Conférence que j'ai donné à
l’institut de l’Oratoire, à Caluire le 9 novembre 2005
Ce très court texte est un résumé du propos tenu devant
les stagiaires CAPASH. Son objectif est de fixer les points essentiels que j’ai
pu développer. C’est dire qu’ici je ne ferai qu’évoquer certaines notions et m’étendant
plus sur le partenariat. Dans sa globalité ce texte ne prétend pas à
l’exhaustivité et il ne représente ni un cours ni un document de recherche.
J’ai relevé trois notions clé dans le sujet qu’il m’avait
été demandé de traiter : le partenariat, mais aussi l’identité et
l’évolution. Je ne ferai que survoler l’identité et l’évolution, pour fixer des
repères ou des balises pour le propos que je développerai au sujet du
partenariat.
A) l’identité :
La notion m’apparaît essentielle à discuter lorsqu’on veut
parler de partenariat, car l’identité est ce qui nous constitue et nous représente
en tant que professionnel. A travers l’identité je dis qui je suis et qui sont
les autres. Parce que les deux autres notions dont nous traiterons renvoient au
changement et à la résistance au changement, elles interpellent et menacent
l’identité.
L’image identitaire que nous donnons à voir, constitue une
sorte d’imago au sens élaboré par C. Jung. C'est-à-dire un modèle inconscient
de personnage élaboré au cours de la première et à travers lequel le sujet
perçoit autrui. L’imago agit comme un prisme déformant à travers lequel nous
appréhendons autrui et donc empreint nos relations au monde. Or la construction
de l’identité professionnelle se fait suivant des schémas analogues à celle de
l’identité individuelle. Notamment, comme l’une s’installe dans les relations
de l’enfant avec sa parentèle, l’autre est le résultat des interrelations
établies durant la formation puis dans le temps de l’entrée dans le métier, en
particulier avec les formateurs puis les collègues de travail. On se forge
alors une représentation du métier et de soi en tant que professionnel, mais
aussi, à travers ce filtre identitaire, nous avons une représentation des
autres métiers et des autres professionnels.
J’ai, pendant quelques années, participé à la formation de
trois groupes professionnels dont les membres, pour le moins qu’on puisse dire,
ont une représentation peu valorisante pour l’institution scolaire : les
éducateurs spécialisés, les animateurs socio-culturel et les auxiliaires de vie
scolaire. L’identité professionnelle qu’ils se constituaient à partir de leur
vécu scolaire, de leur formation et des premiers contacts avec leurs collègues
en fonction, les amenait à avoir un discours assez péjoratif sur l’institution
scolaire et ses membres, et à adopter des postures professionnelles peu facilitatrices
de partenariat.
Ceci n’est qu’un bref exemple qui mériterait d’être
analysé plus en profondeur. De la même façon, je ne saurais trop vous inviter à
lire quelques ouvrages sur la construction de l’identité professionnelle que
nos professions ont trop tendance à reléguer au rayon des accessoires
décoratifs parce que trop liée au monde de l’entreprise. Si vous ne deviez lire
qu’un ouvrage, choisissez de C. Halpern et JC. Ruano-Borbalan, « identité
(s) », aux éditions Sciences Humaines. Ce livre est un recueil d’articles
parus dans la revue qui permet une excellente, et facile, approche de la notion
d’identités vue sous toutes ses facettes.
B) L’évolution :
D’évidence cette notion sera limitée par les domaines
auxquels elle s’adresse. Ici, ceux que je retiens sont l’enfance et l’école.
De l’évolution de l’enfance je ne citerai que quelques
bribes pour donner à penser la relation entre l’enfant « sujet »,
l’enfant « objet » et nos professions. Jadis l’enfant était la
« propriété » de la famille. Ce pouvait être les deux parents, la
parentèle élargie voire le groupe ou la communauté. Je ne distinguerai pas le
précepteur tant sa proximité avec la famille était grande même lorsqu’il ne
vivait pas en son sein.
Puis vint, rapidement dit, le 19ème siècle avec
tout d’abord ce que des historiens appellent la médicalisation de l’enfance. L’enfant
devint sujet d’une intention particulière autant chez les médecins hygiénistes
que pour une nouvelle catégorie « scientifique » : les
éducateurs. Bien sûr l’éducation a de tous temps intéressés les philosophes,
des Grecs jusqu’à Rousseau ; mais au 19ème siècle d’autres
s’intéressent à l’éducation des enfants. Ce sont notamment des médecins et
parmi eux les aliénistes (psychiatres). Ce mouvement s’inscrit dans une double évolution scientifique :
celle de la médecine, et celle de la psychologie et de la psychiatrie. Dès
lors, l’enfant n’est plus la propriété exclusive de la famille qui doit
partager son éducation avec la société. Ainsi, certains comme Michèle Perrot ou
Francine Muel ont pu parler de la naissance de « l’éducateur » en
tant que cela se caractérise par une position sociale et deviendra plus tard
une profession. Là, des professionnels ont à dire sur la façon dont les enfants
doivent être éduqués, considérant que bien souvent les familles sont
insuffisantes à le faire, notamment les plus pauvres d’entre elles.
Dans le même temps apparaît l’école telle que nous la
connaissons aujourd’hui. Je rappellerai ici que ce fut la Révolution qui porta
la naissance de l’école dans ses discours (Condorcet, Talleyrand et d’autres),
que ces discours virent le commencement d’une mise en œuvre avec François
Guizot et la loi de 1833. Jules Ferry dont l’œuvre scolaire fut considérable ne
fit que terminer l’œuvre de Guizot ; je vous renverrai à mes propres
travaux « l’application des lois Jules Ferry à Tullins-Fures » et
« les écoles à Tullins-Fures entre 1789 et 1851 ». A travers l’étude
de cette longue période, pratiquement un siècle, on voit naître la forme
scolaire, terme cher à mon maître le sociologue lyonnais Guy Vincent, grâce à
laquelle on montre que l’école quelles que soient les structures qui la
composent, se présente sous une « forme » qui traverse les temps.
Schématiquement, parler de forme scolaire c’est chercher ce qui fait l’unité de
l’école, les raisons de son apparition et de son évolution en fonction de
formations sociales à une époque donnée et en même temps que d’autres
transformations. Grâce à cet outil sociologique nous voyons comment nous
pouvons comprendre les évolutions de l’école. Si, depuis sa création elle a
vocation à s’occuper des enfants pour une part de leur éducation, les raisons
pour lesquelles elle fait et les méthodes qu’elle met en place ne sont pas les
mêmes aujourd’hui qu’au 19ème siècle. On peut donc expliquer le
changement et parler d’évolution. Pour faire simple quasi caricatural, l’école
serait un cadre immuable depuis le début dont seule la toile aurait changé.
Ainsi, l’école du 19ème siècle a été voulue
pour deux raisons essentielles : éduquer le peuple à être bon citoyen et
ouvrier efficace, soustraire les enfants pauvres à une éducation familiale
jugée dangereuse pour la salubrité publique. Des raisons éloignées de la pensée
des philosophes des lumières mais plus proches de celle des révolutionnaires de
1789. A partir du milieu du 19ème siècle s’ajoutera l’idée de
soustraire l’enfant à l’usine et à l’influence de l’Eglise. Nous passons d’une
école protectrice à une école libératrice, renouant ainsi avec les Lumières. Je
pense que nous trouverions des cycles analogues, avec d’autres structures, au
cours du 20ème siècle.
A travers ces très brèves analyses socio-historiques nous
voyons comment nos métiers sont, mais comme d’autres, soumis à vivre des
évolutions qui lui sont propres, et à s’adapter à d’autres qui lui sont
extérieures. Parmi ces évolutions, que nous vivons à travers le prisme de notre
identité professionnelle, il en est une qui est primordiale : celle des
partenariats qui commencent par la relation que nous entretenons avec les familles.
Mais d’aucuns nous dirons qu’il ne s’agit pas là d’un partenariat. Voyons alors
ce qu’est un partenariat.
C) Le
partenariat :
Ce mot apparaît dans les dictionnaires à la fin de la
décennie 1980, ce qui est proche de nous mais tard par rapport au mot
« partenaire » apparu en 1767. Certains font venir le mot de l’ancien
français où parçonnier signifiait associer dans un jeu, et où parçon désignait
le partage ou le butin, voire les deux à la fois. Pour d’autres l’origine est
dans le latin partiri qui voulait dire diviser en parties ou qui désignait
l’associé avec lequel on joue. En 1987, le Petit Larousse parle de partenariat
pour désigner l’association d’entreprises ou d’institutions pour mener une
action commune.
Pour moi, le partenariat est une organisation collective
d’énonciation et de conduite d’un projet. Ce qui rejoint ce qu’en dit Danielle
Zay lorsqu’elle écrit : « le minimum de définition du partenariat
comprend l’engagement dans une action commune négociée ».
Une fois d’accord sur les définitions, de quoi se compose
un partenariat ? D’abord il est le constat de problèmes communs. Vous
comprendrez alors que si une famille ne ressent pas qu’il y ait problème ou
difficulté, il sera difficile de mettre en œuvre un partenariat. D’autant qu’en
plus il faut être d’accord sur le diagnostic et qu’il y ait intérêt à agir.
Ce partenariat est une réponse, très souvent, à une
situation qui existe depuis longtemps mais qui, à un moment, accède à la
publicité et qui oblige à chercher des issues hors des habitudes. Ensuite, le
partenariat c’est un territoire polymorphe où se répartissent des zones
d’intervention et d’influence en dehors de hiérarchie et de statut. Enfin,
lorsqu’on parle de partenariat il ne faut pas oublié qu’il concerne des acteurs
qui sont des personnes avant d’être des institutions. Ces acteurs sont, chacun
à leur place, l’individu qui détient une parcelle utile d’information et de
savoir faire au sein de l’organisation (pas seulement institution) dans
laquelle il œuvre. Ces acteurs dégagent un espace de manœuvre, des modalités de
régulation et des procédures d’évaluation.
Visitons l’évolution de la profession d’enseignant au
regard de ces brèves définitions. L’enseignement professionnel et
l’enseignement technique ont vécu, dès le 19ème siècle, une
obligation de partenariat avec les milieux professionnel notamment en raison de
la mise en place de la formation par alternance. Concernant l’enseignement
général il faut attendre, au-delà de 1981, l’instauration des ZEP et la mise en
place de la politique de la ville pour
qu’on parle de partenariat et on verra apparaître dans plusieurs textes
réglementaire ces mots : « les partenaires habituels de
l’école ». Dès lors on parlera de projet, d’innovation, d’équipe
pédagogique et, dans la loi d’orientation pour l’école de 1989, de communauté
éducative. Voilà autant de termes qui ouvrent vers l’autre et vers la mise en
place de collaborations. Pour autant il serait erroné de dire qu’avant 1981 le
partenariat, la collaboration ou l’aide n’existaient pas entre l’école et son
environnement. Mais à partir de cette époque, l’apparition du mot partenariat
dans plusieurs textes réglementaires traduit un changement de conception des
relations de l’école avec ceux avec lesquels elle travaillait déjà. Désormais
ceux-là vont avoir un rôle fort et reconnu à jouer dans l’accomplissement des
missions du service public d’éducation. Il ne s’agit plus pour eux d’avoir une
aide ponctuelle, de rendre un service, mais on reconnaît leur capacité à
participer au service public d’éducation et de formation, y compris sur le plan
pédagogique. Désormais l’espace pédagogique, duquel les enseignants tiraient
leur légitimité, est un espace partagé.
Le système scolaire n’échappe pas à l’évolution du
contexte politique, social, culturel et idéologique au cours de laquelle il est
possible de repérer trois périodes fortes qui, en France, expliquent
l’émergence du partenariat.
Entre 1960 et 1970 la France passe d’une société
conflictuelle à une société de consensus.
Société
conflictuelle avec des oppositions marquées
|
Société
de consensus avec
|
Acteurs
sociaux / Etat
|
Les
mouvements autogestionnaires
|
Hommes
/ femmes
|
Le
féminisme
|
Jeunes
/ vieux
|
La
révolte étudiante de 1968
|
Etc
…
|
Etc…
|
C’est une période qui a vu le déclin du marxisme,
l’apparition de l’idée de participation des salariés aux gains de l’entreprise,
l’éclatement du féminisme, la propagation du modèle économique libéral
allemand, mais aussi le début du déclin économique marquant la fin des Trente
Glorieuses. Elle a aussi été marquée par un recrutement massif d’enseignants,
recrutés en masse dans les classes moyennes de la société, qui sont plus
proches de la mentalité des cadres de l’industrie et du commerce que ne
l’étaient leurs prédécesseurs.
Cette évolution, d’une société conflictuelle à une société
du consensus, a été analysée suivant deux paradigmes possibles. Soit il s’agit
d’une mystification qui aurait camouflé les rapports sociaux de domination qui
pourtant restent bien réels, soit il s’agit d’une démocratisation donnant plus
de place et d’initiative aux travailleurs et aux acteurs de la société civile.
Entre 1970 et 1980 c’est la période du
« retour de l’acteur » et de l’émergence du « local » où
l’on donne une importance croissante aux acteurs locaux dans les procédures et
le processus d’élaboration de projets de développement de leur zone
d’habitation. C’est la période du développement local, de la participation des
citoyens à la vie et à la politique de la cité et de la décentralisation de
l’action politique et administrative. A l’issue de cette décennie apparaîtront
les lois de décentralisation avec la création des EPLE et des ZEP, tous deux
étant marqués de l’estampille de l’autonomie décisionnelle. Ce mouvement du
lieu de prise de décision ou de gestion, ou les deux à la fois, peut être vu
soit comme un désengagement de l’Etat, soit comme la prise en mains du
traitement des réalités locales par ceux qui les vivent.
Enfin la période 1970 à 1990, recouvrant la
précédente, positionne la formation comme réponse à la mutation de la
production et outil pour la construction de l’identité professionnelle, et
comme remède face aux effets du chômage. L’acte pédagogique va désormais
s’articuler fortement avec l’intention éducatrice et formative ; il ne
s’agit plus seulement d’apporter des connaissances livresques, il faut aussi
apporter des savoir-faire. Dans ce contexte le pilotage du système et surtout
de ces unités de proximité ne peut plus se faire par l’offre et les programme
de formation, il doit faire appel à la prise en compte de la demande sociale.
La formation acquiert une nouvelle finalité : remédier aux dommages
engendrés par le chômage. La formation s’adresse alors à de nouveaux publics,
la plupart du temps adultes, comme remède à leur situation. Ces publics sont
les titulaires du Revenu Minimum d’Insertion, les jeunes sans qualification,
les populations illettrées … A travers ce tableau brossé à grands traits on
peut voir comment il a été enjoint à l’école de travailler avec d’autres dans
le cadre d’une organisation collective d’énonciation et de conduite d’un projet
pour répondre à un problème.
Le secteur de l’adaptation et de l’intégration scolaires
n’a pas échappé à ce mouvement social. D’abord lieu d’exclusion avec les
classes spéciales, les établissements spécialisés et les enseignants
spécialisés, à partir de 1975 il est enjoint à ce secteur de mettre en place
« l’intégration scolaire ». Avant tout y eut la reconnaissance de
l’éducabilité des « déficients » qui ont été confiés à des
institutions relevant du secteur de la santé publique. De la même façon les
élèves en très grande difficulté étaient confiés à des classes spéciales,
créant ainsi une exclusion ou pour le moins une mise à l’écart par rapport aux
enfants considéré comme « normaux ». Ainsi, pendant très longtemps « la
seule réponse apportée au problème posé par les enfants et les adolescents en
grave difficulté à l’école a été leur placement dans des structures
spécialisées –classes ou établissements- dont la fonction était de répondre à leurs
besoins spécifiques, mais qui présentaient en même temps les inconvénients à
toute structure ségrégative. »
Le partenariat entre les structures de l’éducation
nationale est le résultat, pour l’instant inachevé, d’un long parcours, cela
autant pour l’enseignement ordinaire que pour celui spécialisé. Nous n’avons
pas le temps, ici, de disséquer la structure anthropologique de l’école mais
rappelons au moins qu’elle s’est construite suivant deux axes majeurs. Le plus
ancien se dessine autour du fait que la famille ou le groupe délègue à un tiers
tout ou partie de l’éducation des enfants. Le second, apparu essentiellement au
moment de la Révolution, est celui suivant lequel la Nation prend en charge une
partie de l’éducation des enfants, notamment leur éducation citoyenne.
Souvenons-nous des luttes au moment de la présentation des lois par Jules Ferry
qui ont abouti au fait qu’on parle d’instruction plutôt que d’éducation et
qu’il soit permis d’instruire son enfant chez soi. C’est autour de la mise en dialectique de ces
deux mots, éducation et instruction, que doit se discuter la notion de
partenariat avant même que d’en analyser les caractères, l’organisation et le
fonctionnement.
Dans un premier temps, après la Révolution, l’instruction
publique relevait d’une direction du ministère de l’intérieur ; ce n’est
qu’en 1928 qu’advint un ministère de plein exercice. Si nous en avions le temps
nous pourrions discuter autour de l’évolution de la dénomination de ce
ministère qui tantôt incluait, en plus de l’instruction, les cultes ou les
beaux arts ou encore les deux. Là nous verrions combien ces options sont
intimement liées aux options philosophico-politiques du temps. Ainsi, rien de
surprenant à ce que ce fut Edouard Herriot, président du conseil, qui proposa
que le ministère s’appelât, en 1932, Ministère de l’Education nationale. Cette
appellation demeure avec une courte interruption sous le gouvernement de Valéry
Giscard d’Estaing où il perdit le « nationale ». Schématiquement,
concernant notre sujet, si la Nation ne prend en charge que l’instruction,
aussi longtemps que l’on considère que les enfants handicapés n’ont pas accès à la
même vie sociale que les autres, alors elle n’a pas à les accueillir dans ses
écoles.
Si je retrace très succinctement l’histoire de
l’enseignement spécialisé nous allons retrouver trace de ce qui fonde mon
hypothèse. Dans un premier temps, les enfants « déficients »
n’étaient accueillis que dans les hospices, écartés de la société. Un certain
courant d’éducateurs et d’aliénistes du 19ème siècle a mis en
évidence d’une part le principe d’éducabilité et, d’autre part, les
possibilités de ces enfants d’accéder à l’éducation. On aurait pu s’attendre à
ce que l’école lorsqu’elle se généralisa à partir de 1882 s’ouvrit à ces enfants,
mais il s’agissait pour elle d’instruire et pas d’éduquer. La question qui
pouvait alors se poser, était de savoir, pour éducables qu’ils étaient, si ces enfants « déficients
pouvaient « être perméables » à l’instruction. Il semble que non, et
les travaux de Alfred Binet et de Théodore Simon ont été utilisés pour
distinguer au sens de l’école les enfants qui pouvaient tirer bénéfice de
l’instruction, et ceux pour lesquels il fallait des structures spéciales pour
espérer les conduire sur le chemin de cette instruction. Dès lors il y eut les
élèves normaux et ceux dits « anormaux d’école ».
Le paysage se dessine ainsi : l’Ecole de la Nation
pour les enfants « normaux », au sein de cette Ecole des classes et
des écoles spéciales pour les « anormaux d’école », pour les enfants
et adolescents « déficients », handicapés, le système de santé
publique créa des institutions spécialisées avec un personnel particulier y
compris pour l’enseignement. Il est remarquable de constater qu’il n’existait
aucun lien entre les deux systèmes.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, dans la mouvance
du courant de pensée des Compagnons de l’Université Nouvelle, on souhaite que
l’école soit « unique » et qu’elle s’ouvre à tous sans exception. Là,
on voit les classes spéciales se multiplier en nombre, on crée le corps des
psychologues scolaires pour accompagner les enseignants et les élèves. Pour
autant les élèves handicapés sont très majoritairement pris en charge par des
établissements, publics ou associatifs, relevant du ministère de la santé. En
1960 s’ouvrent des centres régionaux de formation d’instituteurs spécialisés.
En 1961 le ministère crée le corps des inspecteurs du premier degré chargés de
‘enseignement spécial. 1963 voit l’instauration de l’ancêtre du CAPASH, le CAEI
avec 7 options, et en 1965 les premières Sections d’Education Spéciale ouvrent
dans les collèges. Voilà une longue litanie dont le but est de montrer que
l’Education nationale, loin de chercher à collaborer avec d’autres, notamment
le secteur de la santé, a pris l’option de bâtir ses propres structures, ses
propres outils et de former des personnels spécifiques.
Au milieu des années 1960 avec un apogée dans les années
1970, le regard sur la déficience change et la société s’ouvre, bien que
timidement, à l’accueil des personnes handicapées. Dans cette même période on
remarque en médecine le retour au regard global sur l’unité de l’homme ;
sans renier les spécialités médicales, on demande au médecin de considérer que
l’homme est un tout physique et psychique. Pareillement, en matière de gestion
de la société et des entreprises apparaissent des notions telles le
« retour de l’acteur », « le développement par projet »,
« la participation des acteurs » … Ces notions et ces concepts portent
en eux le partenariat ; ce qui pourrait se résumer par « on ne peut
rien ou on ne peut qu’imparfaitement sans les autres ». Dès lors
l’interdisciplinarité est à la mode.
Concernant les exclus, sociaux ou handicapés, on met en
place des équipes pluridisciplinaires avec des psychiatres, des assistants
sociaux, des éducateurs … mais l’Ecole reste en dehors de ces structures. La
loi d’orientation en faveur des personnes handicapées de 1975 tentera de briser
cette dichotomie ou de combler ce fossé -comme on voudra- mais elle envisage moins
des partenariats que le renforcement de ses propres structures pour accueillir
les enfants handicapés dans la mouvance de « l’intégration ».
D’ailleurs on a pu constater dans la composition de nombreuses CDES une
représentation des directeurs d’établissement spécialisé qui privilégiait les
directeurs mis à disposition par l’Education nationale. La co-signature, en
1982 et 1983, des circulaires d’application de la loi de 1975 par les ministres
de la santé et de l’éducation nationale peut être regardé comme le témoignage
des difficultés rencontrées pour mettre en place les partenariats suggérés
-plus que voulus- par la loi.
Chemin faisant, plus sous l’effet d’une
« ambiance » européenne qu’en rapport avec une volonté des
professionnels français de l’éducation spécialisée et de l’éducation nationale,
en raison d’une pression des associations de personnes handicapées, des
familles d’enfants handicapées et de quelques rares militants, la Nation
souhaite que son Ecole soit une Ecole « inclusive ». Il
faut passer d’une école où se sont les « normaux » qui fixent les
règles d’entrée pour les « déficients » à une école qui d’emblée et
sans réserve inclus dans son organisation et sa démarche la notion d’élèves à
besoins spécifiques. Car, que constatait-on ?
D’abord qu’on exagérait les difficultés de l’enfant au
moment de l’instruction du dossier. Ensuite qu’on mettait rarement en place des
stratégies éducatives adéquates principalement parce qu’on « servait du
prêt à porter éducatif » plutôt que de mettre en place une pédagogie
différenciée élaborée à partir d’une analyse des potentialités de l’enfant.
C’est deux éléments étaient fondamentalement la conséquence d’un cloisonnement
excessif des acteurs intervenant autour de l’enfant. Cet état de fait transformait
les démarches des parents pour que leur enfant handicapé soit scolarisé, en
véritable parcours du combattant. La multiplication des structures d’accueil,
CLIS et UPI, n’a en rien changé la situation voire elle l’a aggravée. Et on
s’aperçoit que l’évolution du diplôme professionnel (CAEI, CAAPSAIS et CAPASH, en 2020 CAPPEI) et
celle des référentiels de compétences ne suffisent pas à améliorer l’accueil de
tous les enfants handicapés et à rendre l’Ecole inclusive.
La connaissance des textes réglementaires et des concepts
pédagogiques est très insuffisante. Pour que ça marche il faut, par rapport aux
textes réglementaires, être capable d’adopter une posture éthique. En ce qui
concerne la pédagogie, le professionnel doit savoir mettre en musique une
stratégie éducative, des méthodes et des techniques d’éducation et avoir
recours à l’interdisciplinarité. Il est bon de savoir qu’elles sont les
conséquences de tel ou tel syndrome, par exemple le facteur fatigabilité
musculaire des dystrophies musculaires. Mais et d’évidence personne ne peut
prétendre omniscient. C’est là que le concept de projet prend toute sa valeur
et sa place. Plus d’ailleurs que d’un projet il faut s’attacher à mettre en
place une démarche de projet. Le projet si on prenait le terme dans une
acception englobante ou globalisante ne peut que concerner l’enfant : que
veut-on pour lui (et peut être que veut-il pour lui-même) au sens où JP Sartre
écrivait que lorsque les parents ont un projet l’enfant a un avenir. Ce projet
pour l’enfant interpelle les professionnels en tant qu’ils sont
professionnellement différents. C’est-à-dire qu’à mon sens, et c’est ce que je
lis dans la loi, le projet pour l’enfant ne peut être que la coordination de
projets « disciplinaires » et donc professionnels différents :
projet éducatif, projet pédagogique, projet d’intégration (social), projet
personnalisé d’aide … La démarche de projet permet de coordonner des projets
pour un objectif global, d’impliquer des professionnels différents donc
d’ouvrir au partenariat.
Dans l’histoire qui nous occupe nous sommes à un tournant
des pratiques professionnelles à l’intérieur de l’Ecole dans la mesure où le
référentiel de compétences du CAAPSAIS prévoyait dans le tronc commun :
-
1-1 : exercice du métier : connaître
les différents types de structures,
-
1-3.2 : échange et communication avec
d’autres professionnels,
-
1-3.3 : travail en équipe…
En outre, l’arrivé des Auxiliaires de Vie Scolaire dont la
gestion relevait du monde associatif, oblige à une forme certaine de
partenariat. Je ne suis pas sûr que le transfert de leur gestion à l’Education
nationale soit un gage d’amélioration du système. Quoiqu’il en soit cette
cohabitation nécessite une connaissance et une reconnaissance réciproques. Mais
ne faudrait-il pas aller au-delà d’une étude de texte et organiser des moments
de formation en commun ? Car le but de cette connaissance de l’autre qui
passe par la connaissance des statuts, des savoir-faire et de territoires de
compétence, permets d’éviter les peurs et les postures de crispation. Connaître
l’autre permet de mieux se situer « territorialement »et de s’engager
sans crainte d’être « dévoré ».
La loi du 11 février 2005 organise le projet de vie global
de la personne handicapée et gère le partenariat subséquent. Dans cette loi je
retiens les points suivants que je cite sans qu’il soit besoin, me semble-t-il,
de les commenter ; ils parlent d’eux-mêmes :
-
Une commission des droits et de l’autonomie des
personnes handicapées,
-
Une équipe pluridisciplinaire,
-
Un projet de vie autonome,
-
L’abandon du terme « éducation
spéciale » au profit d’une scolarité sous la responsabilité de l’Education
nationale,
-
Une scolarité au plus près du domicile,
-
Un projet et un parcours de formation,
-
Une équipe de suivi scolaire.
Désormais la scolarité de l’enfant handicapé est un droit
qui ne pourra rentrer dans les faits qu’à la condition de la mise en place et
surtout de la pratique de partenariats actifs. En cela nous nous inscrirons
complètement dans l’évolution des réflexions conduites par les instances de la
communauté européenne. Par exemple, le conseil de l’Europe et les ministres de
l’éducation prirent, en 1990, la résolution suivante : « … afin de
promouvoir l’intégration des enfants et des jeunes affectés d’u handicap… Il
convient d’encourager la coopération entre toutes les institutions
concernées … qu’elles représentent l’enseignement scolaire, la préparation à la
vie actives, les activités de loisirs, la santé (y compris l’assistance
psychologique et paramédicale) et les services sociaux. ». De la même
façon la Charte de Luxembourg sur l’intégration des enfants et adolescents
handicapés de 1996 indique que « la coopération entre toutes les
personnes qui pourvoient aux besoins de la personne ayant des besoins
spécifiques, respectera le rôle de la personne, des parents, des enseignants et
des autres professionnels. ».
J’oserai à titre de conclusion une métaphore
triviale : le partenariat est comme une meute de chiens de chasse où il ne
s’agit pas d’organiser les territoires respectifs, mais où il faut organiser le
partage de la « gamelle de soupe ». Cela pour illustrer que bien
sûr le partenariat peut se discuter, s’analyser et c’est le rôle par exemple
des sociologues, que bien sûr aussi on peut passer beaucoup de temps à
réfléchir à la façon dont on doit l’organiser, mais qu’en définitif il n’y a de
partenariat que dans l’action.
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