vendredi 2 avril 2021

la difficulté scolaire : ça n'existe pas (3)

 




b- les acteurs : Maîtres et élèves

 

Auxquels il faut joindre l’Institution c’est à dire le Ministère qui décide de l’organisation et des règles de fonctionnement de l’école comme par exemple le choix de François Guizot (1833) d’imposer l’enseignement simultané plutôt que celui mutuel. Dès lors l’école c’est un maître dans une classe : donc tous les élèves doivent avancer au même rythme vers le même objectif. Ce travail normatif peut aussi être illustré par les décisions de Jules Ferry : instruction obligatoire de 6 à 13 ans, fonctionnarisation des enseignants (1886), unité des programmes édictés par le ministère, renforcement du rôle des inspecteurs qui sont chargés de l’évaluation des maîtres, et aujourd’hui, par exemple, obligation d’instruction fixée à 3 ans.

 

Le maître doit son pouvoir à la délégation qu'il reçoit d’un État qu’il représente ce qui lui confère une position sociale particulière et de la mission qui lui est dévolue : enseigner pour faire réussir (autant les élèves que le pays). Une partie de l’évaluation des maîtres repose sur le taux de réussite au CEP, du coup ce sont les maîtres qui choisissent les élèves qui seront présentés au CEP. Le pouvoir du maître est un peu écorné lorsqu’il perd la prérogative de choisir les candidats au CEP à partir de 1930 : tous les élèves vont au CEP.

 

Dans ce contexte l'élève qui ne « rentre pas dans le moule », qui ne réussit pas entrave le bon fonctionnement de la classe et « met à mal l'ordre scolaire et l’autorité du maître » et risque de mettre en échec le maître. Apparaît la figure du « cancre » qui se caractérise par les traits suivants : élève lent, intelligence limitée, défaillances cognitives, problèmes de discipline. L’antithèse du cancre c’est l’élève modèle, celui de l’enseignement simultané.

 

La figure du cancre va fonder et justifier les critiques adressées à l’institution scolaire vue inadaptée à une partie de son public. On voit reprocher à l’institution sa rigidité en matière pédagogique ; c’est (déjà) la critique des pédagogies « traditionnelles ». Pourtant de 1882 à 1909 jamais (dans les congrès d’instituteurs) ne s’exprime un désarroi dû au fait de l’arrivée dans l’école de « types nouveaux » d’écoliers qui, désormais scolarisés, se révèleraient « anormaux », on parle là des élèves qui ne venaient pas à l’école malgré les Lois Ferry. Il n’empêche qu’on reproche aux enseignants de manquer de discernement et de regrouper dans la catégorie des « cancres » des élèves incapables de rentrer dans les apprentissages en raison d’une intelligence défaillante et d’autres qui possèdent de réelles capacités cognitives mais qui n’arrivent pas à apprendre… Ainsi peut-on lire V. Vaney, directeur d’école qui « prêtait » ses élèves à Binet : « la loi de 1882 sur l’obligation scolaire n’a fait aucune distinction entre les enfants. L’école publique […] ne peut guère se plier aux exigences individuelles. » Très vite les professionnels de la santé vont s’intéresser au cancre comme le suggère le Manuel Général de l’Enseignement Primaire en 1932 : « Cette espèce scolaire comprendrait deux variétés principales : le cancre complet et définitif, c’est-à-dire par incurable infirmité intellectuelle, et le cancre relatif, en quelque sorte provisoire, qui ne doit sa déchéance qu’à son goût pour la rêverie, à sa striction ou à une timidité naturelle. »

 

Nous sommes au le tournant du 20ème siècle et on va « médicaliser le cancre » en raison des progrès de la science : on reproche aux enseignants de ne pas s’appuyer sur une compréhension scientifique des processus physiologiques, cognitifs ou psychoaffectifs en jeu dans les apprentissages. On voit apparaître des spécialistes de l’univers médico-psychologique : Edouard Claparède, Théodore Simon et Alfred Binet, plus tard Georges Heuyer fondateur de la neuropsychiatrie infanto-juvénile qui écrit en 1930 un livre intitulé Le surmenage dans l’enseignement primaire. C’est l’émergence du concept « d’arriéré » dû à Alfred Binet et Théodore Simon (vers 1900) qui amena vers eux les directeurs d’école avec ce constat : « les maîtres s’en plaignent : ces enfants ne ressemblent pas du tout à l’immense majorité des autres élèves, la surveillance d’un seul est plus pénible que la surveillance de 20 normaux » Binet et Simon vont, à partir du concept de « l’arriéré ». Binet et Simon élaborent alors le concept « d’idiotie » (état mental) qui est un degré sur une échelle continue de l’intelligence (NEMI) et, par conséquent, sensible à un traitement pédagogique : ils distinguent les anormaux d’asile (ou médicaux) des anormaux d’école.

 

S’il y a des « anneaux d’école » c’est à l'école de s’en occuper au risque que l’école pour tous ne soit plus l’école de tous (1900 à 1940) ; c’est la création des classes de perfectionnement (loi de 1909) et de l’enseignement spécialisé dans une logique de traitement à l’écart. Une logique déjà exprimée en 1905 par G. Paul-Boncourt et J. Philippe (médecins) dans leur livre Les anomalies mentales chez les écoliers : « tant que l’instruction n’était pas obligatoire, ces réfractaires ou incapables passaient facilement inaperçus ; on expulsait les indisciplinés ; on ignorait les vagabonds. Mais aujourd’hui il ne peut plus en aller de même ; tout réfractaire, bon gré, mal gré, est ramené à l’école : il s’y trouve mal, l’école ordinaire n’étant pas faite pour les écoliers de son espèce. »

 

Le Dossier 113 de l’INP[1] (projet de loi pour les classes de perfectionnement 1907) nous éclaire sur « l’externalisation » de la prise en charge des élèves en difficulté : « jusqu’ici 30 ou 40000 enfants ont été laissés en dehors des écoles à la charge de l’assistance publique et de la bienfaisance privée. Ces oubliés ont un malheur commun : ils ne peuvent être instruits avec les autres enfants : ils relèvent d’une pédagogie particulière. On a pris l’habitude de les désigner par un terme collectif : les enfants anormaux. »

 

Pour résoudre le problème posé par cette « espèce d’écoliers » la société pédagogique des directeurs et directrices d’écoles publiques de Paris crée en 1904 une commission pour la création « d’écoles pour arriérés » et « d’écoles de moralisation » qui a fait appel à Binet et Simon qui conduiront les travaux cités plus haut qui amenèrent les ministères à créer des classes spéciales à propos desquelles Jean-Marc Lesain-Delabarre écrit : « la création des classes spéciales en 1909 naît donc d’un compromis, d’une interaction entre le médical et le scolaire : l’hôpital cherche un moyen pour délivrer l’asile d’une quantité par trop importante de déficients mentaux ou de jeunes à l’abandon ; l’école quant à elle doit faire face au problème que lui posent ceux des enfants dont le comportement s’écarte de la norme. » Ces classes spéciales furent dénommées classes de perfectionnement, elles avaient pour vocation d’accueillir les anormaux d’école.

 

L’orientation des élèves vers ces structures se faisait en rapport à 3 degrés d’intelligence :

ð  L’Idiot considéré comme étant un arriéré inéducable est orienté vers une structure spécialisée de type « médical » hors système scolaire,

ð  L’Imbéciles considéré comme semi-éducable va vers une structure spécialisée de type médico-éducatif[2] qui est hors du système scolaire mais qui dispose d’un secteur d’enseignement pris en charge par des éducateurs scolaires,

ð  Le débile mental considéré comme éducable est pris en charge dans une classe de perfectionnement.

Cette classification a évolué au cours de l’histoire notamment sous l’influence du concept de QI pour utiliser une terminologie moins finaliste qui permettait de prendre en compte le principe d’éducabilité[3] mis en évidence par Jean-Jacques Rousseau (entre autres) et expérimenté (notamment) par Jean Itard dans son expérience d’éducation de Victor un « enfant sauvage ». Ainsi, on parla dans les années 1960 de déficience intellectuelle…

 

Pour revenir au sujet des enfants en difficulté à l’école il est important de souligner qu’assez vite les classes de perfectionnement accueillent une autre population que celle des « arriérés ». On y accueille les enfants en échec scolaire (total ou partiel) ou en retard scolaire du fait de facteurs externes, sociaux et familiaux, mais aussi les enfants issus de l’immigration qui ne possèdent pas la langue française, et très massivement les élèves indisciplinés ou simplement inattentifs ; tout cela sans discernement de niveau de QI pourrions-nous dire à première vue, sauf qu’il faut se rappeler que jusque dans le début des années 1990 un QI entre 70 et 99 faisait de l’individu un « déficient intellectuel léger ».

 

Tout semblait stabilisé au plus grand contentement des enseignants, seulement semblait car il n’y avait pas une classe de perfectionnement dans chaque école, enfin le système permettait, avec les classes de perfectionnement et surtout les structures externes, de « délivrer » les classes du poids des élèves qui étant en difficultés mettaient l’école et les enseignants en difficulté. Cette « harmonie » fut rompue en 1936 lorsqu’il fut décidé de prolonger la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans. On créa les « classes de fin d’études primaires » qui accueillirent la majeure partie des élèves de cours moyen 2ème année qui quittaient l’école à la date anniversaire de leurs 12 ans parfois avant[4]. Ces classes de fin d’étude prenaient en charge, quelles que soient leurs difficultés et leur comportement, les élèves qui ne pouvaient ou ne voulaient pas rejoindre le cours complémentaire qui faisait suite à l’école primaire ; ces élèves n’étaient plus des enfants mais des adolescents dont les aspirations, pour la plupart d’entre eux, n’étaient tournées vers les apprentissages scolaires surtout dans la même classe avec le même maître pendant deux ou trois ans.

 



[1] Institut national pédagogique aujourd’hui Institut Français de l’Education http://ife.ens-lyon.fr/ife

[2] Maison d’enfants qui deviendront des Instituts Médico-Educatifs…

[3] Philippe Meirieu : « L'éducabilité est d'abord le principe "logique" de toute activité éducative : si l'on ne postule pas que les êtres que l'on veut éduquer sont éducables, il vaut mieux changer de métier. C'est aussi un principe heuristique essentiel : seule la postulation de l'éducabilité de l'autre interdit à l'éducateur d'attribuer systématiquement ses échecs à des causes sur lesquelles il n'a pas pouvoir et d'engager la recherche obstinée de nouvelles médiations. » https://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/educabilite.htm

[4] Notamment lorsque l’anniversaire se situait après la fin juin, et en milieu rural où les enfants allaient faire les foins puis les moissons avant la fin de l’année scolaire la fin de la scolarité se situait de fait à ce moment de l’année.

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