b- les acteurs :
Maîtres et élèves
Auxquels il faut joindre l’Institution c’est à dire le Ministère qui décide de
l’organisation et des règles de fonctionnement de l’école comme par exemple le
choix de François Guizot (1833) d’imposer l’enseignement simultané plutôt
que celui mutuel. Dès lors l’école c’est un maître dans une classe : donc
tous les élèves doivent avancer au même rythme vers le même objectif. Ce
travail normatif peut aussi être illustré par les décisions de Jules
Ferry : instruction obligatoire de 6 à 13 ans, fonctionnarisation des
enseignants (1886), unité des programmes édictés par le ministère, renforcement
du rôle des inspecteurs qui sont chargés de l’évaluation des maîtres, et
aujourd’hui, par exemple, obligation d’instruction fixée à 3 ans.
Le maître doit
son pouvoir à la délégation qu'il reçoit d’un État qu’il représente ce qui lui
confère une position sociale particulière et de la mission qui lui est
dévolue : enseigner pour faire réussir (autant les élèves que le pays).
Une partie de l’évaluation des maîtres repose sur le taux de réussite au CEP,
du coup ce sont les maîtres qui choisissent les élèves qui seront présentés au
CEP. Le pouvoir du maître est un peu écorné lorsqu’il perd la prérogative de choisir
les candidats au CEP à partir de 1930 : tous les élèves vont au CEP.
Dans ce contexte l'élève
qui ne « rentre pas dans le moule », qui ne réussit pas entrave le
bon fonctionnement de la classe et « met à mal l'ordre scolaire et
l’autorité du maître » et risque de
mettre en échec le maître. Apparaît la figure du « cancre » qui
se caractérise par les traits suivants : élève lent, intelligence limitée,
défaillances cognitives, problèmes de discipline. L’antithèse du cancre c’est
l’élève modèle, celui de l’enseignement simultané.
La figure du cancre va fonder et justifier les critiques
adressées à l’institution scolaire vue inadaptée à une partie de son public. On
voit reprocher à l’institution sa rigidité en matière pédagogique ; c’est
(déjà) la critique des pédagogies « traditionnelles ». Pourtant de 1882 à 1909
jamais (dans les congrès d’instituteurs) ne s’exprime un désarroi dû au fait de
l’arrivée dans l’école de « types nouveaux » d’écoliers qui, désormais
scolarisés, se révèleraient « anormaux », on parle là des élèves qui ne
venaient pas à l’école malgré les Lois Ferry. Il n’empêche qu’on reproche aux enseignants
de manquer de discernement et de regrouper dans la catégorie des « cancres »
des élèves incapables de rentrer dans les apprentissages en raison d’une
intelligence défaillante et d’autres qui possèdent de réelles capacités
cognitives mais qui n’arrivent pas à apprendre… Ainsi peut-on lire V. Vaney,
directeur d’école qui « prêtait » ses élèves à Binet : « la loi de 1882 sur l’obligation scolaire n’a fait aucune distinction
entre les enfants. L’école publique […] ne peut guère se plier aux exigences
individuelles. » Très vite les professionnels de la santé vont s’intéresser
au cancre comme le suggère le Manuel Général de l’Enseignement Primaire
en 1932 : « Cette espèce scolaire comprendrait deux variétés principales :
le cancre complet et définitif, c’est-à-dire par incurable infirmité
intellectuelle, et le cancre relatif, en quelque sorte provisoire, qui ne doit
sa déchéance qu’à son goût pour la rêverie, à sa striction ou à une timidité
naturelle. »
Nous sommes au le
tournant du 20ème siècle et on va « médicaliser le
cancre » en raison des progrès de la science : on reproche aux enseignants
de ne pas s’appuyer sur une compréhension scientifique des processus
physiologiques, cognitifs ou psychoaffectifs en jeu dans les apprentissages. On
voit apparaître des spécialistes de l’univers médico-psychologique :
Edouard Claparède, Théodore Simon et Alfred Binet, plus tard Georges Heuyer
fondateur de la neuropsychiatrie infanto-juvénile qui écrit en 1930 un livre
intitulé Le surmenage dans l’enseignement primaire. C’est l’émergence du
concept « d’arriéré » dû à Alfred Binet et Théodore Simon (vers 1900)
qui amena vers eux les directeurs d’école avec ce constat : « les maîtres s’en plaignent : ces enfants ne
ressemblent pas du tout à l’immense majorité des autres élèves, la surveillance
d’un seul est plus pénible que la surveillance de 20 normaux » Binet et
Simon vont, à partir du concept de « l’arriéré ». Binet et Simon élaborent
alors le concept « d’idiotie » (état mental) qui est un degré sur une échelle
continue de l’intelligence (NEMI) et, par conséquent, sensible à un traitement
pédagogique : ils distinguent les anormaux d’asile (ou médicaux) des
anormaux d’école.
S’il y a des « anneaux d’école » c’est à l'école
de s’en occuper au risque que l’école pour tous ne soit plus l’école de tous
(1900 à 1940) ; c’est la création des classes de perfectionnement (loi de
1909) et de l’enseignement spécialisé dans une logique de traitement à
l’écart. Une logique déjà exprimée en 1905 par G. Paul-Boncourt et J. Philippe
(médecins) dans leur livre Les anomalies mentales chez les écoliers :
« tant que l’instruction n’était pas
obligatoire, ces réfractaires ou incapables passaient facilement
inaperçus ; on expulsait les indisciplinés ; on ignorait les
vagabonds. Mais aujourd’hui il ne peut plus en aller de même ; tout
réfractaire, bon gré, mal gré, est ramené à l’école : il s’y trouve mal,
l’école ordinaire n’étant pas faite pour les écoliers de son espèce. »
Le Dossier 113 de l’INP[1]
(projet de loi pour les classes de perfectionnement 1907) nous éclaire sur
« l’externalisation » de la prise en charge des élèves en
difficulté : « jusqu’ici 30 ou
40000 enfants ont été laissés en dehors des écoles à la charge de l’assistance
publique et de la bienfaisance privée. Ces oubliés ont un malheur commun :
ils ne peuvent être instruits avec les autres enfants : ils relèvent d’une
pédagogie particulière. On a pris l’habitude de les désigner par un terme
collectif : les enfants anormaux. »
Pour résoudre le problème posé par cette « espèce d’écoliers » la société pédagogique
des directeurs et directrices d’écoles publiques de Paris crée en 1904 une
commission pour la création « d’écoles pour arriérés » et
« d’écoles de moralisation » qui a fait appel à Binet et Simon qui
conduiront les travaux cités plus haut qui amenèrent les ministères à créer des
classes spéciales à propos desquelles Jean-Marc Lesain-Delabarre écrit : « la création des classes spéciales en
1909 naît donc d’un compromis, d’une interaction entre le médical et le scolaire :
l’hôpital cherche un moyen pour délivrer l’asile d’une quantité par trop
importante de déficients mentaux ou de jeunes à l’abandon ; l’école quant
à elle doit faire face au problème que lui posent ceux des enfants dont le
comportement s’écarte de la norme. » Ces classes spéciales furent
dénommées classes de perfectionnement,
elles avaient pour vocation d’accueillir les anormaux d’école.
L’orientation des élèves vers ces structures se faisait en
rapport à 3 degrés d’intelligence :
ð L’Idiot
considéré comme étant un arriéré inéducable est orienté vers une structure
spécialisée de type « médical » hors système scolaire,
ð L’Imbéciles
considéré comme semi-éducable va vers une structure spécialisée de type
médico-éducatif[2] qui est hors du système
scolaire mais qui dispose d’un secteur d’enseignement pris en charge par des
éducateurs scolaires,
ð Le
débile mental considéré comme éducable est pris en charge dans une classe de
perfectionnement.
Cette classification a évolué au cours de l’histoire
notamment sous l’influence du concept de QI pour utiliser une terminologie
moins finaliste qui permettait de prendre en compte le principe d’éducabilité[3] mis en évidence par
Jean-Jacques Rousseau (entre autres) et expérimenté (notamment) par Jean Itard
dans son expérience d’éducation de Victor un « enfant sauvage ».
Ainsi, on parla dans les années 1960 de déficience intellectuelle…
Pour revenir au sujet des enfants en difficulté à l’école il
est important de souligner qu’assez vite les classes de perfectionnement
accueillent une autre population que celle des « arriérés ». On y
accueille les enfants en échec scolaire (total ou partiel) ou en retard
scolaire du fait de facteurs externes, sociaux et familiaux, mais aussi les
enfants issus de l’immigration qui ne possèdent pas la langue française, et
très massivement les élèves indisciplinés ou simplement inattentifs ; tout
cela sans discernement de niveau de QI pourrions-nous dire à première vue, sauf
qu’il faut se rappeler que jusque dans le début des années 1990 un QI entre 70
et 99 faisait de l’individu un « déficient intellectuel léger ».
Tout semblait stabilisé au plus grand contentement des
enseignants, seulement semblait car il n’y avait pas une classe de
perfectionnement dans chaque école, enfin le système permettait, avec les
classes de perfectionnement et surtout les structures externes, de
« délivrer » les classes du poids des élèves qui étant en difficultés
mettaient l’école et les enseignants en difficulté. Cette
« harmonie » fut rompue en 1936 lorsqu’il fut décidé de prolonger la
scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans. On créa les « classes de fin
d’études primaires » qui accueillirent la majeure partie des élèves de
cours moyen 2ème année qui quittaient l’école à la date anniversaire
de leurs 12 ans parfois avant[4]. Ces classes de fin d’étude
prenaient en charge, quelles que soient leurs difficultés et leur comportement,
les élèves qui ne pouvaient ou ne voulaient pas rejoindre le cours
complémentaire qui faisait suite à l’école primaire ; ces élèves n’étaient
plus des enfants mais des adolescents dont les aspirations, pour la plupart
d’entre eux, n’étaient tournées vers les apprentissages scolaires surtout dans
la même classe avec le même maître pendant deux ou trois ans.
[1] Institut national
pédagogique aujourd’hui Institut Français de l’Education http://ife.ens-lyon.fr/ife
[2] Maison d’enfants qui
deviendront des Instituts Médico-Educatifs…
[3]
Philippe Meirieu : « L'éducabilité est d'abord le principe
"logique" de toute activité éducative : si l'on ne postule pas que
les êtres que l'on veut éduquer sont éducables, il vaut mieux changer de
métier. C'est aussi un principe heuristique essentiel : seule la postulation de
l'éducabilité de l'autre interdit à l'éducateur d'attribuer systématiquement
ses échecs à des causes sur lesquelles il n'a pas pouvoir et d'engager la
recherche obstinée de nouvelles médiations. » https://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/educabilite.htm
[4]
Notamment lorsque l’anniversaire se situait après la fin juin, et en milieu
rural où les enfants allaient faire les foins puis les moissons avant la fin de
l’année scolaire la fin de la scolarité se situait de fait à ce moment de
l’année.
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