L’inclusion scolaire des enfants
handicapés ne fait plus débat depuis la loi du 8 juillet 2013 dite loi d'orientation
et de programmation pour la refondation de l'école de la République qui
grave dans le marbre républicain l’inclusion scolaire. L’annexe au texte de loi
qui détaille la programmation des moyens et les orientations de la
refondation de l’école de la République indique : « Il convient
aussi de promouvoir une école inclusive pour scolariser les enfants en
situation de handicap et à besoins éducatifs particuliers en milieu ordinaire. »
Yves Mény et
Jean-Claude Thoenig écrivent qu’« une
politique publique se présente sous la forme d’un programme d’action
gouvernementale dans un secteur de la société ou un espace géographique ».
Donc il y a bien une politique publique d’accueil et d’inclusion des enfants
handicapés à l’école. Je pourrais dire : mon exposé s’arrête là ; je
vous remercie.
Mais dans la mesure où cette politique
publique semble ne pas donner satisfaction aux différents acteurs il faut
s’interroger sur la question de savoir d’où vient et comment s’est constitué l’objet
de cette politique.
Pierre Muller écrit « qu’il y a
une politique publique parce qu’il y a un problème à résoudre ». Donc comment,
en quoi et pourquoi la question de la scolarisation des enfants handicapés se
présente depuis 40 ans sous la forme d’un problème qui doit être résolu par une
(ou des) politique(s) publique(s) alors qu’auparavant la question semblait ne
pas se poser. Muller précise que « la mise en place de ces politiques est
liée à une transformation de la perception des problèmes. »
Un regard sur l’histoire permettrait de
voir comment la perception de la scolarisation des enfants handicapés a évolué
jusqu’à devenir un problème et se constituer en objet politique pour finir par
appeler dans les années 1970 une intervention forte des autorités politiques.
Je ne retracerai pas cette histoire,
nous n’en avons pas le temps. Je m’arrêterai cependant sur le XIXe siècle
pour lequel Polyanyi a souligné les effets de « dislocation » que
l’industrialisation entraîne sur la société. Il apparaît alors une question
sociale que l’État doit prendre en charge et qui amènera l’école de Jules Ferry
à s’intéresser d’une façon particulière à ceux qui n’arrivent pas à apprendre et
à ceux totalement réfractaires aux apprentissages et aux normes imposées par
l’école. On sépara les élèves en deux catégories : ceux qui pouvaient
bénéficier des bienfaits de l’école et d’autre part les élèves considérés comme
des anormaux d’école. Parmi les anormaux d’école on repérait ceux atteints
dans leurs facultés intellectuelles (les idiots, les imbéciles, les
arriérés) dont on pensait qu’ils pouvaient tirer bénéfice d’un enseignement
spécial dans des classes de perfectionnement annexées à l’école créées en 1910.
Les autres ceux qui sont atteints dans leurs facultés morales (les
imbéciles moraux, les instables, les pervers, les indisciplinés) étaient pris
en charge dans des institutions spécialisées ou dans un asile psychiatrique.
Les politiques scolaires de cette
époque organisent les ruptures entre types d’enfants et entre types
d’institutions. Ainsi, les politiques publiques constituent le problème de la
prise en charge des enfants handicapés en termes de secteurs d’intervention
où chaque secteur érige ses propres objectifs comme à propos de qualification
des personnels en demandant la création d’un diplôme d’état d’éducateurs
spécialisé (1967). Les lois de
1975 et de 2005 ne supprimeront pas la sectorisation apparue au XIXe siècle
et cela malgré la montée en puissance du courant de pensée initié par un
psychiatre américain qui prône la désinstitutionalisation des lieux de soins. Cette sectorisation est
aussi confirmée dans la loi de refondation de l’école de 2013 où l’article
7 mentionne la possibilité de coopération entre école et établissements
spécialisés.
On observe donc que l’État a du mal à
sortir de la sectorisation créée au XIXe siècle. Pire, la loi
de 2005 amplifie la sectorisation en faisant entrer dans le dispositif les
professionnels libéraux ce qui ne facilite pas les coordinations autour d’un
projet pour l’enfant (élève), et qui a eu comme effet d’accroître le sentiment
de non-reconnaissance chez les professionnels des établissements médico-éducatifs
et médico-sociaux.
En rester sur cette observation
négative ce serait oublier que l’objet d’une
politique publique consiste à modifier l’environnement des acteurs concernés,
la perception qu’ils peuvent en avoir et donc leurs conduites sociales. Pierre
Muller ajoute que « prendre une décision, c’est déjà mettre en œuvre une
politique, dans la mesure où les différents acteurs (partenaires sociaux,
citoyens, autres ministères) vont probablement modifier leurs conduites en
fonction de cette décision. » Si nous nous référons à la grille d’analyse
des politiques publiques de Charles Jones nous interrogerons la loi sous
l’éclairage de la 1re étape qu’il décrit : « l’identification
du problème qui est la phase où le problème est intégré dans le travail
gouvernemental ».
Dans cette phase
d’identification du problème sont associés un ensemble de processus. Comment l’État
a associé les processus de perception du problème par les différents acteurs,
donc comment a-t-il défini le problème, a-t-il agrégé les différents problèmes
secondaires, comment a-t-il pris en compte les incidences sur l’organisation de
structures, a-t-il tenu compte de la représentation des intérêts des
différentes parties prenantes ?
Cette phase
d’identification du problème permet de définir l’agenda politique qui constitue
et qui regroupe l’ensemble des processus par lesquels les décideurs s’emparent
d’une question pour construire un programme d’action. Cette phase a‑t‑elle
vraiment eu lieu ?
Peut-être, comme l’écrit
Pierre Muller au lieu de concevoir cette politique publique par une série de
séquences successives, eut-il été préférable de la bâtir comme un ensemble de
séquences parallèles interagissant les unes par rapport aux autres et se
modifiant continuellement. En somme et synthétiquement au lieu d’empiler lois
et règlements peut-être eut‑il été mieux et plus efficace d’envisager une loi-cadre
dans un programme pluriannuel.
C’est ce que dit le CESE (juin 2020)
qui préconise
de renforcer le travail collaboratif et la mutualisation des missions entre les
établissements scolaires et les établissements et services médico-sociaux
(ESMS) pour faire progresser l'inclusion scolaire, la socialisation et l'autonomie
des jeunes en situation de handicap. Il s'agit notamment de décloisonner ces
deux secteurs par la création de parcours mixtes, de mobiliser davantage
l'expertise des professionnels et professionnelles des ESMS, dont la
nécessité et les moyens doivent être confortés, au sein des établissements
scolaires… » Il aurait donc fallu travailler à
une réforme, en parallèle et concomitamment, du secteur scolaire et des
secteurs de soins (psychiatrie) et des établissements médico-éducatifs et médico-sociaux.
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