1.
Survol historique de l’émergence de la
« difficulté scolaire »
a- l’école obligatoire
L’école c’est
une construction « anthropologique », elle s’est constituée au fil de
l’histoire de l’humanité… jusqu’à constituer la forme moderne que
nous connaissons. C’est le sociologue Guy VINCENT qui a forgé le concept de
« forme scolaire » ; un concept qui permet d’analyser comment se
constitue l’institution, comment s’organisent ses structures, comment se
constituent les interrelations entre les agents, les acteurs, et comment se
constituent normes et demandes. Ainsi, « Parler de forme scolaire, c’est
rechercher ce qui fait l’unité d’une configuration historique particulière,
apparue dans certaines formations sociales à une certaine époque et en même
temps que d’autres transformations, par une démarche à la fois descriptive et
compréhensive » Ce que nous cherchons dans la forme scolaire autant
d’ailleurs que dans la forme rééducative, c’est leur « principe
d’engendrement, c’est-à-dire d’intelligibilité » : qu’est-ce qui me
permet de comprendre « le phénomène » en prenant en compte la possibilité
de penser le changement malgré les nécessaires fluctuations qu’une forme subit
dans le temps et dans les lieux ; et il permet aussi de penser la
confrontation des acteurs à ce cadre qu’est l’école. Ce principe
d’intelligibilité a été défini pour la forme scolaire « comme le rapport à
des règles impersonnelles ».
L’apparition de
la forme scolaire se situe aux 16e et 17e siècles. Elle est « une forme
inédite de relation sociale entre un maître […] et un écolier […] »
qui tend à s’autonomiser par rapport aux autres relations sociales notamment à
d’autres modalités d’apprentissage : le préceptorat, les régents d’école,
les curés instructeurs… À partir de cette époque sous l’impulsion, notamment,
de la pensée de J-B. de La Salle (fondateur de la congrégation des Frères des
Écoles Chrétiennes) la relation pédagogique instaure un temps et un
lieu spécifiques dont seul le maître règle l’organisation. Tous les
écrits pédagogiques de l’époque rappellent les critères de bon fonctionnement
de ce lieu d’instruction appelé école distinct des autres lieux de
socialisation : l’école ce n’est pas la famille, ni les champs ni la
rue… : en ce lieu, l’enfant apprend à lire dans des textes profanes, il
les lit, les copie, obéit à des règles impersonnelles. Notons que
cette scolarisation massive relève d’une mesure d’ordre public dont le
fondement est davantage dans l’apprentissage de la soumission à la règle qu’à
la transmission de savoirs. L’assujettissement de l’enfant devenu élève est
celui qui est dû à des règles impersonnelles auxquelles le
maître doit se soumettre aussi en les mettant en œuvre. L’espace et le temps
social de l’école sont dédiés à l’apprentissage et l’accomplissement des règles
édictées.
Le maître n’est
que le répétiteur, c’est-à-dire que La relation pédagogique n’est pas entre le
maître et l’élève mais entre l’élève et la règle, ce n’est pas le lycée de
Socrate. Pour autant le rôle du maître, sa façon de faire, son regard sur
l’enfant ne doivent pas être négligés…
La forme
scolaire relaie donc le changement des conceptions dans le politique : on
ne se soumet plus aux princes mais à la loi qui amènera l’école de « Jules
Ferry », l’école de la République pour former des citoyens.
La forme
scolaire est devenue la référence et prend toute son ampleur dans la deuxième
moitié du 19e siècle où apparaît le LIBÉRALISME qui ne se réduit pas à son
aspect économique ; il est une philosophie globale et sociale où la
société politique est fondée sur la liberté et où l’individualisme fait passer
l’individu avant la raison d’État, les intérêts du groupe… Le libéralisme c’est
aussi une philosophie de la connaissance et de la vérité découverte par la
raison individuelle, c’est une affirmation du relativisme de la vérité.
Pour situer le
cadre d’évolution de l’école je vous propose deux citations.
·
Alexis de Tocqueville, au 18e siècle,
définissait l’individualisme comme « un sentiment réfléchi et paisible
qui dispose chaque citoyen à s’isoler de ses semblables et à se retirer avec sa
famille et ses amis ; de telle sorte que, après s’être ainsi créé une
petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à
elle-même. »
·
René Rémond « La bourgeoisie a fait la Révolution et
la Révolution lui a remis le pouvoir ; elle entend le garder contre le
retour de l’aristocratie et contre la montée des classes populaires. »
Alors comment
« faire société », comment créer du lien ou du liant, comment
gouverner et dominer ou se protéger (classes supérieures, bourgeoisie) :
il faut éduquer le « peuple ». En même temps apparaît une nouvelle
conception de l’enfant (l’enfant devient une personne).
Donc qu’est-ce
que l’enfant versus élève ? Les hygiénistes, mais aussi beaucoup de
philosophes de l’époque et quasiment tous les politiciens (représentants de la
bourgeoisie) pensent que la plupart des « prolétaires » sont
incapables d’élever correctement leurs enfants, en conséquence les éducateurs
et l’école doivent isoler l’enfant du monde comme l’exprime l’extrait du livre
« l’enfant » (1891) : « une correspondante qui estime
avec raison que les enfants seraient garantis du danger de la rue s’ils
allaient régulièrement à l’école, nous invite à publier l’extrait suivant de la
loi de 1882 : obligation… » Le projet politique est donc de
sortir le monde ouvrier du vagabondage, de l’alcoolisme, de la prostitution, de
la violence ; pour ce faire il convient d’éduquer, de socialiser, de
cultiver, de moraliser l’enfant, il faut le discipliner, l’élever, le
contraindre au nom de sa dignité. À travers ce projet d’éducation de l’enfant
il s’agit de façonner le peuple pour qu’il renonce à la révolte et accède à une
dignité nouvelle. Reste à réaliser la cohérence d’un projet pédagogique avec ce
projet social.
Ainsi, au 19e ce qui
est nouveau c’est l’apparition d’un troisième élément qui se glisse entre l’enfant
et la famille au nom de la sécurité de la ville : appelons-le l’éducateur
qui aura en charge l’enfance. Dès lors pour Michelle Perrot :
« l’enfance se médicalise, se psychologise, elle devient une spécialité,
un territoire où s’activent médecins, éducateurs, enseignants, juristes, qui se
substituent au début du 20e siècle, aux philanthropes et aux dames d’œuvres dans le cadre d’un
« complexe » de l’enfance en gestation ».
Il faut faire
société par la domination de la pauvreté, il faut contenir le peuple tout en
l’intégrant dans le cadre des principes de gouvernement, l’instruction est
alors vue comme facteur de libération (s’entend se libérer de la pauvreté)
alors que sa privation entraîne la dépendance. L’école est donc porteuse d’un
projet national légitimé par son ancrage dans des valeurs universelles :
l’idéologie libérale et laïque qui charge l’école de l’éducation de l’enfant
pour le protéger de sa famille, de son milieu, de la superstition, de
l’environnement linguistique…. Pour former avant tout un
citoyen et un « ouvrier » qui sachent lire, écrire et compter :
qui soit éclairé pour échapper à l’obscurantisme religieux et
« performant » à l’usine.
Apparaissent
donc des normes et une demande. Les normes sont la discipline, le
respect de l’autorité du maître, la soumission aux apprentissages scolaires. La
demande est d’abord sociale : forger une identité nationale par
déconstruction des identités locales (on sort de la guerre de 1870 perdue par
la France qui doit se séparer de l’Alsace et de la Lorraine). La demande est
ensuite culturelle où il s’agit d’unifier la langue (un Breton ne comprenait
pas un Auvergnat). Donc la demande doit être institutionnelle où l’instituteur
doit transmettre des valeurs : éthique du travail, sens de la mesure,
service de la République…, et enfin pédagogique : transformer l’enfant en
élève pour « l’élever » (éduquer).
On retrouve un
peu ce climat du projet politique de l’école chez le philosophe Alain (Propos
sur l’éducation) : « Élever un enfant – un élève- c’est toujours
l’élever contre le désir, l’attrait, le plaisir, l’immédiateté. C’est
discipliner le corps par l’immobilité, concentrer la pensée par des exercices
répétés, vaincre l’affectivité par la régularité, la Raison ensuite. L’école ne
peut y parvenir qu’en se fermant au monde extérieur. »
Dans ce
contexte l’instruction est vue comme un facteur de libération et d’émancipation
on assigne donc à l’école un rôle de promotion sociale ce qui donnera une
importance particulière au Certificat d’Études Primaires (CEP).
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