dimanche 16 août 2020

Le chef d’établissement et la conduite d’une politique locale d’éducation : entre partenaires et interlocuteurs.

 

 


Texte écrit pour Le Guide Bleu des personnels de directions, Ministère de l’éducation nationale, version 2007, chapitre « Les interlocuteurs de l’établissement et du chef d’établissement dans le domaine pédagogique »

  

 

L’établissement public local d’enseignement, au service de l’éducation des élèves de son territoire d’implantation, doit autant tirer des ressources de tous ordres de ce territoire que contribuer à son animation et à son développement. Là se trouve une des conditions essentielles de la réussite de son projet pédagogique. En même temps apparaissent les mises en tensions possibles relevant d’enjeux intimement liés au choix de posture par des acteurs dont les intérêts varient suivant la position sociale qu’ils adoptent, par exemple, entre citoyen ou professionnel. Alors, où et quand y a-t-il partenariat ?

  


Déjà, avant François Guizot et Jules Ferry, tout le 19e siècle voyait les rapports entre l’école et le « local » osciller dans « les ambiguïtés d’un monopole d’État à géométrie variable », pour reprendre la phrase de Claude Lelièvre, pour aboutir à un État remarquablement centralisateur en matière de politique éducative. Depuis la décennie 1970-1980 le « local » fait un retour en force fondé sur deux constats en matière de politique éducative. Le premier est lié à l’existence persistante de différences régionales en matière d’offre de formation malgré la centralisation des décisions et des modes de gestion, et cela jusqu’au plus intime de l’offre de chaque établissement. Le second, c’est l’inévitable bouleversement des modes de gestion du système éducatif entraîné par les lois de décentralisation, notamment celle du 13 août 2004, et son corollaire : la déconcentration des services de l’État.

 

Regarder les disparités géographiques de l’école c’est se pencher sur les rapports qu’elle entretient avec la société, et plus particulièrement c’est s’interroger à propos de l’écart entre l’offre de formation et la demande sociale. Mais c’est aussi questionner les inégalités sociales et la sensibilité différentielle des groupes sociaux aux inégalités géographiques. Dès lors les politiques d’éducation n’échappent pas à une territorialisation dans laquelle le concept de « local » est prévalent.

 

Comment, l’établissement scolaire du second degré, à l’instar des écoles primaires, pourrait-il ne pas être un « établissement local » ? Ce faisant il devient le centre d’un réseau de partenaires locaux qui, à des titres divers, sont co-organisateurs et acteurs d’une politique locale d’éducation. Pour autant, contrairement à d’autres pays, il demeure, en France, une politique d’éducation nationale définie et gérée par l’État. Les politiques locales ne peuvent pas s’émanciper de la politique nationale ; à la fois elles la déclinent et elles la complètent.

 

Dans une telle évolution on voit un ensemble de dispositions législatives qui réaffirment les objectifs généraux et nationaux de la politique éducative : « l’État garantit l’exercice du droit à l’éducation et à la formation à tous les enfants et les jeunes qui vivent sur le territoire national quelle que soit leur origine sociale, culturelle ou géographique. », et par ailleurs un cadre de diversification des réponses éducatives que traduisent bien la création des Établissements Publics Locaux d’Enseignement et la dynamique souhaitée pour le projet d’établissement. Cela se traduit par une autonomie renforcée des établissements, par la volonté d’entraîner les établissements à plus s’ouvrir à leurs partenaires, et surtout par la demande adressée au système éducatif dans son ensemble de développer la collaboration et la concertation avec les collectivités locales.

 

Ce survol de l’évolution d’un système d’éducation défini par une politique hypercentralisée vers une territorialisation de plus en plus fine nous invite à prendre en compte les éventuelles tensions entre le respect des objectifs nationaux et l’adaptation aux situations locales. Ces tensions peuvent être d’autant plus exacerbées par la capacité d’initiative des acteurs locaux. Dans ce système complexe, où donc se fait jour une mise en tension d’intérêts divers parfois antagoniques, le rôle des chefs d’établissement est devenu central. Désormais ils se trouvent au point de convergence de la déconcentration des services de l’État en tant que représentant de celui-ci et de la décentralisation en tant que président du conseil d’administration de l’établissement et signataire, non pas comme président mais « seulement » comme chef d’établissement, d’une convention avec la collectivité territoriale qui lui fixe des objectifs de gestion à atteindre dans le cadre des compétences transférées par la loi du 13 août 2004 (gestion des personnels TOS, restauration, hébergement…).

 

Désormais les services de l’État, notamment d’éducation et de formation, s’inscrivent moins dans des logiques de production et d’injonction que dans des logiques d’encadrement et d’accompagnement d’actions co-construites dans des contextes territoriaux. La démarche ne peut être que contractuelle entre un État garant de la politique nationale d’éducation, des acteurs publics territoriaux sous un régime de libre administration et représentants des « intérêts locaux », des services ou structures de l’État déconcentré, le tout vivant dans un système de fonctionnement collectif au service des usagers. Les questions qui se posent sont alors :

-           Comment penser l’articulation entre les rôles des différents niveaux d’organisation du territoire en matière de définition et de gestion des politiques d’éducation et de formation ?

-           Comment prendre en compte les particularités locales dans le respect d’une politique définie nationalement ?

-           Comment organiser la complémentarité entre ce qui relève de la politique nationale d’éducation (programmes, diplômes…) et ce qui relève du péri et de l’extrascolaire (accompagnement scolaire, logement des étudiants, services culturels) ?

 

Le chef d’établissement, s’il est centre d’un réseau d’interlocuteurs locaux, doit aussi être celui qui :

-           Met en synergie les intérêts des uns et des autres,

-           Crée du lien entre les projets d’initiatives variées,

-           Met de la cohérence entre les actions,

-           Tisse des liens entre les acteurs…

 

Le chef d’établissement est donc le moteur et le modérateur d’un réseau partenarial dont le seul objectif doit être le service de l’usager dans le respect de la politique nationale d’éducation et en accord avec les politiques locales.

 

Le partenariat est une organisation collective d’énonciation et de conduite d’un projet. Ce qui rejoint ce qu’en dit Danielle Zay lorsqu’elle écrit : « le minimum de définition du partenariat comprend l’engagement dans une action commune négociée ». Ainsi, un partenariat est d’abord le constat de problèmes communs. Il peut aussi être, c’est très souvent le cas, une réponse à une situation qui existe depuis longtemps mais qui, à un moment, accède à la publicité et qui oblige à chercher des issues hors des habitudes. Ensuite, le partenariat c’est un territoire polymorphe où se répartissent des zones d’intervention et d’influence en dehors de hiérarchie et de statut. Enfin, lorsqu’on parle de partenariat il ne faut pas oublier qu’il concerne des acteurs qui sont des personnes avant d’être des institutions. Ces acteurs sont, chacun à leur place, l’individu qui détient une parcelle utile d’information et de savoir‑faire au sein de l’organisation (pas seulement institution) dans laquelle il œuvre. Ces acteurs dégagent un espace de manœuvre, des modalités de régulation et des procédures d’évaluation. Pour autant tout acteur n’accède pas au statut de partenaire tel que nous concevons le partenariat. Être partenaire c’est, outre la détention du pouvoir d’action, posséder le pouvoir de décision dans la conception et la mise en œuvre du projet. La différence est ténue, mais si l’acteur peut bloquer le déroulement d’un projet, par exemple par un refus de faire, il n’est pas obligatoirement celui qui décide de l’existence du projet, moins encore des choix stratégiques et de l’allocation des moyens.

 

Ainsi, à travers les différents textes législatifs et réglementaires qui fondent et organisent l’EPLE, ceux qui concernent le transfert de compétences de l’État vers les collectivités territoriales (décentralisation) concomitants de ceux relatifs à l’organisation de l’État (déconcentration), et en prenant en compte les différentes politiques publiques qui en appellent ou qui concernent l’éducation (politique de la ville, politique de cohésion sociale, politique de formation professionnelle…), nous voyons se dessiner les territoires d’action et poindre les acteurs partenaires. En 1981, par exemple, l’instauration des ZEP et la mise en place de la politique de la ville amènent à parler de partenariat dans plusieurs textes réglementaires où on trouve ces mots : « les partenaires habituels de l’école ». Dès lors on parlera de projet, d’innovation, d’équipe pédagogique et, dans la loi d’orientation pour l’école de 1989, de communauté éducative. Voilà autant de termes qui ouvrent vers l’autre et vers la mise en place de collaborations. L’apparition du mot partenariat dans plusieurs textes réglementaires traduit un changement de conception des relations de l’école avec ceux avec lesquels elle travaillait déjà. Désormais ceux-là vont avoir un rôle fort et reconnu à jouer dans l’accomplissement des missions du service public d’éducation. Il ne s’agit plus pour nombre d’entre eux d’avoir une aide ponctuelle, de rendre un service, mais on reconnaît leur capacité à participer au service public d’éducation et de formation, y compris sur le plan pédagogique. Désormais l’espace pédagogique, duquel les enseignants tiraient leur légitimité, est un espace partagé ; là encore le chef d’établissement se trouvera au centre du réseau et responsable de la cohérence des projets. Mais, du coup, les enseignants et les usagers n’ont-ils pas aussi une place partenariale dans le système, ou sont-ils simplement acteurs ?

 

Le partenariat entre les structures concourant à la politique de l’éducation nationale est le résultat, pour l’instant inachevé, d’un long parcours. Il n’y a pas le lieu ici de disséquer la structure anthropologique de l’école mais rappelons au moins qu’elle s’est construite suivant deux axes majeurs. Le plus ancien se dessine autour du fait que la famille ou le groupe délègue à un tiers tout ou partie de l’éducation des enfants. Le second, apparu essentiellement au moment de la Révolution, est celui suivant lequel la Nation prend en charge une partie de l’éducation des enfants, notamment leur éducation citoyenne. Souvenons-nous des luttes au moment de la présentation des lois par Jules Ferry qui ont abouti au fait d’une part qu’on parlât alors d’instruction plutôt que d’éducation et, d’autre part, qu’il soit permis d’instruire son enfant chez soi. C’est autour de la mise en dialectique de ces deux mots, éducation et instruction, que doit se discuter la notion de partenariat au sein de l’école. Ainsi, les enseignants en tant que professionnels et plus encore en tant que fonctionnaires, s’ils sont les premiers acteurs des politiques d’éducation et de leur déclinaison en projets et en actions, sont-ils pour autant des partenaires qui doivent décider des politiques ?

 

 

A)     Partenaires ou acteurs internes de l’établissement :

 

Le choix de situer les enseignants en tout premier lieu, n’a pas d’autre origine que la reconnaissance de leur rôle moteur dans la mise en place et la conduite des actions de tout projet à commencer par celui de l’établissement.

 

Les enseignants entretiennent des « relations souvent ambiguës » avec le chef d’établissement à qui l’administration demande qu’il soit un véritable manager de ressources humaines alors qu’il ne dispose d’aucun pouvoir ni d’aucune autonomie en matière de recrutement et de gestion. Tout au plus peut-on lui reconnaître une légère autorité en matière d’évaluation à travers la note administrative qu’il propose. Par contre on peut s’attendre à ce que le chef d’établissement, transmetteur, médiateur et animateur au niveau local des réformes, exerce un management fort et dynamique au niveau de la pédagogie. Si certains peuvent contester sa légitimité pédagogique, personne ne peut contester son rôle et son autorité en matière d’organisation des structures pédagogiques de l’établissement dont il est investi, de sa responsabilité notamment à travers la DHG, l’organisation des emplois du temps, la formation continue des enseignants… Pour autant il ne faut pas méconnaître l’autonomie individuelle assez grande dont disposent les enseignants dans leur pratique pédagogique en classe. Si cette autonomie est nécessaire, elle peut être un frein au changement donc à la mise en œuvre de projet et a fortiori d’une politique d’éducation qu’elle soit nationale ou locale.

 

Les enseignants ne sont pas les seuls professionnels à travailler au sein d’un EPLE. « De façon générale, mais plus accentuée dans les établissements de la « périphérie[1] », on observe un accroissement et une diversification des personnels qui prennent en charge de nombreuses tâches éducatives, sociales, sociomédicales en principes complémentaires aux activités d’enseignement. », écrit Agnès van Zanten dans « les politiques d’éducation ». Cette remarque pourrait être complétée par un dessin d’une carte géographique des territoires internes de l’EPLE dont les deux principaux sont celui « de l’intérieur de la classe » et celui « de l’extérieur de la classe ». Leur caractéristique, aux deux cités mais aussi à tous les autres, est leur capacité d’exclusion de ce qui appartient à l’autre. Ce qui est dans la classe relèverait du seul enseignant, ce qui est de l’extérieur relèverait du CPE, du COP, de l’infirmière, etc. Or, si on s’intéresse à l’enfant ou à l’élève, c’est-à-dire à l’usager, le système ne peut être efficace que si toutes ses composantes œuvrent en synergie et en cohérence pour un seul objectif qui ne peut être que celui de l’amélioration, éducative et culturelle, de l’individu.

 

Le chef d’établissement a donc à conduire et à guider des personnels (cela s’appelle le management) qui sans vraiment manifester d’hostilité les uns envers les autres ont tendance à s’ignorer. Il a à porter et à faire reconnaître une des valeurs essentielles de l’école : l’indivisibilité de la tâche éducative. Seules les actions peuvent être divisées et réparties, mais pas l’éducation. La tâche éducative est par essence un projet, celui au service du devenir de l’élève, et par conséquent elle relève du concept de partenariat ; mais il s’agit là d’un partenariat qui se situe à un niveau infrapolitique. Si la formule, trop caricaturale et donc réductionniste, est permise, il s’agit alors d’un partenariat d’action qui arrive après qu’aient été activés les partenariats de l’ordre politique. C’est dire combien le chef d’établissement a un rôle fédérateur primordial et prépondérant à jouer en matière d’organisation pédagogique et éducative auprès et avec tous les personnels de l’établissement pour que les décisions issues du partenariat « politique » et décisionnel trouvent un écho à travers un partenariat d’action.

 

B)      Agents et partenaires internes à l’institution Éducation nationale :

 

Si le chapitre précédent montre le rôle du chef d’établissement et sa légitimité en matière d’organisation pédagogique de l’établissement, il a aussi permis de voir que sa légitimité peut être parfois contestée ou pour le moins peu reconnue par les enseignants. Pour asseoir et consolider son autorité dans ce domaine le chef d’établissement dispose d’une part de la légitimité qui lui est accordée par sa lettre de mission et par la validation du projet d’établissement par l’autorité académique et, d’autre part, de l’aide que les corps d’inspection doivent lui apporter.

 

Le chef d’établissement et l’administration de l’éducation nationale ne peuvent plus, de nos jours, se contenter de relations fugaces et aléatoires. Le rectorat et l’inspection académique, parce qu’ils attribuent les moyens en personnels, ne peuvent pas s’exempter d’une connaissance très approfondie de l’environnement de l’EPLE, de ses caractéristiques et de son projet. La simple lecture de documents, aussi bien rédigés qu’ils soient, ne suffit pas à dessiner une image suffisamment précise d’une organisation dont l’essentiel de l’activité repose sur de l’humain et dont la production elle-même est de l’humain. Il est donc nécessaire et indispensable que le chef d’établissement entretienne des rapports fréquents, sur des bases solides et objectives, avec les autorités académiques. Notamment il devrait pouvoir se mettre en place, entre l’EPLE et les autorités de tutelle, un véritable reporting ; c’est-à-dire que le compte rendu qu’un chef d’établissement fait de son activité entraîne une mise en réflexion et une mise en action en réponse ou en accompagnement de l’évolution de la situation dont il a la charge du pilotage. Il se définirait alors un partenariat dans la mesure où le reporting pourrait constituer un des éléments essentiels de la prise de décision par l’autorité administrative. Mais, compte tenu de la lettre de mission comment se situe le chef d’établissement : partenaire ou agent ?

 

D’autre part, il ne peut pas y avoir de pilotage pleinement efficace si le pilote n’est pas associé à la dynamique d’inspection et de contrôle des structures qu’il conduit. Aussi est-il indispensable que les corps d’inspection œuvrent de concert avec le chef d’établissement pour toute action de contrôle à l’intérieur de l’établissement. Il s’agit bien là d’aller au-delà de la visite protocolaire avant l’inspection d’un enseignant. Peut-être est-il opportun de se poser la question de l’efficacité d’une inspection qui ne prendrait pas en compte les caractéristiques et le projet d’établissement, tout comme on s’interrogera de la portée d’une inspection dont le chef d’établissement ignorerait tout de ses résultats s’ils peuvent être en rapport avec le fonctionnement de l’établissement qu’il pilote et à propos duquel il rend compte. En outre, le chef d’établissement qui doit être associé à la dynamique d’inspection, trouve auprès des inspecteurs des experts compétents pour l’aider dans l’organisation pédagogique de l’établissement et dans l’impulsion et le montage de projets au regard des attentes des disciplines. Il semble bien que la mise en place du socle commun de connaissances rendra encore plus indispensable ce type de collaboration.

 

Faut-il situer les bassins d’éducation et les districts, géographiquement et fonctionnellement, entre l’administration académique et les corps d’inspection ? Vraisemblablement pas, tant ils sont de nature différente. Outre le rôle d’harmonisation entre les établissements qu’on voulait leur faire jouer, ils représentent un lieu d’échange entre professionnels d’un même territoire. Ils ne sont pas, pour l’instant du moins, un lieu d’administration ou une instance d’expertise. Il s’agit alors, à partir du partage d’analyses et d’expériences, d’organiser une offre de formation cohérente sur un territoire donné. Il conviendrait de leur consacrer un chapitre pour analyser leur diversité et les modes de fonctionnement en même temps qu’on les confronterait à la myriade des réseaux pouvant exister dans les territoires et susceptibles de provoquer ou de conforter du partenariat dans un cadre de coconstruction de politiques locales d’éducation.

 

C)     Interlocuteurs ou partenaires externes à l’institution Éducation nationale :

 

a.        Les collectivités territoriales

Dès les premières lois de décentralisation de 1982-1983, et plus précisément avec le décret de 1985 relatif aux EPLE, les relations entre l’établissement scolaire du second degré et les collectivités territoriales sont devenues à la fois naturelles et réglementées. La collectivité ayant notamment en charge la construction et le gros entretien des EPLE de sa compétence, faisant de celui-ci un quasi-locataire, comment envisager qu’il n’existât point de relations fortes. D’autant plus que la collectivité siège au conseil d’administration et reçoit comme compétences particulières la possibilité d’organiser des activités éducatives, sportives et culturelles dans les locaux scolaires et que, d’autre part et par exemple, le département recevait la compétence de l’organisation de la gestion et du financement des transports scolaires.

La loi du 13 août 2004, dite Acte 2 de la décentralisation, transférait de l’État vers les collectivités territoriales de nouvelles compétences : gestion des personnels TOUS, hébergement, restauration… En plus, le département dispose désormais de l’organisation de la sectorisation des aires de recrutement des collèges ; la région a en charge l’adoption et la mise en œuvre du PRDF. Mais surtout, il faut appesantir la réflexion sur l’article 82 de cette loi qui organise le transfert des personnels TOUS vers les collectivités territoriales. De cet article il faut retenir, pour le sujet qui nous intéresse, qu’il prévoit que le président de la collectivité fait connaître au chef d’établissement les objectifs et les moyens qu’il met à la disposition de l’EPLE pour la mise en œuvre des compétences incombant à la collectivité. Il est dit que le chef d’établissement met en œuvre les objectifs de la collectivité et lui rend compte. D’évidence la nature de la relation entre le chef d’établissement et la collectivité territoriale évolue, d’autant que la collectivité sera désormais plus représentée au sein du conseil d’administration de l’EPLE dont le chef d’établissement, représentant de l’État, demeure le président. De naturelles et réglementées les relations doivent en plus être empreintes d’un très grand professionnalisme et reposer sur les qualités du reporting donc sur celles des analyses et des évaluations. Ce n’est pas là la moindre des expertises désormais attendues du chef d’établissement.

 

Mais alors, on mesure la difficulté de positionnement dans laquelle le chef d’établissement se trouve par rapport à la collectivité territoriale : tantôt agent quand il signe la convention et qu’il doit rendre compte de l’atteinte des objectifs, tantôt partenaire en tant que représentant de l’État au moment de la présentation du projet d’établissement au conseil d’administration.

 

b.       Les services déconcentrés de l’État

La multiplication des contrats entre l’État et les collectivités territoriales dans le cadre de différentes politiques renforce l’obligation de partenariat entre l’EPLE et les collectivités territoriales, dont les communes et les structures d’intercommunalités dont nous n’avons pas parlé plus haut. Mais aussi, l’EPLE n’échappe pas au fait de travailler avec les services déconcentrés de l’État : police, gendarmerie, justice, santé… Toutefois le chef d’établissement doit-il aller au-delà du « travailler ensemble » pour installer, chaque fois que la situation le rend nécessaire, un véritable partenariat reposant sur des projets co-construits. Par exemple, il est pertinent d’aller au-delà d’actions ponctuelles d’information de prévention des conduites addictives pour élaborer, pour l’établissement, une politique d’éducation à la santé avec les services de santé de l’éducation nationale, le CESC de l’établissement, les services de la DDAS, etc… Que dire de ce qui concerne la problématique de l’accompagnement scolaire dans le cadre de ce que prévoit la loi de cohésion sociale… etc.

 

c.        Les autres administrations

Sous cette dénomination nous entendrons des associations para-administratives, des GIP, etc dont les objectifs rejoignent ceux dévolus au système éducatif ou dont les actions ou décisions peuvent avoir une répercussion sur le fonctionnement de l’EPLE.

Par exemple n’est-il pas inutile d’entretenir des relations régulières avec une chambre des métiers. Autre exemple, celui de la Maison Départementale des Personnes Handicapées avec laquelle il semble désormais indispensable de travailler régulièrement puisque depuis janvier 2006 elle a la responsabilité de l’organisation de la prise en charge et de l’accompagnement des élèves en situation de handicap.

 

D)     Partenaires ou usagers ?

a.        Les élèves

L’évolution de la société et corollairement l’émergence d’un droit des « enfants et des adolescents » positionnent différemment les élèves dans la communauté éducative et dans leurs rapports avec les fonctionnaires. Pour autant cela ne leur confère pas l’exercice d’un droit absolu ni une quelconque possibilité de s’émanciper des règles du droit général et de celles particulières du règlement intérieur. Mais cet état de fait oblige le chef d’établissement à prendre en compte les élèves comme des usagers. Pourrait-il en être autrement puisque tout ce qui se fait dans l’établissement n’est, in fine, destiné qu’à eux ? Pour cette raison la loi encadre l’élection de délégués des élèves qui les représentent dans les conseils de classe, le conseil d’administration de l’EPLE, au conseil de la vie lycéenne… Pour autant, suivant la volonté du législateur, cette relation entre le chef d’établissement et les délégués des élèves, et plus généralement à travers eux l’ensemble des élèves, ne doit pas être dépourvue de dimension éducative. Cela pose la question de l’existence d’une possible coconstruction de l’action éducative avec celui qui en est le bénéficiaire naturel. Or, co-construire avec un élève, y compris au niveau de l’action pédagogique, l’espace éducatif dans lequel il doit évoluer, n’est-ce pas conduire cet élève à donner du sens à l’action éducative ?

 

b.       Les parents d’élèves

La place des parents d’élèves a remarquablement évolué depuis les années 1970. Ils ont acquis un droit de regard sur le fonctionnement général de l’établissement qui va bien au-delà de la simple relation entre leur enfant et l’établissement. Ils sont donc à la fois utilisateurs lorsqu’il s’agit de leur enfant et coadministrateurs, en tant que citoyens et contribuables, lorsqu’on invoque l’intérêt général. On voit que la relation partenariale est teintée d’ambiguïté, d’autant plus que, la scolarité étant obligatoire jusqu’à 16 ans, les parents ne peuvent pas se soustraire au devoir d’être parents d’élèves.

 

Le chef d’établissement se trouve, une fois encore, au centre d’un nœud relationnel où se rencontrent des tensions d’intérêts et d’enjeux fortes. Les enseignants demeurent toujours maîtres de la plupart des décisions concernant l’élève, et en face les usagers ne sont pas en mesure de proposer de modèle alternatif. Par contre il apparaît que le poids des parents, acteurs du système, pèse de plus en plus lourd sur le fonctionnement des établissements, notamment en ce qui concerne l’intérêt qu’ils portent à la qualité de la scolarité proposée à leur enfant. Cette situation oblige le chef d’établissement à les considérer non pas comme de quasi-clients mais comme de véritables partenaires d’une part dans le champ de la coéducation mais aussi, plus globalement, dans celui de la construction de la politique d’éducation de l’EPLE, même si là ils peinent à construire une cause commune.

 

E)      Des interlocuteurs occasionnels, pourquoi pas partenaires :

 

Les établissements scolaires, parce qu’ils vivent dans un territoire et qu’ils ont pour mission de former les élèves en vue de leur insertion sociale et professionnelle, ne peuvent pas être coupés du monde économique de la production et des services. D’ailleurs de nombreux textes encouragent ce type de relations en même temps que d’autres encadrent les possibilités de découverte de l’entreprise par les élèves. Le chef d’établissement est tenu de connaître, et de mettre en œuvre, ces textes comme ceux concernant le stage de découverte de l’entreprise pour les collégiens, celui des jumelages avec les entreprises, ceux régissant la formation en alternance… Pour que cette mise en œuvre se fasse dans des conditions optimales, il est impératif que le chef d’établissement établisse et entretienne des liens avec le tissu économique proche.

 

Pour de très nombreux projets l’établissement peut avoir recours à des associations. C’est le cas pour des actions in situ : animation culturelle, éducation pour la santé…, ou pour des projets qui se dérouleront à l’extérieur : classes « transplantées », voyages linguistiques… Il est indispensable que le chef d’établissement, qui engage sa responsabilité, soit en mesure d’avoir avec les représentants de ces associations des relations de professionnel à professionnel, des relations partenariales, plus que celles de producteur à consommateur c’est-à-dire entre interlocuteurs. Il doit, entre autres, toujours avoir présent à l’esprit que ces intervenants extérieurs à l’institution ont le devoir de respecter un certain nombre de principes et de valeurs : laïcité, neutralité, absence de tout prosélytisme…

 

       D) La communication

 

Enfin, il faut citer les médias qui sans être des partenaires sont des interlocuteurs particuliers. De nos jours tout chef d’établissement doit être préparé à répondre à la presse autant qu’à l’utiliser. C’est parce qu’il aura entretenu avec les journalistes des relations régulières et de qualité que le jour d’une crise les choses se passeront bien. La confiance ayant été établie les journalistes ne seront pas vécus comme des intrus et eux, de leur côté, sauront accepter que tout ne leur soit pas dit, en même temps qu’ils auront les éléments pertinents pour bien analyser la situation. En outre, l’établissement doit savoir communiquer sur ce qu’il sait faire et ce qu’il réussit, c’est la condition sine qua non d’ouverture de l’établissement à son environnement et vers les parents d’élèves.



[1] Suivant la classification de Agnès van Zanten, L’école de la Périphérie, PUF

vendredi 31 juillet 2020

École et territoire




Article paru dans la revue des Stagiaires du

Centre de formation des inspecteurs de l’éducation nationale.

Centre Bessière, Paris, 1995

 

 

 

« Un premier constat s’impose : l’école « en chair et en os » s’inscrit dans un espace local qu’elle ne peut ignorer. La prise en compte des liens que tisse l’école entre cet espace local et l’espace national… » (Duru-Bellat et Henriot-van Zanten : sociologie de l’école, Armand Colin).

 

Espaces et territoires :

D’évidence l’école se situe dans des espaces si l’on veut bien prendre en compte qu’un espace est un lieu, surface ou volume, à l’intérieur duquel peut se situer quelque chose.

Cette chose, l’école, à la fois réelle et virtuelle, se situe dans des espaces soit réels comme la commune ou le quartier, soit virtuels comme la réglementation qui la fonde et la gère.

Ainsi situer dans ces (ses) espaces l’école fonde des territoires dans la mesure où, dans une acception sociologique, un territoire serait schématiquement la façon dont les individus investissent l’espace réel (géographique) ou virtuel (institutionnelle).

Le territoire ne préexiste pas aux individus : il s’organise en fonction des pratiques de chacun dans l’espace et, aussi, dans le temps (autre espace).

Le territoire n’est donc pas un état en soi mais une « construction » qui répond à la définition d’un problème, à sa manière de l’aborder et de le résoudre.

 

Par exemple le lycéen qui emprunte deux fois par jour les transports scolaires pour parcourir les 25 km qui le séparent du lycée ne partage pas le même territoire que son frère, collégien, qui enfourche quatre fois par jour sa bicyclette ; pourtant ils se côtoient dans l’espace commun de leur zone de résidence mais ils n’y mettent pas les mêmes valeurs et ne résolvent pas de la même façon le problème de leur déplacement de leur résidence à leur lieu de travail.

 

Le territoire est donc une création sociale par un groupe d’individus, ou un individu, autour d’intérêts communs. C’est la création d’un espace de référence pour savoir ce qu’on y fait, comment on s’y protège et ce qu’on va y faire. En ce sens le territoire est aussi un espace de propriétés c’est-à-dire un ensemble de qualités et de caractères communs à tous les individus du groupe. Cela lui confère une nouvelle dimension, plus symbolique, qui conditionne la manière que chacun a de construire son territoire, donc les choix à faire. Cette construction tient à la fois d’un système de représentation et d’un système d’appartenance.

Le territoire est aussi méta création, c’est-à-dire qu’il est aussi le discours que l’on porte autour de l’espace, réel ou virtuel, issu de la création sociale. En ça le territoire est vivant parce que soumis à la « question », il peut être revisité et modifié.

 

On peut donc considérer que le territoire ne peut pas se construire durablement sans l’assentiment de ses populations et il constitue une réalité provisoire multidimensionnelle : géographique, historique, social, économique et politique, et peut-être onirique. Ce qui rapproche des propos d’André Micoud pour qui le territoire « est le résultat de la construction sociale, politique, et pour finir institutionnelle, par laquelle un pouvoir s’autorise et s’institue pour la résolution d’un problème ».

 

L’école comme territoire :

On voit, au travers de cette définition, comment l’école s’est instituée pour résoudre le « problème » de l’éducation des enfants.

L’école est donc un territoire puisqu’elle est le résultat d’une construction à la fois sociale, politique et institutionnelle. Par-delà ce rapprochement d’avec la définition générale du territoire, on retrouve autour de l’école la notion corollaire d’organisation des pratiques individuelles dans l’espace et le temps, ainsi que la dimension de méta création dans la mesure où l’école suscite du discours citoyen et du discours savant qui l’interrogent et la remettent en question.

 

L’école et les territoires : le chevauchement des territoires

Une des interrogations à propos de l’école se fait en direction de la place qu’elle occuperait dans l’aménagement du territoire et le développement local (terme principalement attribué aux zones rurales) ou au développement social (qui concerne le milieu urbain).

 

Les travaux de Madame Agnès Henriot-van Zanten montrent bien les liens existants entre le tissu social et l’école (voir notamment « sociologie de l’école » pp83-101).

 

Les lois de décentralisation ont permis aux collectivités locales d’élaborer de véritables politiques locales d’éducation répondant ainsi aux désirs des parents et des travailleurs sociaux de tisser des liens forts avec une école à laquelle ils demandent de plus en plus à la fois en matière d’éducation des enfants dans une acception très large de « l’être » et de la « citoyenneté », d’apport de connaissances et enfin de préparation à un avenir professionnel. Nous ne discuterons pas ici du bien-fondé de ses demandes, forts de ce qu’il faut constater qu’il y a là évolution de pratiques sociales : on ne subit plus l’école, on lui demande de « faire » ; cela a quelques exceptions de populations près.

 

Dès lors qu’un individu est en position de demandeur, certains ont dit de consommateur, par rapport à l’école, on entrevoit que le « territoire école » ne possède plus de suprématie par rapport à d’autres. Nous pouvons le mesurer, par exemple, à la lumière du débat sur les rythmes scolaires qui, soulignons-le, font peu de cas des études sur les rythmes de l’enfant. Il y a là immixtion d’un territoire dans un autre : celui des pratiques de loisirs des parents dans celui des pratiques scolaires des enfants.

 

Si on voit bien le voisinage des deux territoires que nous venons d’évoquer, il n’en est pas de même pour d’autres. Or ces voisinages et leurs chevauchements possibles font des territoires autres que l’école des partenaires de l’école au sens où il s’influe sur son fonctionnement. Il est donc important, dans la pratique d’une politique scolaire (et même plus simplement niveau de la gestion administrative), de repérer ces territoires qui interfèrent sur celui de l’école sans lui être obligatoirement concourant.

 

Moins de vouloir, le peut-on d’ailleurs tant les situations sont variées et variables, atteindre l’exhaustivité envisageant quelques territoires susceptibles d’interférer avec le territoire école.

 

Les territoires institutionnels sont ceux où s’exercent la volonté et l’action de l’État, de la région, etc. Là s’inscrivent, par exemple, les actions d’aménagement du territoire comme le Moratoire de maintien des services publics en milieu rural. Immédiatement on voit l’incidence que cela peut avoir sur l’élaboration de la carte scolaire. Moins frappants sont les Schémas Départementaux d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) pourtant il pose des indications marquantes pour le développement des communes vers une urbanisation, une industrialisation, une « ruralisation », tout ceci dit de façon un peu caricaturale pourrait se traiter mieux en termes de logements et de mouvements de populations.

Un autre territoire institutionnel peut influer sur le territoire école, c’est celui des transports. Une desserte ferroviaire cadencée, par exemple, peut favoriser l’évasion de collégiens et de lycéens d’un bourg centre vers une ville, d’un le lycée connoté rural vers un lycée de centre-ville. Inversement l’absence d’une réelle desserte peut amener des parents à utiliser leur voiture pour se rendre à leur travail et par là entraîner, sinon les contraindre, à emmener leur enfant d’âge de l’école élémentaire pour éviter des frais de garde au regard de l’absence de structure…

 

Les territoires locaux, ceux investis par une pratique sinon quotidienne du moins fréquente de la part des habitants, ont une incidence majeure sur le territoire école. Nous en retiendrons essentiellement un qui est celui des parcours professionnels largement corrélés avec celui des transports évoqués plus haut.

Pour des parents qui travaillent dans la ville ou le village, le territoire école doit être présent dans cet espace géographique. Pour ceux qui se déplacent, par exemple, vers le bourg centre il est parfois plus facile d’amener les enfants vers les écoles de ce bourg entraînant ainsi une dépopulation de l’école du village. Notons au passage que la réglementation relative à la sectorisation scolaire, jointe aux prérogatives municipales, risque dans certains cas de favoriser une désaffection du service public au bénéfice de l’enseignement privé.

 

Nous pourrions aussi étudier l’influence des territoires politiques constitués par la personnalité et les ambitions d’élus.

 

À titre de conclusion provisoire :

Ce court écrit ne veut avoir comme ambition que de montrer à quel point l’école possède des rapports avec le « local » et que l’analyse allait du concept de territoire permet de montrer et de circonscrire ses liens à la fois forts et interactifs.

Il convient donc, pour pouvoir administrer le territoire scolaire, d’avoir une bonne connaissance du « local ». Nous proposons à la suite de ce texte une liste de critères qui nous semblent essentiels et principaux pour analyser le local.

 





 

Éléments d’analyse du local

(Liste non exhaustive et non actualisée)

 

Commune :

Canton :

 

Population municipale :

·         Évolution de la population sans doubles comptes sur 10 ans

·         Évolution du nombre de naissances sur 10 ans

·         Évolution du nombre de décès sur 10 ans

·         Solde d’accroissement

·         Excédent naturel

·         Solde migratoire

·         Répartition par tranche d’âge : zéro – 15,16 – 19,20 – 39,40 – 59,

·         Taille des ménages :

·         Actifs ayant un emploi :

·         Actifs travaillant hors commune :

 

Niveau d’équipement :

·         POS : oui/non

·         ZA : oui/non

·         ZI : oui/non

·         Nombre d’établissements bancaires

·         Nombre de supérettes et de supermarchés

·         Nombre de boulangeries

·         Nombre de librairies

·         Nombre de pharmacies

·         Nombre de commerces autres que ceux cités

 

·         Gare SNCF de voyageurs et nombre d’arrêts de trains par jour

·         Lignes d’autocars et nombre d’arrêts de cars par jour

·         Distance jusqu’à une autoroute

 

·         Hôpital : oui – non

·         Nombre de salles de cinéma

·         Centre socioculturel : oui – non

 

Habitat :

·         Nombre de résidences principales :

·         Nombre de résidents secondaires :

·         Caractéristiques principales du logement

·         Taux de construction : nombre de permis de construire pour résidence principale/pour résidence secondaire

·         Type de construction : collectif/individuel/lotissement/diffus.

 


lundi 27 juillet 2020

ECOLE : HISTOIRE ET RESSOURCES HUMAINES



OU L’HISTOIRE POUR JUSTIFIER LA NÉCESSITÉ DE RECOURIR À LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES DANS L’ÉDUCATION NATIONALE.

Texte écrit à la suite d’un débat lors d’une journée d’étude de l’association APPRENDRE, Université Lumière Lyon 2, 1992.

  

« Le système éducatif français s’enfonce et pourtant il demeure un des meilleurs du monde », écrit Alain Minc dans son dernier livre « Français si vous osiez ». Les systèmes éducatifs de notre pays ne seraient‑ils qu’une sorte de tour de Pise, si belle, qui pourtant intéresse plus à ce qu’elle possède de risques de disparaître qu’à son esthétique propre ? Sans doute que non, car les enjeux de l’éducation sont d’une tout autre nature : d’une nature qui naît du besoin de pérennisation que possèdent tout être humain et toute société. Cependant cette analogie, d’apparence si fragile, entre une tour est un système éducatif prend force dans une communauté qui pourrait les unir au sein d’un discours autour de l’absence de projet. Si la tour de Pise menace tant de s’effondrer c’est bien parce qu’il n’existe aucun projet (d’utilisation) pour elle. Un embryon d’analyse historique à propos du système éducatif laisse à craindre que cette analogie ne devienne, si ce n’est déjà le cas, une réalité redoutable. Un euphémisme facile consiste à déclarer qu’il n’y a pas d’éducation possible sans projet. Nous tenterons, partant de cette apparente facilité, de montrer combien la notion de projet a toujours supporté le système éducatif, réalisant par là un lien entre histoire et nécessité moderne de gestion des ressources humaines.

 

Lorsqu’en 1452, le dauphin Louis II (futur Louis XI) crée une université à Valence (en Dauphiné), il a l’espoir d’éviter la fuite des intellectuels vers d’autres provinces. Ce projet, car c’en est un, si l’on considère avec le dictionnaire Robert qu’un projet est « un but que l’on pense atteindre et des moyens que l’on emploiera », ce projet, donc, s’inscrit dans la mouvance politique du Delphinat de Louis XI qui trouvait en Dauphiné un champ d’expérience pour son entrée dans le métier d’administrateur. Voilà que le projet se niche dans le creuset d’une politique centralisatrice, d’évidence puisque monarchique : le pouvoir politique central dispose d’un projet pour une institution éducative, et l’impose.

 

Lorsqu’en 1601 la communauté de Tullins (petite ville de la région grenobloise) appelle le sieur Damour pour remplir les fonctions de précepteur de la jeunesse, un pouvoir local, décentralisé par rapport à celui central, est mû par le projet de permettre aux enfants de la ville d’être enseignés.

 

Toujours dans cette petite ville de Tullins, le 15 mai 1793 « les citoyens chef de famille » adressaient une pétition au conseil général de la commune de laquelle il réclame l’ouverture d’une école. Là encore un projet sous‑tend la demande : que les enfants possèdent un lieu où apprendre. Cette demande émane de ce qu’aujourd’hui nous appellerions les usagers, les parents d’élèves.

 

Ainsi, avec ces trois exemples nous pouvons voir se dessiner un spectre de dispersion des sources de projet sous tendant le système éducatif : un pouvoir central (le monarque), un pouvoir local et enfin un groupe d’usagers. Mais pour tous, ici, si nous voyons bien l’origine du projet, la mise en œuvre demeure inconnue ou pour le moins cachée. C’est ce qui entraîne trop souvent à penser de façon réductionniste qu’il y avait absence de projet, d’autant que les moyens pédagogiques qui devaient permettre d’accéder au but appartenaient à une « idéologie », émanant d’intellectuels bien souvent éloignés, par l’espace et par la pensée, des commanditaires du projet qui ne fonctionnait que dans leur pragmatique. Après la Révolution, et plus encore avec les lois Ferry, on peut penser qu’il y eut un certain rapprochement entre « la pensée sur l’éducation », les commanditaires et les décideurs. Sans doute lorsque les ministres de l’instruction publique, de Guizot à Ferry, mettaient en œuvre un système scolaire, ils donnaient forme et moyens à une pensée collective sur l’éducation comme nous avons pu le montrer dans un mémoire (L’application des lois Jules Ferry à Tullins, université Lumière Lyon2). Il s’agissait bien là d’un projet, et pas d’une simple politique, dans le sens où tous les acteurs du système devaient en être partie prenante : un pouvoir central décideur et « définisseur », un pouvoir local financeur, des utilisateurs (les parents) qui avaient choisi entre l’école publique et l’école privée. Seuls les membres fonctionnels du projet, les enseignants, semblaient absents de toute participation à la phase d’élaboration. À notre avis ceci n’est qu’apparence, s’ils n’avaient pas droit à une parole revendicatrice, mais ils constituaient l’élément facilitateur ou bloquant du système suivant le zèle qu’ils mettaient ou non dans l’exercice de leur mission.

 

Ainsi de Jules Ferry jusqu’aux années 1980, notre système éducatif a vécu dans et pour un projet « unanime » mis en place et contrôlé dans un pouvoir central légitimé par les membres de cette composante unanime. Ce n’est pas pour autant que tout allait bien dans le meilleur des mondes ; notamment le mouvement d’idées des années 1968 remit fortement en cause sinon l’idée fondatrice du système scolaire, du moins la place et le fonctionnement des unités qui le composent : établissements, enseignants et élèves. Pire encore, sans doute parce que plus pragmatiques donc plus oppressantes que les idées, les données économiques bouleversées par les chocs pétroliers entraînèrent, voire obligèrent, à déplacer la notion de projet appliqué aux systèmes éducatifs à la fois sur son axe originel et sur son axe opérationnel. Très schématiquement, la société se déplace du pouvoir central vers le pouvoir local. Là, il est intéressant de lire ce qu’écrit le sociologue Serge Wachter : « La conjoncture est favorable pour que l’intérêt se fixe sur les régions françaises, et, plus extensivement, sur cette diversité bigarrée de vies locales qui semble se doter d’une nouvelle autonomie sous les effets cumulés de la crise économique et de la décentralisation politique et administrative. » En conséquence de quoi il nous semble que l’école ne peut plus faire l’impasse sur l’établissement d’une relation constructive et prospective avec les instances locales. Cela d’autant plus que, comme l’écrit la sociologue Jacqueline Mengin, « Les crédits d’État, moins riche, fuient de plus en plus »… donc « Les élus locaux, régionaux, départementaux se sont trouvés investis de responsabilités nouvelles en matière de développement économique, d’action sociale, de formation alors que le volume des crédits transférés leur paraît tout à fait insuffisant […] Ils cherchent à trouver des critères d’attribution des crédits, objectifs et plus efficaces. En même temps ils poussent à la contractualisation et la concertation entre partenaires locaux. […] Celle‑ci (la décentralisation) suppose que soient définis les objectifs poursuivis, les moyens mis en œuvre pour y parvenir. »

 

Il semble donc inéluctable, et indispensable, de passer d’une notion de projet national à celle de projet d’établissement. Serait‑il concevable que l’école aille à contre‑courant d’une évolution de type sociohistorique ? Demeure que l’élaboration de projets d’établissement pose entre autres problèmes celui de la gestion des ressources humaines. Sans entrer ici dans un débat technique approfondi, tentons une analyse comparative historicienne de cette dimension. Les exemples que nous avons donnés et leur analyse, nous ont permis de voir où se situait l’origine du projet, donc conséquemment son point d’aboutissement et les instances de mise en œuvre. Dans le cas de l’université de Valence, comme dans ceux du 17e siècle et de 1793 concernant la ville de Tullins, c’est le pouvoir local qui avait la maîtrise du recrutement et de la carrière des personnels. On retrouvera ce phénomène pendant une partie du 19e siècle jusqu’à la loi de Gobblet de 1886. Cette loi qui, comme l’écrit Claude Lelièvre « comprend une organisation pédagogique (élaboration de programmes et de diplômes nationaux), une dimension financière (définition des obligations des communes) et une dimension administrative (détermination d’un corps enseignant sous le contrôle d’une hiérarchie d’inspecteurs dépendant de l’administration centrale) », traduit bien l’hyper centralisation du fonctionnement des instances dirigeantes de l’époque. Aucune décision n’était prise à l’échelon local ; il convient de préciser, à titre d’illustration, que l’organisation administrative de la France mettait les communes sous la tutelle absolue et rigide du pouvoir central par l’intermédiaire des préfets. Ainsi, de l’époque de la loi de Gobblet à aujourd’hui le système éducatif a vécu dans le cadre strict d’un triple centralisme : celui de l’élaboration des objectifs, celui de la définition des méthodes pédagogiques et des savoir‑faire, et celui du financement. Le premier de ces centralismes à avoir éclaté est celui du financement : aujourd’hui le « local » devient le financeur principal d’un système qui lui échappe encore totalement quant à la définition des objectifs et quant au personnel qui doit mettre en œuvre ses objectifs. Dans un avenir imminent il sera nécessaire de définir des objectifs locaux dans le cadre d’un programme national. Ce dernier, d’ordre idéologique, étant d’amener, par exemple, 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat, l’objectif local pourrait être d’y inscrire une notion plus pragmatique assise sur les réalités d’un tissu socio‑économique local : il n’est pas vraiment acquis qu’à Oyonnax, ville des matières plastiques, on ouvre des sections de formation en rapport avec les métiers de cette industrie plutôt qu’avec l’agroalimentaire. Dans le même ordre d’idée il semble impensable que les fonctionnaires du système éducatif puissent continuer à ne rendre compte qu’à un pouvoir central de moins en moins responsable de la mise en œuvre et du financement de la politique éducative. Comment peut‑on penser que les enseignants n’aient aucun compte à rendre aux financeurs que sont les municipalités, les conseils généraux et les conseils régionaux, voire le « monde économique » ? Rendre compte à tous les niveaux de pouvoir : centralisé et local, exigera que soient mises en place de nouvelles procédures de fonctionnement. C’est dans ce cadre que s’inscrit le projet d’établissement qui permet, entre autres, d’établir un contrat avec l’organisme financeur et de mesurer l’emploi des fonds publics. Ceci nous semble, suivant une analyse politico historique, essentiel dans la mesure où plus la décision politique est proche, en termes d’espace, de l’électeur, plus elle a à rendre compte au citoyen. On ne demandera guère de compte à un ministre, on en exige beaucoup plus d’un maire…

 

Dès lors que s’installe un projet d’établissement il faudrait que soit repensée la gestion des ressources humaines de cet établissement. À titre d’illustration si, comme le préconise Françoise Cros, un projet doit s’installer sur la durée du cursus de l’élève plus un an, serait‑il raisonnable que les auteurs acteurs de ce projet quittent, du fait de l’administration, le navire en cours de route ? À cet exemple nous pouvons ajouter l’idée que nous avions évoquée plus haut, suivant laquelle il va devenir insupportable pour l’élément financeur de n’avoir aucune possibilité de contrôle des personnels mis à sa disposition ; ce qui ne veut pas dire qu’il faille obligatoirement ou totalement décentraliser le recrutement des enseignants. Il y a là un miroir aux alouettes contre lequel Alain Minc nous met en garde : « Dans un système éducatif décentralisé, le statut national des personnels aura sombré corps et biens. Mais passer de la fonction publique nationale à la fonction publique territoriale ne suffit pas à faire sauter tous les verrous face aux impératifs d’une bonne gestion, puisque la seconde est, à maints égards, une copie conforme de la première ». On peut penser que le quasi idéal se trouvera dans le maintien par l’État d’un cadre commun, laissant aux financeurs locaux, en accord avec le projet d’établissement, le soin de l’octroi de primes correspondant non plus à une position statutaire mais la réalité d’un service rendu comme le dit Alain Minc : « De même s’instaurera progressivement, par le biais de mesures ponctuelles, une différenciation des rémunérations en fonction de la qualité du service rendu. »

 

Un regard sur l’histoire montre à la fois l’exigence qu’un projet existe pour qu’un système éducatif fonctionne, et que ce projet se différencie de ce qu’il serait convenu d’appeler une simple politique. Un projet est à la fois une définition de buts et de moyens pour y parvenir. Dans cette acception on mesure la nécessité qu’il y a à ce que l’auteur du projet, pour n’en être pas obligatoirement le financeur, implique fortement dans sa conception le financeur dans un cadre contractuel. Dès lors, les personnels, chevilles ouvrières du projet, ne peuvent pas échapper au contrôle des concepteurs du projet. S’ils sont eux aussi partie prenante de la conception du projet, étant alors à la fois concepteurs et exécuteurs, auteur et acteur, vraisemblablement dans un cadre statutaire national, de projets locaux, les enseignants doivent être « gérés » à l’aune d’une nouvelle gestion des ressources humaines.

 

 


Guide Complet sur le Harcèlement en Ligne Destiné aux Parents

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