Ce billet est un complément
autant qu’une explicitation de mon précédent billet : « Monsieur le
Député : Non ! L’enseignement privé ce n’est pas le service public »,
et il répond à certains commentaires du précédent billet.
Dans mon précédent billet, où je
voulais montrer la place historique de l’enseignement privé comme supplétif
d’un enseignement public qui soit n’existait pas encore soit était insuffisant
pour répondre à la demande sociale, je donnais l’exemple de l’évolution des
écoles dans la petite ville de Tullins-Fures, je précisais notamment l’intérêt,
dès le 17° siècle, que les édiles locaux portaient à « l’école ».
Cela me valut une critique acerbe de la part de certains de mes lecteurs, je
cite l’un d’eux : « Vous n’avez pas l’air au courant que c’était
comme ça partout, en France, les ordonnances et déclarations royales… », puis,
suit une liste assez impressionnante de décisions issues d’ordonnances royales
dont aucune n’est datée, ce qui est une grave erreur lorsqu’on traite
d’histoire, et certaines assertions me semblent entachées d’erreurs voire pourraient
passer pour être des contrevérités. Comme l’explique Jean Baubérot
dans un billet de blog je ne suis pas hostile aux commentaires qui souvent
enrichissent ma réflexion, mais si je ne suis pas hostile aux commentaires même
les plus critiques, encore faut-il qu’ils soient totalement justifiés.
Tout d’abord, je voudrais
souligner le fait que lorsque je cite les écoles de Tullins-Fures je ne le fais
qu’à titre d’exemple et non pas pour montrer ce qui serait une exclusivité dans
un monde de néant. Dans le contexte de ce billet, cet exemple joue un rôle
crucial ; il est une illustration concrète qui permet de mieux comprendre
la situation et l’évolution des écoles et plus largement du système scolaire.
Il permet aussi, dans une certaine mesure, de soutenir les arguments que
j’avance. Enfin, il permet aux lecteurs de comprendre ou pour le moins
d’envisager dans les grandes lignes les étapes de l’évolution du système
éducatif en France. Si je comprends qu’on puisse abonder l’exemple que je donne
par un autre exemple, par contre il ne me semble pas pertinent de les opposer
l’un et l’autre comme le fait le commentateur de mon texte lorsqu’il écrit :
« Dans les villes, les collèges (enseignement secondaire) qui étaient
municipaux comme celui de l’Esquille à Toulouse faisaient l’objet régulièrement
d’une concession pour plusieurs années entre des ordres religieux concurrents :
jésuites, oratoriens, bénédictins, ou autres, qui présentaient un projet, un
programme, les enseignants, un prix. Exactement comme actuellement pour les
cantines qui sont concédées à des chaînes concurrentes comme Sodexo, Elior,
Compass, ou autres. Le conseil de la municipalité (échevins, consuls,
capitouls) votait pour la meilleure proposition. » On ne peut pas opposer
ces deux exemples ne serait-ce que par la nature et l’importance des villes d’où
ils proviennent : Tullins‑Fures petite ville rurale qui atteignait
péniblement, en 1793, 3500 habitants (ce qui était déjà une ville importante)
face à Toulouse où la population en 1790 s’établit à 52 439 habitants.
L’exemple possède la valeur et l’intérêt que je décris plus haut, il perd l’un
et l’autre s’il doit être opposé un autre exemple sans qu’il y ait de
similitude entre les deux : ici, de population, d’organisation
administrative et politique, de développement économique, de puissance des
différentes parties prenantes… Opposer ces deux exemples est un non-sens scientifique,
pareillement à la comparaison entre les « concessions » que pouvaient
obtenir des ordres religieux pour enseigner dans la ville avec les concessions
de service public donné dans le cadre des cantines scolaires. Pour qu’il y ait
concession de service public il faut qu’il y ait un service public.
Mon aimable commentateur nous
indique que : « c’était comme ça partout, en France, les ordonnances
et déclarations royales : — imposaient l’enseignement obligatoire et
gratuit pour tous les garçons et toutes les filles, sauf dérogation de l’évêque
pour les parents justifiant que leurs enfants l’étaient déjà à domicile ou dans
un collège, — obligeaient toutes les communautés d’habitants (campagne) et
municipalités à engager un maître d’école (et une maîtresse pour les filles
au-dessus d’un nombre d’enfants), — les autorisait à lever sur tous les foyers
de la paroisse, même sans enfant scolarisé, un droit d’écolage pour payer leurs
gages et leur maison… » : quelles sont ces ordonnances, à quelles
dates furent-elles promulguées ? On ne peut pas « faire un paquet
d’ordonnances » sans référer à l’autorité qui les prit et à
« l’ambiance » culturelle de l’époque : quelles similitudes
entre Charlemagne et Louis XIV, quelles similitudes dans l’organisation sociale
et administrative à ces deux époques, la France de l’un n’était pas celle de
l’autre (le Dauphiné ne rejoint le royaume que lorsque le Dauphin Humbert II le
céda à la couronne en 1349 ? Étudier l’évolution de l’enseignement et
l’évolution des écoles en tant que structures permet de mettre en évidence
comme l’écrit Antoine Léon :
qu’« il paraît cependant difficile de préciser l’origine et les
transformations des structures ou des programmes sans se référer constamment à
l’histoire générale, tant il est vrai que les institutions scolaires
constituent, à la fois, un reflet et un facteur de développement de la
société. »
Lorsqu’on étudie la genèse du
système scolaire France on ne peut pas faire l’impasse sur la Gaule romaine pas
plus que sur les premières écoles chrétiennes et la création des universités,
médiévales. Ainsi, Philippe Ariès écrit dans sa préface au livre d’Eugenio
Garin :
« une histoire sans doute simplifiée, mais non pas fausse, de
l’enseignement et de la vie des écoliers, pourrait bien négliger l’humanisme et
conserver seulement le grand fait essentiel, à savoir qu’il existait ce type
d’école pour les litterati depuis l’époque mérovingienne jusqu’au XVIIIe siècle,
pendant plus d’un millénaire, et que c’est l’école latine. Il n’est pas inutile
de suivre son évolution, ses réformes, les perspectives de ces programmes, mais
il important avant tout de comprendre que pendant cette longue période, la
seule langue scolaire était le latin. Tout le reste, y compris la langue et la
littérature nationale était transmis par d’autres moyens que l’école. Cela veut
dire que ni Ronsard, ni Malesherbes, ni Corneille, ni même Voltaire (quoiqu’il
faille ici nuancer) n’ont appris le français à l’école. » Outre les jalons
chronologiques, l’histoire de l’école ne peut se départir ni de la société dans
laquelle apparaissent des contenus d’enseignement pas plus que de son
organisation politique et administrative.
Ici ou là, des écoles sont
apparues nous dirons spontanément, d’autres étaient le fait d’une impulsion
donnée par une autorité étatique ou le plus souvent religieuse. Comme ce fut le
cas, écrit Eugénio Garin, avec « l’admonitio
généralis de 789, où Charlemagne remettra en vigueur et complétera certaines
dispositions préexistantes mais inappliquées, en imposant l’ouverture d’écoles
où l’on apprend à lire aux enfants. En 529 déjà, le concile de Bezons stipulait
que l’on étendit partout une coutume italienne fort salutaire, selon laquelle
les prêtres des paroisses devaient recevoir de jeune célibataire et leur
enseigner les psaumes et la loi du seigneur « de façon à se ménager de
dignes successeurs ». Les capitulaires de 802 stipulent que « tous
les fidèles peuvent envoyer leurs enfants étudier les lettres jusqu’à ce qu’ils
les aient apprises ». L’Anglais Alcuin
conseille des classes séparées et des maîtres différents pour l’enseignement de
la lecture, de l’écriture et du chant. Les écoles de cette période voyaient
apparaître, en France, une pédagogie chrétienne catholique dont la perspective
était de défendre la religion menacée par différents organismes et surtout par
le protestantisme ; il s’agissait donc de former les membres du clergé, en
même temps l’Église pensait qu’il était bon d’instruire les enfants pour les
sortir de l’obscurantisme, donc on multiplia ces écoles au cours du Moyen Âge, parallèlement
à la multiplication des écoles et à l’évolution du niveau culturel des
ecclésiastiques on observait que l’autorité de l’Église se renforçait.
On peut alors distinguer trois
types d’écoles : les écoles monastiques ou claustrales qui étaient
installées dans des monastères accueillants dès le début du IVe siècle des
enfants susceptibles d’entrer dans les ordres. L’éducation monastique fut
introduite en Gaule par les disciples de Saint-Benoît et du moine irlandais
Saint Colomban, on vit alors des monastères bénédictins s’édifier à Marseille,
Arles, Uzès, Lérins, etc. À la même époque furent créées des écoles
épiscopales encore appelées écoles cathédrales qui se présentaient comme de
petits séminaires qui furent le ferment de la création des universités
médiévales. Enfin, il y avait les écoles presbytérales ou paroissiales
qui sont essentiellement apparues au XVIe siècle après le deuxième concile
de Vaison (529) qui prescrivait « à tous les prêtres chargés de paroisse
de recevoir chez eux, en qualité de lecteurs, des jeunes gens, afin de les
élever chrétiennement, de leur apprendre les psaumes et les leçons de l’Écriture,
et toute la loi du seigneur, de façon à pouvoir se préparer parmi eux de dignes
successeurs ». On voit donc que la création des écoles répond d’abord au besoin
que l’Église avait de renforcer sa position dans la société ainsi que son pouvoir,
et avec les écoles paroissiales on voit, contrairement au commentateur de mon premier
billet, que les prêtres chargés de paroisses c’est-à-dire les curés étaient
bien invités à prendre en charge l’instruction des enfants de leur paroisse. S’il
s’agit de former les futures membres du clergé, pour autant tous leurs élèves
ne se destinaient pas à une fonction ecclésiastique.
Après la mort de Charlemagne,
l’instabilité et l’insécurité que connut l’ex-empire entraîneront entre autres une
stagnation de la vie intellectuelle et un quasi-arrêt du développement des
institutions scolaires. Alors que la monarchie capétienne s’organisait durant
les onzièmes et douzièmes siècles, le haut clergé voit ses prérogatives
s’accroître et son monopole sur l’enseignement se renforcer. L’administration
scolaire, si on peut s’exprimer ainsi, dépend de la compétence exclusive de
l’évêque. C’est durant les troisièmes et quatrièmes conciles du Latran (1179-1215)
qu’apparaît une véritable politique scolaire mais essentiellement au service de
l’Église, elle était financée par un bénéfice ecclésiastique
afin qu’un maître puisse donner gratuitement des leçons aux clercs de cette
église mais aussi aux écoliers sans ressources. Ouvrons une parenthèse pour
souligner que s’il y avait bien une intention d’amener vers l’instruction
scolaire (et surtout religieuse) des enfants pauvres, dans les faits ceux-ci
furent extrêmement peu nombreux à rejoindre les écoles tant les travaux
agricoles dans les zones rurales que ceux manufacturiers dans les villes les
retenaient pour notamment apporter un complément de revenus à la famille. C’est
dans ce contexte que l’on voit apparaître les premières corporations
enseignantes.
La multiplication des universités
au Moyen-Âge et surtout l’augmentation du nombre des étudiants et des
enseignants ainsi que l’impact de la réputation de certains professeurs, comme
en droit avec Cujas, qui firent que ces établissements échappaient petit à
petit à l’autorité de l’évêque. Il fallut donc une nouvelle organisation, tant
pour les universités que pour les écoles (petites écoles comme collèges), ainsi
de nouvelles règles apparurent notamment celles concernant l’accès à la
fonction enseignante : il fallait pour ouvrir une école avoir suivi
pendant 5 à 7 ans d’enseignement d’un Maître confirmé, être titulaire de la
licentia docendi (licence d’enseigner). Si, à cette époque le Pouvoir Royal
intervient dans ces universités c’est essentiellement pour régler les démêlés
entre les étudiants et la police. Les professeurs comme les étudiants
bénéficiaient de privilèges qui furent confirmés par Philippe Auguste et par
Saint-Louis, mais que Louis XI limita, deux siècles plus tard, en étendant la
compétence du Parlement et en renforçant l’autorité du prévôt de Paris pour ce
qui concerne l’université de Paris, il fit de même pour l’université de Valence
en Dauphiné dont il fut à l’origine de la création en 1452. Mais aucun de ces
trois rois ne manifesta de réel intérêt pour les petites écoles ni pour les
collèges saufs quand ces derniers concurrençaient trop fortement la Faculté des
Arts qui préparait à trois grades dont le premier, s’adressant à des étudiants
âgés entre 14 et 16 ans, est sanctionné par la « déterminance » qui,
au XVe siècle, prit le nom de baccalauréat. La délivrance des grades (des
diplômes) se fait sous l’autorité de l’évêque et pas sous celle du Roi ni de
son représentant ; l’évêque étant chancelier de l’université.
Un regard schématique sur
l’évolution des universités en France au Moyen Âge permet de camper le paysage
tant politique que sociologique de l’évolution de l’organisation scolaire du
pays. Le développement de l’université a permis une accélération du
développement de ces écoles. Tout d’abord l’université a été un incroyable « bouillon
de culture » qui sans nul doute a été sinon à l’origine du moins a
accompagné « un ensemble de transformations socio-économiques, politiques,
idéologiques et culturelles. »
Ces transformations ont entraîné de nouveaux besoins relatifs à la qualité de
l’enseignement, mais surtout de nouvelles demandes et conséquemment de
nouvelles offres de formation. Un nouvel idéal éducatif apparut et fut notamment
porté par les Jésuites au sein des collèges qu’ils ont ouverts. La création de
ces collèges dont certains sont venus concurrencer très directement les
Facultés des Arts, a permis la mise en place et l’essor de l’enseignement dont
on peut sans doute dire qu’il était plus pragmatique que son prédécesseur, plus
tourné vers les besoins de la société. L’essor de cet enseignement entre aussi
en résonance avec le développement des luttes religieuses inaugurées par la
Réforme ; conséquemment le Pouvoir Royal s’intéresse aux questions
scolaires parce qu’il prend part aux luttes religieuses et « s’efforce de
rattacher le domaine de la foi à une conception totale de l’unité nationale. »
Il est une autre composante de la société qui s’intéresse au développement des
écoles : la « bourgeoisie » qui a émergé petit à petit au sein
des villes. Cette bourgeoisie, surtout ce que certains appellent la grande
bourgeoisie, va entraîner notamment au XVIIIe siècle un remaniement de
valeur pédagogique. On va alors s’intéresser, parce que (schématiquement)
l’enfant doit prendre la succession du père dans les affaires ou qu’on espère
pour lui l’accès à une fonction juridique (par exemple), à « un enseignement
ouvert sur la vie, des programmes réalistes, répondant aux exigences d’une
société fluide. » C’est dans les
collèges tenus par les Oratoriens et les Jésuites que les « bourgeois »
trouveront satisfaction à leur demande. Le développement des collèges fut tel
avec un développement considérable des congrégations enseignantes, que le corps
universitaire ne pouvait pas échapper à la désagrégation ; c’est comme le
rappelle Antoine Léon « le plus souvent dans des établissements
indépendants de l’université qu’on peut trouver un enseignement secondaire ou
supérieur de qualité. »
Dans ce paysage, l’enseignement
primaire conçu à la fois comme une œuvre de charité et comme un instrument de
prosélytisme au service de l’Église, ne donne lieu qu’à des réalisations
extrêmement modestes ; on est très loin d’un système scolaire qui aurait
été voulu par la royauté et qui se serait développé au service de toute la
population. Les petites écoles, n’ont connu de réel développement qu’à la toute
fin de l’Ancien Régime. Pour autant il serait faux de dire que les rois
n’auraient pas eu de politique scolaire, nous avons vu plus haut ce qu’il en fut
pour Charlemagne par exemple. Le premier roi pour lequel on peut écrire qu’il
s’est véritablement intéressé au système scolaire c’est François Ier (nous
sommes déjà au XVIe siècle) qui est intervenu très directement dans le
processus de rénovation culturelle en imposant l’usage de la langue française
dans les actes judiciaires et dans les registres de baptême, et surtout en
instituant le Collège des lecteurs royaux en 1529 qui deviendra le Collège de
France. Là, il faut rappeler que la fin du règne de François Ier est marquée
par le début des affrontements entre catholiques et protestants ce qui n’est
pas anodin pour le sujet qui nous intéresse ici. Luther avait vu qu’une
instruction obligatoire était la condition indispensable pour une authentique
éducation chrétienne et le développement de la religion protestante. Alors au
moment où de nombreuses écoles de l’Est et du Midi de la France sont touchées
par le protestantisme, l’Église catholique doit réagir et elle le fait au moment
du concile de Trente ans décidant de créer dans chaque église « une petite
école dans laquelle le Maître, précepteur choisi par l’évêque, enseignera
gratuitement aux enfants pour la lecture, l’écriture, la grammaire, le chant,
le calcul » ; ce faisant l’Église catholique veut lutter autant
contre l’obscurantisme que contre le développement de la Religion Réformée. L’Église
obtiendra le soutien du Pouvoir Royal puisqu’« en sa qualité de roi très chrétien,
de roi obligé par serment de défendre l’église et par conséquent de faciliter
l’instruction religieuse de ses sujets. »
L’Édit de Nantes (1598) permet aux protestants d’ouvrir des écoles publiques.
En même temps le pouvoir royal, par les statuts qu’il impose à l’Université,
conforte la mainmise qu’il a sur elle et affirme la sécularisation de
l’éducation.
L’arrivée au pouvoir de Louis XIV
est marquée, en matière d’école, par un succès grandissant des Jésuites et des
écoles protestantes qui seront finalement interdites par la révocation de l’Édit
de Nantes. Beaucoup de ces écoles protestantes continuaient leur activité de
façon clandestine, il fallait donc que le pouvoir royal trouve une parade ;
Louis XIV prescrit l’obligation scolaire jusqu’à 14 ans dans son ordonnance de
1698 espérant ainsi la conversion des enfants vivant dans les régions où le
protestantisme s’était particulièrement développé. On voit alors prospérer deux
congrégations religieuses qui se consacrent à l’enseignement gratuit des
enfants pauvres : la Congrégation des Frères de Saint-Charles fondée à
Lyon en 1666 par Charles Démia et l’institut des Frères des Écoles chrétiennes
créé à Reims en 1680 par Jean-Baptiste de la Salle. Le pouvoir politique, en
particulier le ministre Colbert, prend de la distance avec les collèges
auxquels on reprochait d’instruire trop d’enfants ce qui « présentait un
risque pour l’économie nationale et semblait compromettre le recrutement de la
main-d’œuvre manuelle nécessaire à la production. »
On pensait donc qu’il y avait trop de collèges, toutefois le recensement des
collèges organisés par Colbert n’entraîna pas de fermeture notamment en raison
de la crainte de voir les villes protester. Cependant la suppression de la
Compagnie de Jésus en 1764 entraîna la fermeture de nombreux collèges.
Après la mort de Louis XIV, le régent et Louis
XV continu la politique de coercition vis-à-vis des écoles protestantes, et
maintiennent une préoccupation forte à séculariser l’enseignement et à
réglementer la vie universitaire. C’est ainsi qu’au niveau des écoles
élémentaires, l’Intendant du Roi, en tant qu’il est tuteur des villes et des
communautés rurales intervient à côté de l’évêque dans la vie des écoles, là où
il y a des écoles. Mais l’intervention du Pouvoir Royal concerne
essentiellement l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur : en
1719, par exemple, le roi instaure la gratuité des collèges universitaires de
Paris, il crée des concours d’agrégation en 1766 pour les maîtres ès arts qui
voulaient occuper une chaire, et il fonde diverses écoles techniques et
militaires. À la même époque de nombreux ouvrages de pédagogie et des projets
d’organisation de l’enseignement sont publiés à foison, je ne citerai que deux
ouvrages : l’Essai d’éducation nationale (1763) écrit par de La Chalotais
et le Mémoire sur l’éducation publique (1764) de Guyton de Morveau. Ces deux
ouvrages, sans doute plus célèbres à l’époque que l’Émile de Jean-Jacques
Rousseau, montrent l’état de la réflexion autour de l’éducation et de
l’organisation d’un système scolaire national. Pour autant, ce ne sont que des
ouvrages de « penseurs », et en aucun cas des textes réglementaires
issus du Pouvoir Royal. Il faut attendre Turgot, ministre de Louis XVI, pour
voir s’esquisser une structure étatique de contrôle, il préconisait
l’organisation d’un conseil qui serait en quelque sorte une tutelle des Académies
(comme l'Académie royale des Sciences), des universités, des collèges et des petites
écoles. Mais l’idée d’une éducation nationale ne se concrétisera que dans les
projets des législateurs de la Révolution de 1789.
On peut avancer l’idée que le Pouvoir
Royal avait une volonté d’instituer un système national pour l’éducation des
enfants du pays avec des écoles de plus en plus normatives. L’ordonnance de
1698 marque à la fois l’intérêt du Pouvoir Royal pour les collèges et les
universités, et un intérêt fort pour l’instruction élémentaire dans la mesure
où elle décrète l’instruction pour tous, en ordonnant que soit établi « autant
il sera possible des maîtres dans toutes les paroisses où il n’y en a pour
instruire tous les enfants. » Mais il ne faut pas négliger le fait, comme
le rappelle Jean de Viguerie,
que le Pouvoir Royal, en soutien à l’Église, « attend d’abord des petites
écoles, qu’elles christianisent le peuple et qu’elles convertissent les enfants
des protestants. » L’ordonnance de 1698 peut être considérée comme la
traduction d’une politique d’éducation voulue et promulguée par Louis XIV ou peut
être moins considéré comme une politique d’éducation que comme un outil de la
politique royale à l’encontre des protestants ; elle intervient 13 ans
après la révocation de l’édit de Nantes en réaction justement à la continuation
en clandestinité des écoles protestantes, et cette ordonnance de 1698 avait été
précédée le 21 juillet 1683 par une déclaration du roi « portant que les
enfants de ceux de la religion prétendue réformée qui auront fait abjuration,
seront instruits en leur religion ». Dans cette déclaration le Pouvoir Royal
relève que des protestants qui se sont convertis à la religion catholique
négligent de faire instruire leurs enfants dans la religion catholique et les
laissent soit sans éducation soit aller vers les écoles protestantes. Ainsi les
« petites écoles » ont prospéré là où elles pouvaient être implantées
sous l’impulsion des congrégations enseignantes. Par exemple, l’institut fondé
par Jean-Baptiste de la Salle comptait, à la veille de la révolution, 760
religieux qui assuraient dans 114 maisons la formation primaire à un peu plus
de 30 000 élèves. Les congrégations étaient confrontées aux capacités des
villes ou des communautés rurales à pouvoir disposer d’un local et à leur
capacité à rémunérer les enseignants. Ces derniers se répartissaient en deux
grandes catégories : les membres des congrégations enseignantes qui
recevaient une initiation pédagogique au cours de leur noviciat dans les
congrégations, et les laïcs (souvent dénommés régents d’école) qui n’avait de
formation que celle acquise auprès de celui qui avait été leur maître
lorsqu’ils étaient eux-mêmes élèves. En Dauphiné, par exemple, on recrutait les
maîtres d’école hors proposition des congrégations, soit par « candidature
spontanée » ou par connaissance ou des régents que l’on recrutait à
l’occasion de la foire aux régents. Dans ces foires on y distinguait ceux qui
savaient lire et qui portaient une plume à leur chapeau, ceux qui savaient lire
et écrire qui portaient deux plumes à leur chapeau et enfin ceux qui savaient
lire et écrire et compter et qui portaient trois plumes à leur chapeau. Dans
ces régions alpines les régents d’école étaient souvent, si l’expression m’est
permise, des saisonniers : l’été ils travaillaient à la ferme, l’hiver la
rudesse du climat empêchant les travaux des champs ils allaient, la fin de
l’automne venue, louer leurs services à la foire aux régents. Une cartographie
des petites écoles montrerait une forte disparité entre les régions, entre les
villes et les villages, plus généralement entre les territoires en fonction de
la richesse économique de ceux-ci, et permettrait de mettre en évidence que les
écoles tenues par des maîtres des congrégations enseignantes se situaient essentiellement
dans des villes suffisamment importantes pour avoir une activité économique
permettant de rémunérer des maîtres des congrégations, alors que les régents
étaient recrutés très majoritairement par de petites communautés rurales. On
voit donc que s’il y avait une volonté royale de développer
« l’enseignement primaire », il n’y avait pas une volonté étatique de
mettre en place un système scolaire homogène pour répondre à un besoin
d’éducation qui aurait été bien cerné. Mais répétons-le, les petites écoles se
sont développées, les petites communautés rurales ont de plus en plus
fréquemment fait appel à un régent au moins pendant les mois d’hiver,
ce qui a permis certains résultats en matière d’éducation du peuple que l’on
peut mesurer par exemple avec l’analyse de la présence d’une signature sur les
actes de mariage : en 1686 peut dénombrer 21 % des actes de mariage
signés, ils passent à 37 % cent ans plus tard, l’évolution est importante
pour autant elle ne concerne qu’une petite partie de la population, ce qui est
loin de l’assertion du commentateur de mon billet qui laisse penser, au vu de
ce que furent ses aïeux, que la France entière était alphabétisée. Cette
analyse conforte aussi les disparités territoriales que j’évoquais comme
l’indique Antoine Léon : « Il va sans dire que ce pourcentage varie
sensiblement selon le sexe et la région. À travers cette analyse on voit aussi
que l’instruction des filles, d’une façon générale, est moins organisée que
celle des garçons, on relève que les signatures des épouses sont deux fois
moins nombreuses que celle des époux. Il faut noter à cette occasion que
lorsqu’une communauté ne pouvait pas ouvrir deux écoles, seule une école pour
les garçons était ouverte. Certes les congrégations comme celle des Ursulines
accueillaient les filles pauvres mais encore fallait-il qu’une école tenue par
elles soit ouverte.
Comme le relève Jean de Viguerie,
« au début, la monarchie se borne à protéger les écoles, puis elle les
contrôle parce qu’elle les protège, enfin elle les gère pour mieux les
contrôler. Il y a donc une tendance à l’étatisation. Mais on ne saurait ici
faire la part de ce qui revient à une politique délibérée ou à une volonté de
puissance, naturelle à tous les États. » La volonté du Pouvoir Royal de
voir « exploser » le nombre d’écoles dans le royaume est indéniable
mais les analyses sur le terrain montrent, même si le nombre d’écoles a considérablement
augmenté et porté ses fruits en termes d’alphabétisation, qu’il n’y eut pas « d’explosion »
pas plus que l’on peut parler d’instruction obligatoire et d’instruction
gratuite malgré les listes de gratuité. En tout cas il ne s’agissait pas
« d’un service public » au sens où le droit moderne l’entend.
Ce n’est qu’au moment de la Révolution que les questions d’enseignement
prennent une vraie dimension nationale et étatique et qu’apparaissent quelques
velléités de constitution d’un service public, sans pour autant connaître
tellement plus de succès que la politique voulue par le Pouvoir Royal. Avec la
survenue de la Révolution une page de l’histoire des écoles en France se tourne
et une autre s’ouvre. L’œuvre de la Révolution, puis de l’Empire et du 19e
siècle dans son ensemble repose sur des mouvements philosophiques qui
imprègnent la pensée politique et, concernant l’éducation des enfants et
l’école installe durablement une pensée « pédagogique » où on
s’intéresse beaucoup aux finalités de l’éducation et aux méthodes. On observe
alors que l’État s’affranchit de plus en plus de sa dépendance vis-à-vis de l’Église,
qu’il organise de plus en plus la société notamment en prenant en charge la
gestion d’un système scolaire par la nomination d’un directeur de l’instruction
publique subordonné au ministre de l’Intérieur (loi du 3 brumaire an IV - 25
octobre 1795), qui deviendra un ministre de l’instruction d’abord sous la
tutelle du ministre de l’Intérieur, avant d’être indépendant par l’ordonnance
du 28 août 1824 qui crée le ministère
des affaires ecclésiastiques et de l’instruction publique. L’école
s’étatise dans l’idée d’éduquer le peuple pour le maîtriser comme le disait Bonaparte :
« je me crois obligé d’organiser l’éducation de la génération nouvelle de
manière à pouvoir surveiller ses opinions politiques et morales » et
en créant dès 1808 un corps enseignant du secondaire public. Puis il y eut la
guerre et surtout la défaite de 1870 qui pour les Républicains avait
pour principale cause l’insuffisante instruction du peuple : « c’est
l’instituteur prussien qui a gagné la guerre », pour les catholiques c’est
la déchristianisation qui est la cause de la défaite. Ainsi arrivent avec Jules
Ferry les grandes lois scolaires qui confirment l’ancrage de l’école publique
dans l’État et dans la société, en quelque sorte le républicain Jules Ferry
achève l’œuvre commencée par le libéral François Guizot en 1833. Désormais
l'école sera gratuite, le 16 juin 1881, laïque et l’instruction obligatoire
pour tous les enfants de 6 à 12 ans, le 29 mars 1882. C'est l'éducation pour
tous, et l'élimination de l'enseignement religieux au sein de l’école. On y
enseigne la tolérance et l'égalité "sans Dieu ni roi". C’est la
laïcité.