dimanche 14 juin 2020

Enseigner la laïcité : pistes de réflexion pour l’EMC.



#veille #Gallica Adoption de la loi
de séparation de l'Eglise et de l'Etat vue par la presse http://buff.ly/1TER39X 


 

La laïcité s’enseigne-t-elle et s’apprend-elle ? Ce sont deux questions fondamentales pour notre fonction enseignante qui renvoie au « faire » : que faire, quand le faire, comment le faire : questions d’autant plus essentielles que l’institution souhaite que soit mis en place un enseignement moral et civique. La mise en œuvre d’un tel enseignement qui n’est pas issu d’un corpus scientifique bordé, oblige chacun d’entre nous à se questionner sur son essence ; il ne peut pas n’être que la conséquence d’un accident pédagogique ou trop simplement une réponse docile à une injonction institutionnelle.

 Nous pourrions débuter cette réflexion en questionnant les termes eux-mêmes. En tout premier lieu nous devrions nous interroger à propos de « est-ce que l’enseignement moral et civique est identique à enseigner la morale et l’instruction civique qui, elles, sont construites sur des corpus scientifiques aux frontières et aux démarches, fondamentales et didactiques, claires ». Mais, ici, je prendrai une entrée plus restreinte, loin de la philosophie, qui consistera à nous limiter à examiner un mot : laïcité, à travers une synthèse d’ouvrage : « la laïcité au quotidien » de Régis Debray et Didier Leschi[1].

 La laïcité est un de ces mots vertueux comme les définissait Michel Cattla, de mots utilisés « à toutes les sauces » qui, de ce fait, perdent de leur saveur ; le sens et l’essence s’estompent voire deviennent contradictoires. Il m’apparaît cependant que concernant la laïcité, le sens n’a pas trop disparu, qu’en tous les cas il y a moins de sens différents qu’il n’y a de conduites dissemblables et disparates. Aussi, l’exergue à ce livre, attribuée à Un Républicain, est-elle intéressante comme entrée en matière : « Messieurs, vous êtes d’accord avec le mot. Êtes-vous d’accord avec la chose ? »

 Ces phrases définissent bien le livre et en circonscrivent l’objectif : ni histoire, ni philosophie, ni même sociologie de la laïcité, l’ouvrage veut être un outil pratique comme l’écrivent clairement les auteurs en reprenant un extrait de la lettre que Jules Ferry adressa aux instituteurs : « peu de formules, peu d’abstractions, beaucoup d’exemples, et surtout d’exemples pris sur le vif de la réalité. »

 Mis à part les six pages d’introduction qui posent quelques principes pour éclairer le discours qui va suivre, l’ouvrage se divise en 38 cas pratiques et concrets parmi lesquels, relevés aléatoirement : aumônerie, calendrier civil, cantine scolaire, édifices cultuels, foulard, injure et blasphème, liberté de l’art, politique et foi… après avoir rappelé que laïcité « n’est pas un mantra, un point d’honneur ni un prêchi-prêcha ; c’est avant tout une construction juridique fondée sur une exigence de la raison : l’égalité en droit de tous les êtres humains. », et que la laïcité « est un principe consubstantiel à la République, qui ne se réduit pas seulement au rapport de l’État et de l’Église. »

 Dans le cadre d’un séminaire que je pilotais à l’ESENESR[2] pour le réseau des écoles de services public[3] intitulé, dans un premier temps, prévention du phénomène sectaire puis transformé en éthique et déontologie du fonctionnaire dans un État laïque et républicain, nous avions mis en évidence que les cadres des fonctions publiques qui assistaient à ce séminaire, s’ils étaient intéressés par tous les aspects de la laïcité, étaient surtout préoccupés par l’application dans leur quotidien professionnel du principe (juridique) de laïcité. Par exemple, comment doit réagir un cadre de santé lorsqu’il est confronté à une patiente qui refuse de se faire examiner par un médecin « homme », comment se positionner si le refus est le fait non de la patiente mais d’un tiers ? La situation en droit est la seule chose qui concerne le fonctionnaire dans l’exercice de sa mission. Voilà un des cas traités dans ce livre qui au-delà du dit, du juridique, amène le lecteur à réfléchir les situations à l’aune du principe supérieur inscrit dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : le droit au respect de la dignité de chacun, et le droit à la liberté de pratiquer la religion de son choix ; ce que la Cour Européenne des Droits de l’Homme a repris dans une jurisprudence : « le droit à la jouissance paisible de la liberté de religion ». « Jouissance paisible » doit interroger chacun et doit entraîner à lire le droit à la lumière de ce qui dans chaque pays a été une métamorphose d’un culte (ou partie d’un culte) en culture, comme la crèche de Noël.

 Ainsi, la volonté des auteurs est exprimée autour de 4 questions : « Quoi ? Où ? Quand ? Comment ? Répondre à ces questions ponctuelles nous aidera, qui que nous soyons, élus, maires, religieux, responsables administratifs ou associatifs, simples citoyens, à mieux exercer une forme de cohabitation civilisée qui, si elle n’a pas de véritable répondant en Europe ni dans le monde, a une portée qui dépasse, et de loin, notre Hexagone. »

 Mais, préalablement au « que faire », en puisant dans les situations présentées dans ce livre, ne devons-nous pas nous installer dans un « qu’en penser » de la laïcité ?

 

Jean-Jacques LATOUILLE

 



[1] La laïcité au quotidien, guide pratique, Gallimard, collection FOLIO.

[2] École où sont formés les personnels d’encadrement de l’Éducation nationale (inspecteurs, chefs d’établissement…).

[3] Où sont formés les cadres des fonctions publiques : commissaires de police, officiers de sapeurs-pompiers, cadres de santé, magistrats…


samedi 30 mai 2020

Récits d’école (4) : la leçon de français.

Récits d’école (4) : la leçon de français.

 

A. Lyonnet, P. Besseige, Lecture et Langue française, ISTRA, 1952.


"C’est en écrivant qu’on devient écriveron" Raymond Queneau

 

Lors des jurys de concours de Professeur des Écoles et à l’occasion de corrections de concours blancs j’ai été extrêmement surpris par la faiblesse du niveau des candidats. Les causes de cette insuffisance sont sans doute multiples, liées au parcours de chacun des candidats mais il apparaît une sorte d’universalité dans la médiocrité. La majorité, la très grande majorité des candidats obtient une note inférieure à 10 sur 20 à l’épreuve de « connaissance de la langue », c’est-à-dire que nous relevons d’énormes lacunes des candidats en grammaire orthographe et vocabulaire. Face à une telle ampleur le profil du candidat ne peut pas à lui seul l’expliquer, sans doute y a-t-il quelque chose qui serait inhérent à l’enseignement de la langue et à la conception des contenus disciplinaires.

Lors des visites de classe que j’ai effectuées en tant qu’inspecteur, après de nombreuses années d’interruption de cette fonction, j’ai constaté deux choses : la complexité de la terminologie désormais utilisée pour enseigner la langue, notamment la grammaire, et l’éclatement de l’enseignement de la langue en pôles trop rarement associés : grammaire, rédaction, orthographe, vocabulaire.

Je ne traiterai pas de la complexité de la terminologie n’étant ni linguiste ni grammairien. Sans doute les spécialistes de ces deux disciplines nous expliqueraient qu’il s’agit là d’une évolution « naturelle » d’une science. Nous ne rappellerons pas ici les batailles parfois les querelles, à propos des réformes de l’orthographe, de la grammaire auxquelles s’ajoutent les batailles et les querelles entre didacticiens. Je me limiterai à relever que ces évolutions et ces réformes ont apporté à l’enseignement de la langue des éléments de complexité dont il n’avait nul besoin et qui ne m’apparaissent pas comme apportant une quelconque amélioration ou facilitation à la capacité de compréhension par les enfants.

 


 

Nous sommes bien loin du « sujet, verbe, complément » qui fut le lot commun de ce qu’apprirent les écrivains même les plus célèbres, les académiciens et les titulaires de prix Nobel. Toutefois, il faut bien accepter que la science évolue, mais à charge pour les spécialistes de ne pas confondre la science et l’enseignement scolaire de cette science ; le savoir qui vaut, en compréhension et en usage, pour un spécialiste ne peut pas être à l’identique celui qui sera dispensé aux élèves. Cette transition, cette transformation constitue l’objet de travail des didacticiens puis des concepteurs de directives pédagogiques et des programmes scolaires. Ainsi, si un enseignant doit posséder un savoir solide des disciplines dont il doit enseigner les bases, il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas un spécialiste de ces disciplines.

Là, je vois un fossé entre l’enseignement que les enseignants ont reçu et la complexité de la connaissance de la langue qui est attendue qu’ils possèdent. Les gens de ma génération qui avaient fait des études (Brevet, Bacc…) conservaient pendant de nombreuses années la capacité à effectuer une analyse grammaticale minimum, et je ne parle ni de l’orthographe ni du vocabulaire, longtemps après avoir quitté l’école. Aujourd’hui, les candidats au concours et les étudiants que je fréquente se situent entre 22 ans et 40 ans et ont au moins une licence, et pour la majorité un MASTER, or rares sont ceux qui savent répondre correctement aux questions qui leur sont proposées. Que vont-ils enseigner ?

C’est là le deuxième point que je relevais lors de mes visites de classe. L’enseignement de la langue (du français) vit au rythme d’un incroyable éclatement : à un moment le vocabulaire, à un autre la grammaire et quelques fois l’orthographe. Au sujet de cette dernière il est surprenant de constater qu’au-delà des leçons dédiées elle n’est qu’exceptionnellement prise en compte, et cela et de plus en plus prégnant au fil de l’avancée dans le cursus scolaire, je me souviens d’une copie de philosophie (donc en classe de terminale) de 6 pages avec 35 erreurs d’orthographe dont aucune n’était relevée par le professeur. Enseigner la langue c’est enseigner un tout, un ensemble d’éléments cohérents autour d’un axe qui donne du sens à ce que l’on écrit ou dit. C’est ce que faisaient jadis les enseignants comme le montre l’image en début de cet article et le confirment les instructions pédagogiques de ce manuel édité en 1952 ou les conseils donnés en 1904 dans la revue « L’école et la famille ».

D’ailleurs faut-il « enseigner » la langue ou la pratiquer et, à l’occasion de cette pratique, introduire, amener et expliquer « les règles » et « les principes » ? Lorsqu’on écrit quelle merveilleuse occasion de pratiquer et d’apprendre la grammaire et l’orthographe, et d’enrichir son vocabulaire. L’enseignement actuel dichotomique et parcellisé de la langue ne permet pas à l’élève du faire du lien entre les choses et de concevoir la langue comme un tout unifié autour du sens au service de l’intention du dire, comme un tout porteur de la pensée exprimée. Il faut en finir avec un enseignement du « français » et des « maths » le matin puis on tourne la page ; on n’évoque plus ni l’un ni l’autre au cours des autres enseignements. Il faut surtout en finir avec un enseignement chronométré : une demi-heure de grammaire, un quart d’heure d’orthographe autour d’une dictée trop rarement corrigée en classe avec les élèves, avec l’élève. Comment avec de telles pratiques donner du sens à la discipline à moins de considérer que grammaire, vocabulaire et orthographe seraient, à l’école, des disciplines autonomes, comment leur donner un statut unificateur et comment penser l’erreur ? Pourquoi ne pas inviter les élèves à écrire ou à lire un texte puis de s’arrêter sur les erreurs ? Faute de cela on risque de reproduire cette situation d’un élève de CM1 que l’enseignant invitait à aller faire quelques exercices au fond de la classe avec d’autres élèves : à chaque élève ou groupe des exercices différents. De retour à sa place l’élève semblait désemparé ; lorsque je le questionnais : « qu’as-tu fait ? - Des exercices ? - Lesquels, pour quoi faire ? -Pour l’autodictée. » L’enseignant lui avait donné des exercices relatifs aux différentes formes du [a] ; a, as, à… Mais il ne réussissait pas à voir que cela avait affaire avec les multiples erreurs faites dans son autodictée. Si au lieu de faire une dictée vue comme une leçon on avait fait écrire, si au lieu de laisser l’élève en autocorrection on lui avait demandé d’écrire… et qu’à chaque erreur on se soit arrêté pour réfléchir et apprendre, l’enseignant n’aurait-il pas offert à l’élève une formidable occasion d’expérimenter la langue, évitant ainsi qu’un jour où on lui ferait remarquer une erreur orthographique dans un texte il ne nous réponde : « nous ne sommes pas en leçon de grammaire ! ».

 

A. Lyonnet, P. Besseige, Lecture et Langue française, ISTRA, 1952.


L’École et la Famille, 29°année, n°4, février 1904

 



 



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