie professionnelle, souvent difficile, mais tellement passionnante, jusqu’à l’exaltation. Il m’a été donné d’y rencontrer des personnes extraordinaires : professeurs, chefs d’établissement, parents et surtout élèves. Mais aussi, j’y ai vu tellement de souffrance et de douleur chez les mêmes que je viens de citer.

Comment, ce cénacle dans lequel devrait, comme la plante dans une serre, grandir le petit d’homme dans la joie et le bonheur, est-il devenu lieu de supplice et de crispation ? Cette École a-t-elle vraiment été voulue par l’homme et par la société pour que prospère la culture, terreau essentiel à l’amélioration de l’humanité ? Pourquoi est-elle devenue (si elle n’a jamais été autre) cette forge dans laquelle sont trempés tant d’outils de domination ? Pourquoi, aujourd’hui, tant de haine contre elle ?

Un livre de plus, à peine différent de bien d’autres ? Plutôt un billet d’humeur qui veut dire l’injustice faite à l’École, mais aussi, chemin faisant, montrer comment, souvent involontairement, elle peut être tellement injuste et comment elle tisse sa propre toile de malheur. Un livre pour tenter de montrer comment ceux qui déclarent lui vouloir tellement de bien qu’ils soient philosophes, écrivains, scientifiques, syndicalistes ou journalistes entraînent à ce que le public ait une si mauvaise image de l’École. L’injustice, ici, résulte de ce qu’on appuie trop souvent la réflexion sur des idées convenues, des idées fausses, des idées que l’on fait naître d’un passé qui n’a jamais été : jadis c’était mieux, ailleurs c’est merveilleux !

Un livre qui veut aussi dire combien on a mis en souffrance l’École, ses personnels et par conséquent les élèves, en « scientifisant » à l’extrême, voire idéologiquement, la pédagogie jusqu’à la déshumaniser. Au prétexte de méthodes modernes, d’explications scientifiques et de « revalorisation » du métier d’enseignant on a provoqué le divorce d’avec les élèves et leurs familles. Les professeurs, pour lesquels je n’ai pas de compassion particulière mais un vrai respect parce qu’ils font (mais comme d’autres) un métier difficile, ont été désacralisés comme dirait Paul Guth[1]. Ils l’ont été comme les militaires, les prêtres et les médecins, mais les autres ont su se construire une nouvelle image positive. Ce ne fut pas sans douleur mais l’armée a appris à communiquer et à faire dans l’humanitaire, les prêtres ont appris à faire dans le pragmatique, les médecins arrivent, même si ce n’est pas toujours très bien, à prendre en considération la part de l’humain dans le patient. Pourquoi l’École est-elle à la traîne ? Pourquoi l’École ne retrouve-t-elle pas le chemin du dialogue avec la société ?

L’École, paroxysme du paradoxe et de l’absence de bon sens, demeure dans la pensée, dans les principes théoriques, parfois frise l’inutile. Or, comme l’écrivait Kierkegaard « Les idéalistes sont généralement des professeurs qui enseignement dans un univers et touchent leur traitement dans un autre ». Là, le pragmatique semble absent. Cette institution a une culture de l’intéressant mais pas celle du pertinent ni de l’efficace. Dans l’École, depuis le plus haut de la hiérarchie jusque dans la classe, on est plus préoccupé de la matière intellectuelle que l’on amène que de savoir si cela provoquera du changement chez l’élève, un « grandissement ». On est que trop rarement soucieux de savoir si ce qui est offert à l’autre présente une utilité quelconque pour sa pratique professionnelle ou son avenir en société, ou seulement pour sa vie d’homme. Nous en reparlerons, mais posons déjà que l’École n’est peut-être plus en phase avec la société d’aujourd’hui parce qu’on y travaille et qu’on l’analyse à partir de paradigmes et de concepts dépassés et inappropriés. Peut-on espérer réparer ou simplement adapter une mécanique avec des outils inadéquats ?

Alors, réfléchir l’École ce n’est pas seulement tenir un discours sur les valeurs et la culture, non plus que penser les méthodes et les moyens. Réfléchir l’École c’est d’abord rechercher et cerner les zones d’ambiguïté et de paradoxe qui existent dans les discours portés à son propos. Il s’agit de trouver dans le discours ambiant ce qui constitue une opinion qui n’est pas la réalité et qui la cache aux yeux des usagers et des acteurs, empêchant ainsi le rapprochement entre l’institution et la société. Par exemple, il est communément avancé que les enseignants ne travailleraient pas ou trop peu. Une telle assertion ne peut que flirter avec l’erreur, ne serait-ce que parce qu’il est toujours incorrect de porter un tel jugement sur un ensemble de personnes, notamment quand celui-ci atteint le chiffre colossal de près d’un million d’individus. Pour autant travaillent-ils bien ?

C’est entre ambiguïté et bon sens, noyée sous les paradoxes et les bavardages, que, aujourd’hui et depuis les années 1970, l’École, ses acteurs et ses usagers, vivent et cohabitent mal. Cette institution semble désormais dépourvue de capacité à se mettre en action pour créer des lieux de transactions possibles entre les acteurs et leurs enjeux. A-t-elle un projet ?

L’École vit désormais dans un univers de contradictions et semble avoir perdu tout bon sens. Toutefois, ces quelques pages d’analyse critique ne proposent pas de tordre le cou aux paradoxes ni de rétablir le bon sens. Cela est affaire du lecteur et du gouvernant. D’ailleurs, sans doute est-ce là, dans une absence de gouvernance, que se situe l’origine du mal-être d’une École dont on parle beaucoup mais que l’on a, semble-t-il, de plus en plus de mal à décrire. À défaut de pouvoir dire ce qu’elle est, comment envisager de construire un projet et de la gouverner ? L’École, de nos jours, est-elle gouvernée ? La passion, dans toutes les acceptions du mot, l’emporte sur la raison. Lorsqu’on parle d’École il y a de l’aveuglement, de l’exaltation, de l’adoration, de la démagogie, de la partialité, parfois du fanatisme. Là, la raison par laquelle l’homme est capable d’organiser sa connaissance puis sa conduite semble ne pas pouvoir se constituer tant l’École est devenue un espace où l’individuel l’emporte sur le collectif, et le corporatisme supplante très largement le social. Mais il est vrai aussi, pour citer Max Weber, que plus l’explication devient profonde, plus elle devient complexe, et que par conséquent le non spécialiste a des difficultés à se forger une opinion solide.

Ce livre ne veut être qu’une pâle lueur qui éclairerait un horizon où serait sinon le bon sens (d’ailleurs sait-on ce qu’il est) mais au moins un espace d’accalmie, loin des dogmatismes qu’ils fussent pédagogisants ou anti pédagogisants, modernistes ou passéistes, gestionnaires ou cultureux, pragmatiques ou intellectuels. Sa seule ambition est d’amener un regard, fondé entre l’expérience de professionnel et la fréquentation des recherches scientifiques, un point de vue qui puisse permettre à chacun de savoir où chercher les matériaux nécessaires pour construire et étayer son propre discours sur l’école et offrir au citoyen et à l’usager la possibilité de faire valoir sa position et ses intérêts.



[1] Guth P., Lettre ouverte aux futurs illettrés, Albin Michel, 1980.


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